Quelles épreuves de français au bac et quel enseignement pour y préparer ? Reçue le 9 mars par le Conseil supérieur des programmes avec les autres associations d’enseignants, l’AFEF est repartie très déçue. Viviane Youx, présidente de l’AFEF explique les choix pédagogiques de son association et les enjeux d’une réforme de l’enseignement du français.
Dans le compte rendu de la rencontre avec le CSP, vous montrez une vive opposition avec les autres associations d’enseignants de français. Par exemple sur la lecture vous dites qu’on apprend à lire en écrivant. Que voulez vous dire ?
Traditionnellement on apprend d’abord à lire puis à écrire. Ecrire consisterait à transposer sur une feuille ce qu’on a déjà lu ou un texte qu’on aurait en tête. Or la recherche montre que ça ne se passe pas comme ça. Il n’y a pas d’ordre. Il y a une circulation, un va et vient entre lecture et écriture. Pour que les élèves développent leur écriture on a besoin qu’ils ne partent pas que de modèles tout faits. C’est en les faisant écrire qu’ils vont apprendre à comprendre aussi ce qu’ils lisent et les enjeux d’un texte littéraire.
L’opposition forte entre les associations repose sur des conceptions différentes de ce qu’est la lecture et l’écriture. Les associations qui se disent « littéraires » renient complètement les travaux de recherche sur la didactique et la pédagogie. Leur seule représentation de la lecture est celle d’un universitaire. Il fait un cours de transmission sur les auteurs et les élèves apprennent.
On n’est pas dans un travail de compréhension. On en parle pas d’entrée en littérature, elle est automatique. A partir du moment où l’enseignant fait un bon cours les élèves devraient suivre et adhérer et leur travail serait d’apprendre à commenter un texte ou disserter comme leur professeur. Il n’y a pas de préoccupation pour la façon dont les élèves comprennent et apprennent. L’intérêt des élèves n’est jamais pris en compte.
Vous insistez dans vos propositions sur les compétences à développer chez les élèves. Pour vous il faudrait partir de là pour décider des épreuves et des programmes. Quelles doivent être les finalités de l’enseignement de français ?
Les exercices actuels ne sont pas évalués en fonction de compétences mais sur une connivence : les enseignants savent ce qu’il faut évaluer. Lors de la réunion au CSP il n’a jamais été question de ce que les élèves devraient savoir faire en première ou en terminale. Il n’a été question que d’exercices. Ces exercices font autorité sans qu’on ne sache pourquoi et quelles compétences ils développent chez les élèves. Pour nous il faut au moins les questionner au regard de ce que les élèves devraient être capables e faire au lycée. On voit bien qu’on est là dans une rupture totale avec la façon dont l’enseignement du français est conçu à l’école et au collège.
Pour nous les élèves devraient être capables au lycée d’analyse, de synthèse, d’organiser leur pensée d’écriture. Ils devraient être capables d’argumenter, de justifier des choix, d’avoir une pensée critique, d’imaginer, d’inventer ce qui suppose qu’ils s’essaient à l’écriture littéraire. Enfin ils devraient être capables de mobiliser leur culture littéraire et artistique pour nourrir leur pensée.
Mais dans cette conception quelle place est faite à la littérature, son histoire, ses auteurs ?
On refuse une entrée de type Lagarde et Michard. On est pour un enseignement de toutes les littératures, aussi bien patrimoniales que contemporaines, françaises qu’étrangères. Les associations traditionalistes veulent revenir à une présentation chronologique de la littérature du Moyen Age au 20ème siècle. Or elle a nourri une catastrophe car elle ne part pas de ce que les élèves sont capables d’aborder. On n’est pour la constitution d’une chronologie mais on ne part pas d’elle pour construire un apprentissage. Elle est indispensable mais ne peut pas faire le programme. Il est plus accessible de partir d’un texte qui va parler davantage aux élèves pour le mettre en résonance avec un texte plus ancien ou plus complexe.
Une autre de vos propositions porte sur l’écriture d’invention. Quels sont ses enjeux ?
C’est de permettre aux élèves de s’exercer à une véritable écriture littéraire. On propose de sortir de l’écriture d’invention qui existe aujourd’hui au bac mais qui est rejeté par les collègues et de le remplacer par un nouvel exercice dans lequel les élèves auraient une écriture littéraire et argumentée.
L’enjeu c’est que les élèves s’essaient à la littérature. Aujourd’hui ils écrivent beaucoup mais hors de l’école, tout seuls ou en collaboration, sur des blogs par exemple, on ne s’intéresse pas à cette écriture. Or beaucoup disent qu’ils ont appris à aimer écrire par cette démarche. Il nous semble important de reprendre ces démarches. Des collègues le font et vous les lisez souvent dans le Café pédagogique. Il faut donc une nouvelle épreuve au bac qui construise une évaluation à partir des compétences attendues des élèves.
Pourquoi ce rejet de l’écriture d’invention ?
Une partie des enseignants la rejettent car ils disent qu’ils ne savent pas l’évaluer. Il sn’ont pas été formés à le faire. Or si un texte nous accroche ou pas il y a bien des raisons et on peut apprendre aux élèves à les développer.
Vous proposez une épreuve de synthèse , du type de ce qui existe en BTS. N’est ce trop difficile pour les lycéens ?
C’est une proposition qu’on va finalement retirer au profit d’une nouvelle forme de l’écriture d’invention.
A l’issue de cette rencontre avec le CSP êtes vous optimiste ?
On est pessimiste. On a appris qu’avant de faire son annonce au conseil des ministres , le ministre a consulté deux associations seulement, reçues le 6 février, l’APL et la Cnarela qui sont les plus traditionalistes. Nous avons écrit au ministre et nous n’avons même pas un accusé de réception. La présidente du CSP nous a demandé de faire des propositions. On va le faire mais nous avons le sentiment que cette concertation ne vise qu’à faire avaliser des choix déjà décidés.
Vous sortez de la conférence du Cnesco sur l’écriture. La recherche donne raison à qui ?
Elle nous donne raison. Elle dit qu’il faut partir de l’écriture pour entrer dans la lecture, qu’il faut écrire. Nos propositions ne tombent pas du ciel. Elles viennent des travaux des didacticiens et des applications de collègues en classe.
Propos recueillis par François Jarraud
Compte rendu de la réunion au CSP