» Loin de l’image d’un professeur se contentant d’appliquer une méthode préétablie, le travail d’enseignant tel que nous l’avons envisagé au long de ces pages est celui d’un équilibriste en situation de penser l’architecture d’un environnement complexe, de jouer sur différents curseurs matériels, psychoaffectifs, sociocognitifs, didactiques pour offrir aux élèves qui lui sont confiés des occasions d’apprendre ». Pour Laurent Lescouarch, qui publie « Construire des situations pour apprendre. Vers une pédagogie de l’étayage » chez ESF Sciences humaines, apprendre est un processus complexe qui engage tout l’environnement de l’élève. Bien loin de chercher la bonne pratique qui miraculeusement va faire progresser l’élève, il invite à « élargir la focale » de l’enseignant à l’ensemble de l’environnement de l’élève. Cela nous donne un livre très riche en exemples qui s’intéresse aussi bien à l’espace scolaire son temps et ses règles qu’à l’évaluation et la façon de mener la classe. Laurent Lescouarch s’en explique dans un entretien accordé au Café pédagogique.
L’étayage
Maitre de conférence en sciences de l’éducation à l’université de Rouen, Laurent Lescouarch introduit dans le vocabulaire pédagogique un nouveau mot : l’étayage. Attention étayage ne vaut pas soutien, un mot déjà très chargé de sens dans le jargon éducatif. » L’idée est de réfléchir non plus en termes de dispositifs mais d’« éléments permettant de faire appui aux apprentissages ». C’est le sens de l’emploi de la notion d’« étayages », pensée au pluriel, car les éléments pouvant contribuer à structurer, soutenir les apprentissages sont de nature variée », écrit-il. L’image qu’il y associe c’est l’étayage que construit le maçon quand il monte un mur le temps que celui-ci sèche et se solidifie. » L’étayage ne serait donc pas restreint à l’intervention de l’adulte en situation de tutelle, car il peut être lié à l’intervention des pairs et ne se limite pas au domaine cognitif ». C’est cela qui explique l’idée « d’élargir la focale » à tout l’environnement de l’élève, même si le livre laissera de coté l’environnement familial et social.
Une redécouverte des différents étais de l’Ecole
La démarche est éminemment pragmatique. Cet élargissement permet une riche visite , appuyée sur des mises au point et de nombreux documents, traversant des dizaines de travaux pédagogiques. Pour les nouveaux enseignants c’est une initiation à de nombreux pans de la pédagogie. Les enseignants plus expérimentés apprendront tous quelque chose dans ce vaste horizon pédagogique.
Ainsi L Lescouarch nous invite à visiter d’abord l’espace scolaire avec l’intention de le revisiter pour faciliter les apprentissages. Cet espace c’est celui de la classe, de son emploi du temps, des règles qui y règnent. Par exemple l’auteur propose différentes organisations de la classe correspondant à des situations pédagogiques différentes.
Le coeur de l’auteur penche quand même pour la coopération et il en donne les clés pour une mise en place dans le premier et le second degré. Il y voit visiblement un élément pour régler la question de la différenciation pédagogique.
Il revisite ensuite d’autres moments pédagogiques forts comme l’évaluation. Un chapitre important est consacré aux besoins des élèves et au contrat pédagogique. Comment soutenir la compréhension des implicites de l’apprendre et mobiliser les élèves.
Il élargit ensuite la focale à ce qui prolonge ou entoure la classe : l’aide aux devoirs, l’accompagnement à la scolarité, les apprentissages qui ont lieu en dehors de la classe.
Une réponse à la question de la réforme de l’Ecole
Tout ce voyage répond à la question de la réforme d el’Ecole. Pour L Lescouarch, » les réformes successives ont une influence marginale sur les pratiques quotidiennes d’enseignement qui restent relativement stables malgré un appel récurrent à la modification de l’exercice du métier.. Nous courons depuis longtemps derrière une espèce de martingale, une volonté de rationalisation des situations d’apprentissage qui peut apparaître, avec le recul, un peu folle et prétentieuse ». D’où l’idée de » réenvisager la question de l’apprendre dans une perspective d’éducation globale ». L’étayage est cet élément sécurisant qui va aider l’élève a construire ses apprentissages.
On appréciera la richesse des documents et des analyses dans ce voyage pédagogique qui restitue les facettes très diverses du métier. L’auteur ne nous donne pas la baguette magique. Mais de multiples clés. A nous de les faire jouer dans toutes ces petites serrures.
François Jarraud
Laurent Lescouarch, Construire des situations pour apprendre. Vers une pédagogie de l’étayage. ESF Sciences humaines, ISBN : 978-2-7101-3416-9
Laurent Lescouarch : L’inventivité des enseignants me fascine
Auteur de » Construire des situations pour apprendre », Laurent Lescouarch revient sur le choix de l’étayage au regard des « bonnes pratiques » à la mode aujourd’hui. Il évoque aussi l’environnement des élèves et la façon dont les enseignants s’en emparent.
Votre livre insère un nouveau mot dans le débat pédagogique, celui d’étayage. Comment le définiriez vous ?
Le livre invite à déplacer le regard de l’enseignant en appelant étayage tout ce qui dans l’environnement de l’élève va faire soutien à son apprentissage. Non seulement le milieu mais aussi toutes les interactions. C’est l’idée que la fonction de l’adulte est de faire appui pour permettre l’apprentissage de l’enfant.
C’est faire le deuil des « bonnes pratiques », voire des pratiques « basées sur la preuve » ?
Je suis gêné par le terme « bonne pratique ». Bien sur on ne peut pas se passer des savoirs scientifiques. Par exemple tout ce qui permet de comprendre comment les enfants apprennent est incontournable. Mais en déduire des pratiques est un raccourci pas tenable.
Car les pratiques sont contextualisées et ce qui marche dans un contexte ne fonctionne pas forcément dans un autre. Il reste toujours la part de la réflexion pédagogique et de la contextualisation. Mon idée est plutôt de réfléchir à tous les leviers qui semblent prometteurs en laissant les enseignants les agencer selon le contexte.
Dans « Profs et élèves, les bons et les mauvais », Jean Houssaye montre que tous les 5 ans l’Ecole est traversée par un nouveau discours d’autorité qui déconsidère les pratiques antérieures et affirme avoir la bonne solution. On verra dans 20 ans ce qui se dira des savoirs qu’on veut présenter aujourd’hui comme de bonnes pratiques…
Votre ouvrage invite à revisiter l’environnement de l’élève. Mais n’est ce pas très (trop?) large ?
Je pars du cadre de l’enseignement, des rituels et des règles de management symbolique qui permettent au groupe classe de se constituer. Et j’évoque aussi l’environnement matériel et ses ressources : le matériel didactique, les ressources pour travailler.
Une de ces ressources c’est l’autre. J’introduis l’idée que la différenciation peut passer par le fait de favoriser les interactions entre élèves. J’évoque aussi les travaux sur le tutorat qui sont peu explorés encore en classe. J’essaye à travers cela de redéfinir des marges d’action pour les enseignants pour éviter le sentiment qu’ils ont parfois « qu’on a tout essayé » alors qu’il reste encore beaucoup à explorer , par exemple en matière de dispositifs de coopération.
Personne ne pourra s’emparer de toutes ces pistes. Mais chacun pourra les adapter à son contexte.
Vous revenez souvent dans le livre sur la coopération. Finalement est ce que vous n’induisez pas une pratique ?
Je ne voudrais pas. Le livre revient sur les sources théoriques, comme le constructivisme, ce qui me semble encore nécessaire. Mais il multiplie aussi les exemples parce qu’eux aussi sont nécessaires. Ces exemples montrent ce qu’il est possible de faire. Ce ne sont pas des idées à appliquer forcément dans son propre contexte. Par exemple, le travail en ilot est intéressant dans certains contextes mais pas dans tous. Par exemple il lui faut tout simplement une grande salle de classe.
En fait dans ce livre je témoigne de ce que je vois. Par exemple j’ai vu aujourd’hui dans une classe des enfants en travail individualisé qui régulent leur plan de travail et sont dans l’entraide. Ils ont intériorisé l’idée que la règle est un médiateur entre eux, qu’elle est nécessaire. Voilà un exemple de médiation qui n’est pas directement dans l’apprentissage mais qui permet de créer un climat favorable à l’apprentissage. C’est un étayage. Ces exemples se retrouvent dans le livre.
Dans quelle mesure les enseignants sont ils maitres de leur environnement ?
Ils le sont davantage dans le premier que dans le second degré. A l’école élémentaire le professeur est maitre chez lui. Il a une marge importante de liberté. C’est différent dans le second degré où il peut y avoir davantage d’obstacles.
Finalement vous développez dans le livre une conception de ce que doit être un enseignant ?
Pour moi c’est un praticien théoricien de la pratique éducative. Ils sont en capacité de théoriser leurs pratiques. Je dois dire que leur inventivité me fascine. Ils sont en permanence dans un processus de création pour ajuster leur pratique au plus près des besoins des élèves.
Je développe aussi l’idée que rien ne peut se concevoir sans tenir compte des autres espaces éducatifs comme les loisirs culturels ou le périscolaire. Il y a un enjeu fort pour l’Ecole à le comprendre. Sinon elle peut finir par s’épuiser dans son sanctuaire.
Propos recueillis par F Jarraud
Laurent Lescouarch, Construire des situations pour apprendre. Vers une pédagogie de l’étayage. ESF Sciences humaines, ISBN : 978-2-7101-3416-9