Eidos 64 : Irrésistible innovation ?
« Innover en classe : la résistance est-elle (f)utile? » » : tel était le thème choisi pour son édition 2018 par Eidos 64, le Forum des pratiques numériques pour l’éducation, qui s’est déroulée le 24 janvier à Bayonne. Toute innovation est-elle un progrès ? Comment la résistance à l’innovation lui est-elle potentiellement utile ? Comment généraliser une innovation au risque de la sortir de son contexte et de lui faire perdre son intérêt ? Au programme : des conférences (Stephen Downes, Françoise Cros, André Tricot) et 64 ateliers d’échanges de pratiques. Un riche et vivifiant carrefour où se sont croisés chercheurs et enseignants de terrain, de la maternelle au supérieur, des Pyrénées-Atlantiques au Canada…
Questionner l’innovation ?
Le programme de la manifestation invite à interroger la mise en avant de l’innovation. Citons quelques-unes des pertinentes questions posées par Benoit Lacherez, organisateur du Forum. Doit-on toujours associer innovation et amélioration, innovation technologique et progrès ? Une innovation technique est-elle forcément une innovation pédagogique ? L’obsolescence programmée de l’innovation ne serait-elle pas un frein au changement ? L’innovation n’est-elle pas souvent qu’un nouveau nom appliqué à une pratique connue depuis longtemps dans les pédagogies actives de Jacotot, Freinet ou Montessori ? A quoi bon inventer de nouvelles pratiques si elles ne peuvent pas être répliquées dans d’autres classes, par d’autres enseignant.es ? Les quelques arbres plantés par certain.es ne cacheraient-ils pas « l’immense forêt d’une école immobile, celle qui résiste à tout changement ? » Mais une innovation, quand elle est institutionnalisée, ne perd-elle pas son caractère innovant ? La capacité « à trouver LA solution adaptée au contexte particulier d’une classe particulière à un moment particulier, n’est-ce pas une forme d’innovation impossible à répéter ou à généraliser, mais qui fait toute la valeur de nos enseignants ? » La résistance à l’innovation ne lui confère-t-elle pas sens et vigueur ? L’innovation peut-elle être imposée contre la volonté de ceux à qui elle est censée profiter ? N’est-ce pas dans la diversité et la spontanéité des pratiques innovantes que réside toute leur valeur ?
Eidos côté conférences
Stephen Dawnes, expert canadien dans les domaines de l’apprentissage en ligne et des nouveaux médias, porte précisément son intervention sur « l’innovation dans le numérique en éducation ». Innover, explique-t-il, c’est créer de la valeur à partir d’une idée. Les MOOC devaient aider à devenir responsable de son propre parcours d’apprentissage, mais le plus souvent ce sont devenus des cours traditionnels et des produits commerciaux. Cela dit, loin d’être morts : 78 millions d’étudiants ont suivi des cours en ligne en 2017 ! Stephen Downes éclaire les « moteurs » des changements, et les « attracteurs », les éléments susceptibles de représenter un bénéfice. L’avenir, insiste-t-il, se trouve dans la coopération : la coopération est un échange de valeurs orienté vers la production d’un bien commun, il s’agit de faire en sorte que les gens définissent leurs bénéfices et travaillent en réseau. L’enseignant doit se considérer comme le principal apprenant : celui qui explore, découvre, crée …
Françoise Cros, du Centre de recherche en formation du CNAM, montre combien l‘innovation à l’Ecole se situe « entre injonction institutionnelle et nécessité pédagogique ». L’innovation repose selon elle sur 4 ingrédients : la nouveauté (relative, tant tout a déjà été fait, tant la nouveauté est relative à celui qui l’énonce et au contexte dans lequel il le met en œuvre), une amélioration, des valeurs, un processus (plutôt qu’un projet tant « on y va en tâtonnant »). Le mot « innovation » est utilisé officiellement dans les textes officiels depuis 1960. Différents temps politiques se sont depuis lors succédé, que Françoise Cros analyse pour éclairer les stratégies successivement mises en œuvre pour en conduire le pilotage. Le rôle et le statut des « innovateurs » a beaucoup changé : « acteur marginal sécant » avec accompagnement « orthopédique » de 1960 à 1980, « acteur déclaré porteur de l’innovation » avec « diffusion cadrée » de 1981 à 2000, « agent responsable de la mise en œuvre et sa possible diffusion » avec soutien et valorisation de l’institution de 2001 à 2010, « créateur collectif de nouvelles pratiques potentiellement porteuses d’innovations » de 2011 à 2017 avec diffusion de l’idée que chacun est susceptible d’innover et de faire sa promotion. En guise de conclusion, Françoise Cros invite à démasquer les valeurs à l’œuvre dans le numérique.
André Tricot, professeur d’université en psychologie à l’ESPE de Toulouse, veut éclairer les « mythes et réalités » qui s’attachent à l‘innovation pédagogique. Plusieurs « idées reçues » sont ainsi à débattre, tant elles paraissent ne reposer sur aucune donnée empirique. A la question de savoir si « faire manipuler permet de mieux apprendre », André Tricot répond en appelant à la nuance : être actif, est-ce au sens physique ou au sens cognitif ? l’action est-elle considérée comme un moyen d’apprendre ou comme but de l’apprentissage ? L’important, selon André Tricot, c’est d’être actif cognitivement. Il existe d’ailleurs différents niveaux d’engagement et d’attention : passif (les élèves reçoivent des explications auxquelles ils accordent de l’attention), actif (les élèvent manipulent les supports d’apprentissage), constructif (les élèves génèrent de l’information au-delà de ce qui a été présenté), interactif (les élèves, à travers un dialogue, collaborent à une co-construction). Plus on est proche de ce niveau 4, plus les élèves apprennent, plus le niveau d’apprentissage est exigeant, … plus il y a risque aussi de perdre les élèves faibles. Selon André Tricot, l’effet de l’activité est « positif pour les apprentissages procéduraux, nul ou négatif pour les apprentissages notionnels ». Les élèves apprennent-ils mieux quand ils découvrent par eux-mêmes ? La réponse là encore se veut subtile : « tout est affaire de dosage du guidage. » Et André Tricot de conclure : « Nous n’avons pas besoin de solutions globales, ni de modes ».
Eidos côté ateliers
Les 64 ateliers le plus souvent animés par des enseignant.es n’avaient pas la prétention d’apporter des « solutions globales » ou d’obéir à des « modes ». Plutôt l’audace de tenter les « micro-innovations » évoquées par André Tricot pour renforcer les apprentissages au sein de la classe. Les participant.es ont ainsi pu explorer et partager des pratiques originales, échanger sur leurs intérêts, leurs difficultés, leurs plaisirs.
Le numérique transforme nos façons de lire, d’écrire, de nous relier aux autres. Et s’il le faisait aussi à l’Ecole pour retrouver le plaisir de la lecture, travailler la langue et la littérature d’une autre façon ? Au lycée de l’Iroise à Brest, des élèves de 1ère ont entièrement réécrit un roman de Camus via Instagram : un étonnant travail de pratique réflexive, et de la littérature, et du numérique (voir autre article). Le projet « écritures transmedia 3.0 » a quant à lui « mixé » des secondes du lycée Malraux et le public (« plutôt senior ») de la médiathèque de Biarritz. Le Collectif Or Normes de Poitiers y a animé des ateliers d’écriture autour de nouvelles d’Annie Saumon avec comme support des outils de travail collaboratif et comme enjeu une adaptation des œuvres telles qu’elles auraient pu s’écrire à l’âge des réseaux sociaux. Le projet comprend plusieurs étapes de travail : scénariser le texte, travailler les identités, y compris numériques, des personnages, mettre en place l’environnement d’écriture en fonction de ces identités. Au bout du compte, témoignent Christelle Derré et Martin Rossi, du collectif Or Normes : il s’agit de « confronter les codes littéraires aux réseaux sociaux ». Pour Véronique Delort-Sarran, enseignante de français : « Les élèves retrouvent une forme de plaisir de lire inédite. On va sur leur territoire. Cette éditorialisation du texte de l’auteur constitue une aventure de la lecture et de l’écriture. » Tandis qu’une élève souligne combien le texte lui est « devenu beaucoup plus clair.» La diffusion et la valorisation des propositions littéraires et artistiques des élèves se fait grâce à une application mobile (PoulpFictions) qui permet de lire le récit sur smartphone en temps réel, avec un système original de notifications au lecteur, de « notifictions ».
Impossible ici de rendre compte de la variété des ateliers proposés. On se contentera de livrer quelques pistes susceptibles de donner des idées : utilisation en CP du robot Ozobot pour faire vivre le conte « Bon appétit M. Lapin » (Lydie Cassou, école de Pontacq), classe coopérative autour de l’autobiographie comme pour tisser numériquement des liens entre le « je » et le « nous (Annaig Collias, collège de Peyrehorade), ludification du cours d’anglais (Aurore Coustalat, collège Daniel Argote d’Orthez), jeu interactif autour des troubadours (Béatrice Cartron, Collège Clisthène de Bordeaux), réalisation d’un jeu de piste avec l’application izi-travel pour faire découvrir la ville de Bayonne aux correspondants Erasmus+ (Christophe Delgado, lycée Louis de Foix) ? la Twictée, dispositif collaboratif d’apprentissage et d’enseignement de l’orthographe désormais adopté par plus de 900 classes (Antonia Carriquiry, Mathieu Larramendy, Laetitia Vautrin) ? activités en sciences-physiques ou en lettres avec des tablettes numériques pour favoriser les apprentissages et l’implication des élèves (Sébastien Lochet, collège de Souston, et Marie Soulié, collège d’Orthez), enquête policière et interdisciplinaire lors d’un voyage scolaire à Londres débouchant sur la création d’un jeu en ligne (Stéphanie Boudard, Michel Dezest, Caroline Legleu), utilisation des Boîtes Electriques, outil numérique de sensibilisation à la musique (Philippe Guillem, atelier Canopé de Mérignac), projets numériques interdisciplinaires en français / histoire-géo (Marie Especel et Marlène Partyka, collège Jacques Prévert de Bourg sur Gironde), usages du numérique pour susciter des interactions réelles en FLE et valoriser les productions des apprenant.es (Géraldine Larguier, université de Pau), expériences sur la « forme scolaire » pour proposer « une atmosphère immersive en classe », favoriser « l’enrôlement et le maintien des élèves dans les tâches scolaires » (Bruno Vergnes, collège Pierre Emmanuel à Pau) …
L’enseignant innovant : un enseignant chercheur ?
Chercheurs le matin et enseignants l’après-midi : Eidos 2018 a exploré l’innovation entre questionnements théoriques et propositions pratiques. Oscillation sans aucun doute intéressante, sans doute aussi susceptible d’être prolongée et enrichie par un véritable dialogue entre universitaires et praticiens. A même, espérons-le, de diffuser cette démarche par laquelle chaque enseignant innove en se faisant lui-même chercheur. Autrement dit, pour reprendre les mots de Benoit Lacherez, l’enjeu est bel et bien de « promouvoir l’engagement des enseignants vers une démarche de recherche, une ouverture sur les apports de la science et des technologies couplée à une attitude réflexive sur le travail mené en classe et les besoins des élèves, qui les amènent à chercher, seuls ou en équipe, de nouvelles façons d’enseigner. »
Jean-Michel Le Baut
Le site d’Eidos 64 :
L’application PoulpFictions :
https://play.google.com/store/apps/details?id=com.goodbarber.testengrenages&hl=fr
EPI, et après ?
L’Education nationale jettera-t-elle le bébé de l’interdisciplinarité avec l’eau du bain, celle des « Enseignements Pratiques Interdisciplinaires » qui ont subi un quasi lâchage officiel, celle des TPE dont on annonce la suppression ? La revue « Recherches » consacre précisément son nouveau dossier aux « interdisciplinarités », celles que les « reconfigurations internes » et les « frottements externes » d’une matière comme le français poussent sans cesse à explorer. Parmi les articles variés du dossier, comme pour suppléer à l’absence d’évaluation ministérielle des EPI, on lira avec intérêt les comptes rendus d’expériences de trois enseignant.es de l’académie de Lille, Sophie Dziombowski, Malik Habi et Stéphanie Michieletto-Vanlacker. De la motivation, des difficultés, des plaisirs : un bilan contrasté, forcément partiel vu la mise en œuvre précipitée et avortée du dispositif ? Et s’il fallait aller plus loin comme nous y invite l’universitaire Nicole Viagioli ?
EPI par l’exemple
Enseignant.es dans l’académie de Lille, Sophie Dziombowski, Malik Habi et Stéphanie Michieletto-Vanlacker racontent avec précision l’aventure des EPI dans leurs collèges respectifs : les réunions de préparation, la constitution des équipes, le choix des sujets, les étapes et les difficultés de la mise en œuvre, la complexité de l’évaluation …
A Haubourdin, les équipes de français, d’histoire, de musique et d’arts plastiques ont travaillé plus particulièrement les deux EPI suivants ; « Regards d’artistes sur la guerre aux XXème et XXème siècles » et « Déjà lu, déjà vu ! Quand les artistes contemporains revisitent les mythes antiques ». Au Vieux-Condé, les professeur.es de français ont collaboré à différents regroupements interdisciplinaires sur des thèmes variés : « Orphée, un héros malheureux ? », « Le Trivial Pursuit des réseaux sociaux », « Les histoires policières », « La ville d’hier à demain », « Les mutations génétiques des X-Men sont-elles possibles ? ». A Pecquencourt, les enseignant.es de français ont contribué à des EPI sur le sujet « ségrégation et racisme » en 3ème et sur le sujet « Nourrir les humains d’hier à aujourd’hui » en 3ème.
EPI, quel bilan ?
Quel est le regard porté au final sur le travail ainsi mené ?
« Dans le meilleur des cas, ces EPI ont été l’occasion de créer un réel espace interdisciplinaire où chaque enseignant impliqué dans le dispositif a pu construire, dans l’échange avec ses collègues, un objet de savoirs et d’apprentissages minutieusement réglé. Et cet échange protéiforme s’est construit et s’est nourri en voyant l’autre faire, en observant la didactique d’une autre discipline ou une gestion de classe différente.
Ainsi, l’investissement des équipes, le savoir-faire des enseignants, les habitudes de travail d’équipes pluridisciplinaires ont souvent permis la réalisation de projets intéressants. D’autre part, l’intégration de tous les professeurs a parfois eu le mérite de faire bouger le regard de certains collègues qui ont pu se sentir légitimes dans des tentatives d’activités qu’ils ne se seraient pas autorisés avant.
Mais pour pouvoir collaborer de la sorte, encore faut-il donner aux enseignants du temps ; du temps pour se former, pour échanger, pour échanger, pour travailler ensemble dans une même direction. Bref, l’interdisciplinarité se construit, elle ne se décrète pas ni ne peut être imposée.
Dans le pire des cas, ces EPI ont été construits de manière laborieuse, tant il n’est pas toujours aisé de devoir convaincre des collègues de l’utilité d’un projet interdisciplinaire, des collègues déjà lourdement accaparés par de nouveaux programmes et les nouvelles épreuves du brevet (…). La précipitation avec laquelle les EPI ont dû se mettre en place, conjuguée aux contraintes d’emploi du temps, a naturellement abouti à des solutions fondées sur la juxtaposition d’activités au niveau disciplinaire.
On pourrait enfin objecter qu’aucune évaluation ni bilan de ces EPI n’a été fait dans la plupart des collèges … tout comme au niveau ministériel ; et vu l’énergie déployée par la plupart des enseignants pour œuvrer à la bonne marche des EPI, il y a de quoi se sentir frustré, voire lésé. »
Pour une culture scolaire de « l’interdidactique »
En guise d’élargissement, un passionnant article de Nicole Viagioli, du laboratoire I3DL de l’Université Nice Sophia Antopolis, appelle les enseignant.es à se libérer du risque d’enfermement dans les cultures disciplinaires. « D’une part, un savoir ne s’enseigne jamais seul, et peut en mobiliser d’autres qui sont pris en charge par d’autres disciplines. D’autre part, le découpage des savoirs varie selon les époques et les pays et les effets d’expansion et de réduction font que, parfois, certains savoirs sont implicites alors que leur explicitation pourrait être utile. Enfin, les élèves sont les acteurs scolaires les plus soumis à la nécessité de coordonner les apports des différentes disciplines aussi bien pour s’organiser au qotidien que pour tâcher de comprendre les relations qui les articulent et en déduire éventuellement un projet d’orientation personnelle ».
Le français en particulier constitue « un cas particulier d’exposition aux troubles interdidactiques » : parce que la langue « le relie de façon organique à toutes les disciplines » et que la littérature « le relie, par le biais de la représentation du monde, à l’ensemble des discours et des savoirs ». Nicole Viagioli en éclaire de nombreuses manifestations, qui ouvrent des possibilités de travail dans la classe. Comment par exemple mener des approches comparatives des langues pour favoriser « l’assimilation différenciatrice et la réflexion grammaticale autonome des élèves » ? Comment une approche à la fois littéraire et historique des mythes invite-t-elle à réfléchir sur leurs « régimes de vérité » ? Comment l’histoire littéraire telle qu’institutionnalisée devient elle à son tour l’instrument du « roman national » ? Comment inviter les élèves à rendre compte de leurs lectures sous des formes créatives qui croisent « lecture littéraire, production en arts plastiques et visuels, et conception de projet (qui relève de la technologie) » ?…
Et Nicole Viagioli d’inviter à « rendre possible au niveau du lycée ce que l’on a commencé de faire au collège : préparer la transférabilité des compétences de compréhension et de production écrite et orale exercées sur la littérature à d’autres champs de pratiques et de savoirs. La littérature comble l’âme, mais les compétences discursives permettent : d’apprendre tout au long de la vie, de trouver un emploi, de pouvoir en changer, de s’intégrer dans la société. Et ce n’est pas contradictoire. Alors ? »
Notes de lecture par Jean-Michel Le Baut
Le site de la revue :
http://www.recherches.lautre.net/
Un EPI français-anglais dans Le Café :
Un EPI français-histoire-géo dans Le Café :
Un projet pluridisciplinaire dans Le Café :
Apprendre à écrire et rédiger : Une nouvelle conférence du Cnesco
Qu’est-ce qu’apprendre à écrire ? Comment prendre en compte la diversité des écrits dans l’enseignement (brouillons, textes complexes, notes, etc.) ? L’orthographe et la grammaire s’apprennent-elles en écrivant ? Faut-il encore apprendre à écrire « à la main » ? Comment intégrer le numérique dans les pratiques d’écriture ? Le Cnesco et l’iFé organisent les 14 et 15 mars une conférence de consensus pour laquelle les inscriptions s’ouvrent le 10 janvier. Michel Fayol et Jean-François Chesné expliquent les motifs de cette conférence et en fixent quelques enjeux.
Un niveau en production d’écrit en baisse
Mars 2016, le Cnesco organisait une conférence de consensus sur la lecture qui concluait notamment à la nécessité de travaux d’écriture avec la lecture. Mars 2017, Cnesco et IFé reviennent sur ces compétences fondamentales. Sous la présidence de Catherine Brissaud et de Michel Fayol, un groupe de chercheurs travaille depuis des mois à préparer cet événement.
Si cette conférence s’impose c’est que si le niveau en compréhension de texte des jeunes français est resté stable selon l’enquête Cedre depuis 2003, il n’en va pas de même pour l’orthographe et la production d’écrit.
Une étude publiée par la Depp en 2016 montre une nette dégradation des compétences orthographiques depuis 1987. Là où l’écolier de 1987 faisait en moyenne 11 fautes, celui de 2007 en a fait 14 et celui de 2015 18.
Les enquêtes Cedre évaluent aussi la production d’écrits. En fin de collège, » pour près de 70 % d’entre eux, les élèves tiennent compte des consignes proposées et élaborent des contenus adaptés à la situation de communication, qu’il s’agisse d’un texte d’invention ou d’un texte argumentatif. Environ 60 % des élèves sont capables d’assurer l’organisation et la cohérence du texte, c’est-à-dire de respecter une structure textuelle ou une organisation appropriée au texte à produire et d’assurer la continuité textuelle par un jeu approprié de reprises ». Un pourcentage sensible des élèves en est donc incapable. Notamment Cedre constate qu’il n’ya plus de lien entre le niveau orthographique et la compréhension de l’écrit. On constate aussi un écart entre garçons et filles.
Les 6 thèmes de la conférence
Alors six thèmes seront abordés les 14 et 15 mars. D’abord une réflexion sur les enjeux de la maitrise de l’écriture (avec notamment Y Reuter et S Plane). Puis S Andreu et Anne Vibert feront le point des connaissances sur les performances des élèves en France. Le troisième thème concernera la variété des écrits avec notamment la question du brouillon et des usages (O Lumbroso). La conférence s’interssera ensuite aux « premiers écrits » avec la question de l’apprentissage sur tablette ou manuscrite (JL Velay). Les questions de l’orthographe et de la gramaire (L Allal et P Gourdet) seornt abordées dans la 5ème vague d’interventions. Les nouvelles pratiques d’écriture, notamment numériques, boucleront la conférence avec J Crinon, F Amadieu et MC Penloup.
Un jury composé de professionnels (enseignants , inspecteurs, formateurs etc.), présidé par JP Bronckart, remettra ses conclusions en avril. Les inscriptions à la conférence à Paris ou à distance ouvrent le 10 janvier.
Pour s’inscrire
http://www.cnesco.fr/fr/production-de-lecrit-participez-a-la-prochaine-conference-de-consensus/
Michel Fayol : « Partout la production d’écrit est plus difficile que la lecture »
Michel Fayol, président de la conférence de consensus et Jean-François Chesné, directeur scientifique du Cnesco, présentent quelques questions traitée slors de la conférence.
Il y a moins de deux ans le Cnesco a organisé une conférence sur la compréhension de l’écrit. Pourquoi mettre l’accent maintenant sur l’écriture ?
Michel Fayol : La lecture est une activité où on reconnait des mots et on se fabrique une représentation. La production d’écrit c’est l’inverse.On pourrait penser que quand on maitrise l’un on maitrise l’autre. C’est exact dans des systèmes d’écriture très symétriques comme le finlandais , mais pas en français. Savoir lire n’est pas une garantie de savoir orthographier. Ce n’est pas parce qu’on est un bon lecteur qu’on est un bon rédacteur.
La production d’écrit a plusieurs composantes. Quand on veut rédiger on doit faire plusieurs opérations mentales : organiser sa pensée et aussi orthographier. C’est très difficile et c’est pour cela que l’orthographe fait partie des questions étudiées.
Partout la production d’écrit est considérée comme plus difficile que la lecture. Il y a un vrai problème d’apprentissage et aps seulement pour l’orthographe. La conférence a pour thème « l’écriture et la rédaction » pour bien marquer qu’on ne se focalise pas sur l’orthographe.
Jean-François Chesné : Le programme est large. Il ne concerne pas que le primaire. Il s’intéresse aux modalités de production de l’écrit sans restrictions.
La question du brouillon est au programme de la conférence. C’est un sujet de recherche ?
MF : On l’a inclus car c’est une stratégie parmi d’autres. On s’interrogera pour savoir s’il doit être obligatoire ou optionnel. Avec le brouillon c’est la question de la gestion du passage entre l’idée et la rédaction qui est posée.
Une autre question vive c’est celle de l’écriture manuscrite. Doit on continuer à apprendre l’écriture manuscrite ou ne plus enseigner que l’écirture dactylographique ? Et quel est le rapport entre la forme d’écriture et l’apprentissage orthographique ? JL Velay , qui intervient dans la conférence, estime, en se basant sur l’imagerie cérébrale, qu’il faut maintenir l’écriture manuscrite. Mais des états américains l’ont abandonnée.
Le numérique est-il en train de tuer l’écriture ?
MF : On peut s’en faire un motif de frayeur. Mais on peut aussi le considérer comme une aide. Les gens de mon âge font plus de fautes avec l’écrityre dactylographiée que manuscrite. Mais est ce la cas des nouvelles générations ? Le traitement de texte peut aussi être une aide pour chercher une forme orthographique ou syntaxique. Il permet de modifier facilement son écrit. Il peut aussi avoir des avantages pour peu que les élèves y soient initiés.
JFC : La conférence s’intéressera aussi à l’écriture collaborative , une dimension facilitée par le numérique et qui se pose aux enseignants français.
A quoi les enseignants peuvent-ils s’attendre après la conférence ?
MF : Le jury va s’emparer des informations collectées à l’occasion de la conférence et élaborer des recommandations sur les apprentissages. Elles seront publiées avec comme objectif d’accompagner les enseignants, de les aider dans leur vie quotidienne.
Vous pouvez dès le 10 janvier vous inscrire.
Propos recueillis par François Jarraud
Pour s’inscrire
http://www.cnesco.fr/fr/production-de-lecrit-participez-a-la-prochaine-conference-de-consensus/
Niveau en orthographe
Cedre production d’écrit
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/90/7/depp-ni-2016-21-cedre-2015-college_604907.pdf
Le CSP et la bataille du prédicat
Dans un tonique article publié dans la dernière livraison de la revue Pratiques, excellemment documenté, Sylvie Plane, didacticienne et vice présidente du CSP, revient sur la bataille du prédicat. Une réflexion qui éclaire l’échec des réformes en France et le rôle du CSP.
« Que la grammaire suscite des querelles et soit à l’origine d’argumentaires très toniques n’est pas une chose étonnante : on se souvient que L.-N. Bescherelle et ses collaborateurs en 1838, année où ils font paraitre leur propre Grammaire de l’école pratique, intitulent un de leurs ouvrages Réfutation complète de la grammaire de MM. Noël et Chapsal ; ou que l’adoption du terme complément, présent dans les analyses de la langue depuis C. C. Du Marsais et N. Beauzée1 a fait l’objet de batailles face à la concurrence redoutable de régime, d’attribut, et d’objet2 ; ou encore que cet étrange compromis qu’est le complément d’objet3 dans la nomenclature de 1910 ne se comprend que comme une réponse qu’adresse la commission présidée par F. Brunot à d’autres catégorisations reposant sur des principes hétéroclites (Vergnaud,1980 ; Boutan, 1997 ; Fournier, 1998). Mais les mésaventures récentes du prédicat ne sont pas du même ordre : il ne s’agit pas d’une controverse entre grammairiens, mais d’un formidable déferlement d’opinions peu informées qui, prenant prétexte du prédicat pour critiquer des courants pédagogiques, envahit l’espace public et, à grand renfort de répétitions en boucle, diffuse des représentations erronées de ce concept grammatical, empêchant ainsi tout débat de fond et livrant à la vindicte populaire les concepteurs des programmes ». S Plane décrit précisément les rouages de l’emballement médiatique avec les relais conservateurs bien connus.
Mais le plus intéressant est la conclusion. « Fallait-il donc introduire la notion de prédicat dans les programmes ? Si l’on se place sur le strict terrain de l’enseignement grammatical, les décisions qui ont été prises ont été pertinentes et elles ont d’ailleurs été aisément opérationnalisées par ceux qui ont pris la peine de lire les programmes… Mais si l’on se place sur le terrain de la stratégie, la réponse est nécessairement plus nuancée. D’une part, comme il a été dit plus haut, le contexte était défavorable, d’autant que venaient d’être publiés les résultats d’évaluations montrant une faiblesse des élèves en orthographe : on a été à deux doigts d’imputer au prédicat ces mauvaises performances. D’autre part, faute de moyens, il n’a pas pu être mis en place une formation préparant en amont les formateurs puis, par leur intermédiaire, les enseignants à la réception et à la compréhension de ce qui changeait dans la grammaire ». Une réflexion qui illustre les limites de l’action du CSP dans son ensemble et de la façon dont sont menées les réformes pédagogiques par le ministère.
F Jarraud
Dans la revue Pratiques
http://journals.openedition.org/pratiques/3753
Langues anciennes : Le rapport Charvet veut croire au redressement
Les Langues et cultures de l’Antiquité (LCA) peuvent-elles connaitre un nouvel âge d’or ? Pascal Charvet a remis à Jean Michel Blanquer un rapport pour relancer cet enseignement. C’est que si la crise des LCA est très profonde, leur développement est devenu un sujet politique majeur pour le ministre.
Une situation privilégiée en Europe
« Nous partageons la conviction que les Humanités, dont les langues et cultures de l’Antiquité sont un des piliers essentiels, ne constituent ni une discipline caduque, ni une pédagogie surannée, ni un apanage de l’élite, mais donnent les clés d’une formation et d’un accomplissement intellectuels. C’est sur elles que s’est fondée l’École de la République, non par un goût antiquaire des pédagogues des siècles passés, mais parce qu’elles sont une initiation à la réflexion et à l’acquisition des outils qui permettent à cette dernière de se développer et de s’exprimer. Cette formation de base, dont ce rapport vise à redéfinir les objectifs et le sens dans le contexte actuel, ne tient pas les langues et cultures de l’Antiquité pour un ensemble de connaissances à acquérir, mais avant tout pour un instrument efficace, afin que les élèves comprennent et approfondissent leur relation à la langue, au savoir et au monde ».
Inspecteur général, Pascal Charvet livre un nouveau rapport très complet sur l’enseignement des LCA, ouvert sur la comparaison internationale et sur les pratiques pédagogiques les plus innovantes pour redresser la situation d’un enseignement qui se réduit comme peau de chagrin.
Les LCA jouissent pourtant en France d’une situation particulièrement privilégie : la France est le seul pays en Europe où les LCA sont une option proposée à tous les élèves du secondaire, collège et lycée. 12% des élèves suivent les LCA, à comparer aux 8% en Allemagne par exemple. Mais leur nombre est en chute rapide. Surtout on assiste à u décrochage brutal entre collège et lycée : 15% des élèves de 3ème font du latin contre 5% en seconde.
Un enseignement élitiste ?
Pascal Charvet se donne beaucoup de mal pour écarter la dimension ségrégative de cet enseignement. Il compare le latin (48% d’enfants privilégiés) au chinois (53%) ou à l’allemand (40%). Mais l’argument élitiste ne peut pourtant pas être écarté aussi facilement. Plusieurs études sociologiques montrent que les options, et particulièrement les langues anciennes et les secondes langues, sont utilisées pour construire la ségrégation sociale dans les collèges. « Les options ne sont pas prises de manière égale par les élèves des différentes classes sociales. Les plus aisés prennent plus souvent le latin ou l’allemand par exemple », explique Son Thierry Ly, auteur avec Eric Maurin et Arnaud Riegert d’une étude sur la ségrégation dans les collèges franciliens. Selon cette étude, « pour 62% des élèves ségrégués socialement (et 70% scolairement), la répartition des élèves selon leurs choix d’option et de langues suffit à expliquer la segmentation observée ». En 3ème c’est 76% des élèves. Une autre étude, celle de François Baluteau, souligne le rôle du latin grec. 74% des collèges défavorisés proposent le latin mais 53% des favorisés ont latin grec. Pascal Charvet semble d’autant moins convaincu qu’il recommande lui même la reconstitution d’une filière latin grec entre collège et lycée : les élèves suivant LCA au collège seraient prioritaires pour accéder aux lycées offrant LCA.
La menace d’une disparition des professeurs de lettres classiques
Autre élément de la crise : les départs à la retraite des enseignants de LCA ne sont pas remplacés car le recrutement s’est effondré. En 5 ans, 1500 professeurs sont partis en retraite et 500 n’ont pas été remplacés. En une génération, les professeurs de lettres classiques pourraient totalement disparaitre. P Charvet préconise une mention complémentaire pour augmenter le nombre d’enseignants en lettres classiques.
Pascal Charvet : Le latin et le grec lieu de construction d ‘une culture générale
On compte de moins en moins de professeurs de lettres classiques car on a de moins en moins d’étudiants en langues anciennes. La messe est elle dite pour les LCA ?
Les humanités doivent se renouveler pour reconquérir leur place. La messe n’est pas dite si on comprend que cet enseignement peut répondre à une meilleure compréhension de la langue. Et si on prend appui sur une certification complémentaire, qui pourrait être proposée à des historiens, des professeurs de philosophie ou d’italien, pour trouver de nouveaux enseignants. Il est important qu’on ne ferme pas les yeux sur l’avenir. En 8 à 10 ans on peut réamorcer la pompe du recrutement.
Aujourd’hui les LCA sont surtout un élément des stratégies familiales pour tracer une route dans le système scolaire. On le voit dans l’effondrement du nombre d’élèves entre collège et lycée.
Au collège les classes de latin ont disparu. On ne peut donc pas parler de stratégie familiale. Les parents pensent que les LCA peuvent aider les enfants à structurer leurs acquis grammaticaux. Au lycée la fuite vient en partie du fait que ce sont des disciplines difficiles. Pourtant elles donnent une réelle culture humaniste aux jeunes.
Avec cette initiation à la culture antique les élèves connaissent mieux la langue et acquièrent une capacité à penser. On peut travailler des notions en dehors du latin et du grec. Mais les LCA apportent des notions fondamentales. Par exemple elles permettent un travail intéressant sur le lexique. Le latin et le grec peuvent être un lieu de réflexion et de construction d ‘une culture générale.
Les chefs d’établissement ont-ils un rôle clé dans le redressement du latin et du grec ?
On ne peut rien sans eux. Je suis respectueux de l’autonomie des établissements. Mais ils doivent comprendre que quand la demande est là, il ne faut pas descendre les horaires de LCA. Il va falloir réfléchir à un fléchage pour qu’ils puissent éviter les situations délicates.
Votre rapport mise aussi sur des pratiques pédagogiques nouvelles pour mettre en valeur les LCA. Des exemples ?
On observe une excellente utilisation du numérique pour faire travailler les élèves en groupes différents. Par exemple je cite les ateliers de traduction où les élèves travaillent ensemble à élaborer une traduction entre des classes différentes éloignées par exemple des élèves de Rennes et de Versailles.
Un autre exemple : à Marseille, 42 collèges proposent un enseignement conjoint des langues anciennes pour apprendre aux élèves les fondamentaux de la phrase à travers des comparaisons. Les LCA aident à développer des compétences en syntaxe et à comprendre la structuration de la phrase.
Vous donnez aussi un rôle au théâtre ?
On construit des capsules vidéo pour un travail sur le sens des mots et sur le dire. C’est une nouvelle approche du lexique en se l’appropriant par le corporel.
Vous lancez l’idée d’un nouveau site Odysseum ?
Il sortira en septembre 2018. Il comprendra trois entrées : collégiens et lycéens, enseignants et grand public. On y trouvera de nombreuses ressources pour la formation des enseignants.
Propos recueillis par François Jarraud
Langues anciennes et élitisme
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