Comment rendre les apprentissages concrets au collège ? Le projet Happy Culture proposé par Dominique Moreno, enseignant en éducation musicale au collège Padule à Ajaccio met en activité les collégiens autour d’une ruche. En partenariat avec le syndicat apicole corse, les collégiens conçoivent les hausses de la ruche de l’établissement puis collectent le miel. « Ce projet élève la socialisation des élèves et permet la découverte des métiers de l’artisanat » explique l’enseignant présent au 10ème forum des enseignants innovants. Egalement responsable d’un dispositif sans notes, Dominique Moreno revient aussi sur les modalités de cet essai.
Ce projet s’articule autour d’ateliers où les élèves sont acteurs. Que font-ils au cours des séances ? Quelles manipulations ?
Différents ateliers sont ouverts. Certains élèves travaillent sur la création d’un jeu éducatif autour de l’environnement et du monde de l’apiculture. A ce stade, ils ont créé la règle du jeu, le plateau de jeu (hexagonal, pivotant…) et élaborent maintenant les questions que rencontreront les participants au fur et à mesure de l’avancée dans le jeu. D’autres élèves fabriquent les hausses (partie supérieure des ruches où la reine ne pond pas), effectuent les visites de notre ruche. D’autres activités conduisent à la confection de bougies, à partir de la cire d’abeilles. Tous les élèves rédigent des articles qui alimentent le blog du projet.
La ruche n’est-elle finalement pas un prétexte pour ce dispositif ?
Cette analogie implicite avec l’établissement fut le moteur de la création du projet. A l’instar de la ruche, nous travaillons tous ensemble, élèves, enseignants, personnels administratifs et techniques, à la vie de notre lieu éducatif. Certes, le nectar produit est très différent, mais il n’en est pas moins vital pour nos jeunes générations, voire pour notre société. Quel que soit le processus, la sphère de développement, par l’éducation nous transmettons aux plus jeunes, comme un trésor, les savoirs accumulés au cours de notre histoire. A leur tour, ils enrichiront ces ressources et deviendront les passeurs du savoir.
Cette production de savoirs (au sens large) sert toute la communauté. Nous apprenons tous quelque chose à l’intérieur de l’établissement, dans son effervescence, ses tensions, et ses passions. L’acte éducatif se construit dans une relation sociale où chaque protagoniste donne et reçoit. Comme pour les abeilles dans la ruche, nous jouons tous un rôle dans l’établissement et nous avons besoin les uns des autres pour que le collège fonctionne. Je ne dis pas ça pour la forme. En apiculture, une ruche dont la colonie décroît a une activité faible et est appelée à disparaitre. Je laisse à chacun le soin de développer le propos et le mettre en parallèle avec un établissement scolaire.
En quoi ce projet s’inscrit-il dans le parcours avenir ?
Peut-être qu’en 2014 notre établissement annonçait le B.0. n° 28 du 9 juillet 2015 ? Plus sérieusement, il se trouve que notre action s’inscrit totalement dans ce texte. Les enseignants tentent, tant que faire se peut, d’établir une passerelle entre deux cadres, deux mondes : théorique / pratique. Le souci de tout pédagogue réside dans le fait de donner du sens à ce qu’il transmet. Cette question du sens est récurrente chez les élèves « mais monsieur, pourquoi on apprend ça ? Ça sert à quoi ? ». Elle doit interpeller l’enseignant, afin de favoriser le positionnement de l’élève comme acteur de ses apprentissages. Il me semble que les « Parcours » sont des outils (certes pas nouveaux) qui ouvrent institutionnellement un monde des possibles pour l’action éducative. Le Parcours Avenir fait partie de ces outils. Le collège Padule a établi un partenariat avec le Syndicat Apicole Corse. Ce partenariat nous permet de bénéficier des compétences d’acteurs de terrain en phase avec le monde économique et professionnel. Nous recevons, parfois, des apiculteurs qui nous parlent de leur métier, de l’artisanat, des possibilités ouvertes par le monde agricole. En ce moment, notre jeune équipe de journalistes (des élèves de sixième) suit l’installation, en Haute-Corse, d’une jeune apicultrice en tant que professionnelle. Les questions économiques, juridiques – administratives, humaines (vie de famille et autres) sont abordées. Toutes ces actions concourent à la réflexion et l’information que construit l’élève en portant un regard sur un secteur économique et professionnel : l’artisanat.
Vos élèves de 3ème ont vécu leurs années collège sans notes. Quels changements voyez-vous sans ces évaluations codifiées côté élève ? Et côté prof ?
Le dispositif sans notes, conduit au collège Padule, ne permet pas de trancher sur la question : faut-il supprimer les notes ? Précisons que la question, au départ, ne se posait pas en ces termes. La question serait davantage : comment intéresser l’élève à ce qu’il fait plutôt qu’à la valeur de ce qu’il fait ? Certes, l’élève attache une valeur à ce qu’il fait. Mais la valeur toute relative de cette production doit-elle devancer l’intérêt porté à l’action ? Or, la note rend constamment présente la valeur (supposée) des apprentissages, tant pour l’activité que le domaine d’activité. Un grand contrôle « vaut » plus qu’un petit contrôle, tout comme une évaluation en mathématiques qui compte davantage qu’une évaluation en arts plastiques ! En s’appuyant sur une revue de littérature scientifique, un constat fut posé sur l’aspect anxiogène de la note (Merle, 1997), et son côté mécanique social et institutionnel (Antibi, 2003 et 2007). Un préalable s’imposait, supprimer la note, voire supprimer tout codage (couleurs, smileys,…). L’idée principale étant de redonner du sens à l’accompagnement de l’enseignant en replaçant, dans la copie et en amont de la rétroaction, les conseils dispensés par le professeur. Par deux tests annuels (quatre disciplines), la classe avec dispositif était comparée à une classe sans dispositif, aux profils sociologiques et scolaire comparables (CSP, performances scolaires antérieures,…).
Sans exposer ici toute la méthodologie, côté élève, quand on isole la performance scolaire, la variance des résultats reste faible, voire nulle, entre dispositif et sans dispositif. Toutefois, sur les trois années d’expérimentation, au regard de variable telle que le sentiment d’efficacité personnel (SEP), les résultats plaident pour l’abandon de la note. De même, l’écart de performance scolaire entre élèves « forts », « moyens » et « faibles » disparait. Le groupe classe est davantage homogène.
Côté enseignant, certains expriment le plaisir d’accompagner l’élève à focaliser son attention sur l’apprentissage d’une compétence, plutôt que le résultat de cet apprentissage (en termes de notation). Reste que la motivation enseignante pour suivre un tel dispositif doit être très forte. Effectivement, il s’avère que le travail auprès de classes sans notes est chronophage. Ce type de dispositif demande beaucoup de moyens, ne serait qu’en termes de temps. Or, l’institution, par une gestion trop comptable, reste sourde face à ce type de demande et un tel projet périclite suite à un réel manque d’écoute. Quand on supprime la note et sa fonction de sélection, afin de favoriser l’accompagnement de « tous » dans les apprentissages et vers la (sa) réussite scolaire, on se doit d’être à la hauteur d’une telle ambition. L’institution l’est-elle ?
Alors oui, coupler des projets innovants entre eux (ici, classe sans notes et Happy’culture) permet réellement de travailler autrement, pour que chaque élève indépendamment de son milieu social puisse prendre du plaisir dans les apprentissages. Au regard de cette expérience, l’enseignant a surtout besoin de temps et court toujours derrière ce dernier (temps de concertation, temps de réflexion, temps de transmission).
Comment préparez-vous la transition avec l’évaluation notée des compétences pour le DNB et l’arrivée au lycée ?
En nous appuyant sur les travaux de certains chercheurs, et la mise en évidence d’une courbe de Gauss dans la distribution des notes autour d’une moyenne, les quatre catégories de maîtrise des apprentissages dans le LSUN pourraient représenter un découpage de la note sur 20 en quatre intervalles. Mais les débats pour plus d’équité, entre l’attribution d’une note estimée en fin d’année et une évaluation chiffrée tout au long de l’année, ont conduit au choix de la seconde proposition, c’est-à-dire l’arrêt du dispositif sans notes. Plusieurs raisons à cela : un double travail qui apparaissait inutile (sans notes, puis notes) ; la fonction de tri qu’opère l’orientation en fin de troisième. Une sélection entre individus, pour l’accès à tel type d’enseignement, telle filière, va s’appuyer sur une note chiffrée. De là, pour l’intervalle d’une note comprise entre 10 et 15, si l’élève « joue » son orientation au point ou demi point près, ne lui devons nous pas un maximum de précision (si tant est que cette précision puisse exister !) ? Et enfin le manque de temps accordé aux équipes pour s’investir et travailler dans ce dispositif.
Quelles sont vos motivations pour participer au forum des enseignants innovants ?
Participer au forum apporte une certaine reconnaissance, c’est une vitrine, un coup de projecteur sur un projet. Là peut se trouver ma première motivation. De mon point de vue, le terme d’expérimentation serait plus juste. Sommes-nous réellement « innovants » ? La pédagogie n’est-elle pas par essence adaptation, changement, d’un processus de transmission face à un public toujours différent ? Peut être que nous innovons tous, et expérimentons à des degrés divers. Venir à la rencontre d’expérimentations pédagogiques riches et diverses est certainement la seconde motivation.
Entretien par Julien Cabioch
Le projet de David Moreno sur le site du forum
Dans le Café
10ème Forum des Enseignants Innovants
Sylvie Turcan : Des abeilles pour fédérer les sciences au lycée