On croit déjà tout savoir du rapport Mathiot qui sera publié le 24 janvier après midi par la mission chargée de la réforme du bac. Pourtant les questions les plus importantes sont encore dans l’ombre : celles qui concernent l’impact de la réforme sur le travail enseignant. S’il est très probable qu’il y aura des pertes d’heures sensibles au lycée dès la rentrée 2019, la réforme du bac, qui impose un lycée modulaire, pourrait aussi changer radicalement le fonctionnement du lycée. La mise en place du libre choix par les élèves et d’une organisation en semestre pose des questions de fonds. La nouveau lycée pourra -t-il tourner sans annualisation des services et en quoi celle ci se traduirait t-elle négativement pour les enseignants ? Comment avoir un enseignement progressif de la 2de à la terminale avec des semestres libres ? La classe survivra t-elle au libre choix ? Ce qui se profile pourrait être en rupture avec ce que l’on appelle aujourd’hui l’école. Réponse le 24 à 15 heures dans nos colonnes.
Un bac allégé
Il suffisait de suivre les comptes rendus des auditions des associations professionnelles pour voir où allait le projet mené par Pierre Mathiot et, à travers l’organisation du nouveau bac, le nouveau lycée dessiné par la mission.
Que sait-on du nouveau bac général ? Les grandes lignes en ont été fixées par le président de la République durant sa campagne, ce qui leur donne une grande légitimité, et depuis peu de choses ont bougé.
Le nouveau bac devrait être très allégé, c’était une exigence de l’Elysée, même si l’on sait que diminuer le nombre d’épreuves a un impact sur les enseignements et au final augmente les inégalités. On devrait compter 4 épreuves finales et un grand oral. En première une épreuve de français et une majeure , en terminale une épreuve de philosophie et une majeure.
Le grand oral, qui pour le moment ne semble pas avoir de temps dévolu à sa préparation, ce qui augmentera là aussi les inégalités, supprimera les TPE. Il pourrait être pluridisciplinaire.
Un calendrier bouleversé
Le calendrier du bac sera transformé puisque les épreuves sur les majeures auraient lieu au printemps. Quant aux autres disciplines on ne sait pas encore comment elles entreront dans le calcul du bac. Controle continu ? Livret scolaire ? CCF ? Ce sera une des surprises du 24 juin. Mais si on ne le sait pas c’est bien parce que ce sera un point secondaire.
On sait aussi peu de choses sur la nature des épreuves, en dehors du grand oral. L’approche gouvernementale est organisationnelle et non pédagogique. L’objectif est clairement d’avoir un bac moins couteux et plus facile à organiser au grand soulagement peut-être des chefs d’établissement.
La modularisation des enseignements
Ce bac réduit sert de base à un lycée modulaire. Deux grands principes animent ce lycée : le choix des couples de disciplines par les élèves, à l’image de ce qui existe en Grande Bretagne, et la semestrialisation.
Les élèves devraient en seconde suivre un tronc commun le premier trimestre et choisir des spécialités le second. En première et terminale, à coté du tronc commun, ils choisiraient une majeure et une mineure.
Le tronc commun comprendra probablement finalement les deux langues vivantes, les maths, l’histoire geo, le français ou la philosophie et l’Eps.
Les nouvelles filières
Pour le gouvernement cette nouvelle organisation doit permettre d’améliorer l’orientation par une spécialisation croissante.
Neuf filières sont annoncées mais le nombre pourrait grossir. Il semble aussi que le ministère va encourager les lycées à proposer des expérimentations de nouvelles filières de façon à augmenter la concurrence entre eux. Donc la liste n’est pas limitatives et les demandes qui ont fleuri récemment devraient être satisfaites de cette façon.
Les neuf filières officielles sont maths – informatique, celle ci devenant une discipline à l’ombre des forts en maths, maths physique chimie, maths SVT, maths SES, Sciences de l’ingénieur physique – chimie, lettres langues, lettres philosophie, lettres arts, et SES histoire – géo. La réforme concerne aussi le lycée technologique mais on sait peu de choses sur lui. Probablement on aura également des couples mineures majeures correspondant aux grandes filières actuelles.
Des horaires en baisse
Les élèves suivraient 15 h de tronc commun en 2de et 1ère puis 12h en terminale. S’ajouteraient 2 à 3 heures d’accompagnement à l’orientation (qu’il est question de donner aux régions).
Au total le volume d’enseignement devrait atteindre 25 heures hebdomadaires soit trois heures de moins par rapport au minimum actuel, souvent dépassé avec les enseignements optionnels.
C’est cette baisse des horaires qui a d’abord été soulevée par les professeurs. Par exemple les professeurs de SES ont relevé qu’une majeure 2 ou 3 heures ça ne remplace pas les 5 à 6 heures de SES actuelles en 1ère. Globalement la baisse des horaires devrait permettre de récupérer plus de 20 000 postes, un appoint précieux pour un gouvernement qui s’est engagé à réduire le nombre de fonctionnaires.
Ce que veut dire l’annualisation
Mais la réforme est porteuse d’interrogations plus importantes. La division en semestre devrait s’accompagner d’enseignements totalement différents selon les semestres. Par exemple en 2de le tronc commun devrait être délivré au premier semestre le second étant consacré aux majeures mineures. En première et terminale les élèves pourront choisir des enseignements différents.
Comment rester dans un emploi du temps professeur hebdomadaire dans ce cas ? Cela sera très difficile pour ne pas dire impossible. Ce qui se profile c’est donc l’annualisation des services, un sacré piège pour les enseignants.
D’abord parce qu’il y a un écart entre le nombre d’heures d’enseignement théoriques et le nombre fait réellement. Par exemple un certifié ne fait pas réellement 648 heures (36 fois 18 h) devant élèves par an. Sur ces heures il faut retirer les jours fériés, les convocations officielles, les examens comme le bac qui diminuent le nombre d’heures de cours. Avec l’annualisation l’enseignant devra toujours 648 h de cours quoiqu’il arrive. La Cour des comptes recommande vivement l’annualisation où elle voit une mine d’emplois qui vont s’ajouter aux postes supprimés par la réduction des horaires.
Mais il ya pire encore. Si on annualise ce sera sur quelle base ? La question des 1657 heures dues inscrites dans le statut des fonctionnaires va être reposée. Des parlementaires, G Longuet par exemple, s’en sont fait une spécialité. Là on va vers le doublement du temps d’enseignement pour le même prix et , bien sur, dans les deux cas, vers la suppression des heures supplémentaires.
Quel avenir pour la classe ?
La semestrialisation sera mise en place car le gouvernement part du principe du libre choix par les élèves de leurs enseignements. Comment ce principe sera -t-il appliqué ? Les élèves devront ils faire un choix pour deux ans ou pourront ils choisir librement tous les 6 mois ?
L’enjeu de la réponse à cette question c’est l’avenir de la classe, un cadre d’acquisition collective des savoirs qui est aussi un lieu de socialisation. Si la classe venait à disparaitre ce serait pour les élèves les plus faibles un appel au décrochage important.
Pour les enseignants ce serait une redéfinition du métier. D’abord parce que les savoirs seraient totalement émiettés. Fini la marche progressive graduelle vers les épreuves du bac de la 2de à la terminale. Chaque professeur n’aura plus à se soucier que d’élèves de passage , étudiant des séquences courtes avec un gros controle à la fin. Pour les savoirs et compétences disciplinaires, dont on sait bien qu’il faut du temps pour les acquérir quelle régression ce serait ! Il devra par contre passer du temps à tenter d’attirer des élèves face aux collègues…
Montée des inégalités
Une dernière question peut être posée à la reforme : celle des inégalités. Tout se cumule pour dire que c’est le dernier souci de ce ministère. Le ministère a fait le choix de réformer le lycée général et technologique indifféremment du lycée professionnel ce qui est déjà un choix alors que chez nos voisins on va vers des lycées intégrés. Mais la commission semble s’être peu intéressée aussi au lycée technologique pour qui on ne sait rien. Son approche est élitiste. Elle ne s’intéresse qu’à 40% des élèves.
Le choix de réduire le nombre d’épreuves diminue le niveau d’exigenecs et pèsera contre les bacheliers faibles. Le libre choix a été vivement critiqué par des syndicats , comme le Snes, comme un outil de creusement des inégalités.
On le voit la réforme du bac n’est pas une réforme technique. Elle remet en question les progressions de ces dernières années et dessine un nouveau métier enseignants.
Serons nous rassurés sur différents points le 24 janvier après la publication du rapport Mathiot ? Ce n’est pas sur. Une réforme est toujours un art d’exécution et beaucoup va se jouer dans la façon dont les établissements appliqueront les textes.
François Jarraud
Les professeurs de SES pas dupes