Comment favoriser les apprentissages par la créativité, en français, jusque dans un Centre de Formation d’Apprentis de l’Industrie (CFAI) ? A Besançon, l’enseignant Romain Cordier invente bien des activités en ce sens. Ainsi, dans le cadre d’un parcours du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, ses Terminales Bac Pro ont à leur tour actualisé les mythes en concevant des entreprises fictives portant le nom de divinités. Ou encore, pour explorer l’imaginaire et le surréalisme, ses 1ère Bac Pro ont imité la démarche de Magritte dans son célèbre « Ceci n’est pas une pipe » et détourné des objets de leurs fonctions premières. Eclairages par l’enseignant sur des activités qui tentent de faire retrouver le plaisir d’apprendre et se prolongent volontiers sur les réseaux sociaux…
Dans quel cadre avez-vous mené cette activité ?
L’activité prend place en Terminale Bac Professionnel et en cours de lettres. Elle entre dans le cadre de l’objet d’étude « l’homme et son rapport au monde à travers la littérature et les autres arts », au cours duquel un parcours de lecture du Mythe de Sisyphe (1942) d’Albert Camus était prévu. Pour mieux cerner la pensée de l’auteur et comprendre sa propre interprétation du mythe, il était essentiel de bien comprendre ce qu’est un mythe. Après une discussion collective, nous nous sommes rendu compte que les mythes étaient bien actuels et souvent présents dans notre quotidien, notamment en ce qui concerne les marques. Nous nous sommes donc interrogés sur l’intérêt pour celles-ci d’utiliser un nom d’entreprise ou de produit identique à celui d’une divinité. La réponse a été simple : une identification et un positionnement plus rapide auprès de la clientèle.
Quelle a été la mission assignée aux élèves ?
Les élèves ont eu une mission concrète : inventer une entreprise fictive au nom d’une divinité et présenter différents éléments sur l’outil numérique de diaporama PowerPoint. Une présentation de l’entreprise et/ou du produit devait apparaitre, ainsi qu’un slogan, un logo et pour terminer un texte sur la divinité en question et le lien avec l’entreprise. Le tout a ensuite été présenté à la classe, puis publié sur les réseaux sociaux (Twitter et Instagram).
Pouvez-nous donner quelques exemples des réalisations ?
On a pu voir par exemple l’agence de voyages Orphée « pour les couples d’enfer ». Le lien est bien trouvé si l’on se rappelle qu’Orphée, dans la mythologie grecque s’est rendu aux enfers et y a laissé sa vie en échange de la liberté pour sa bien aimée Eurydice. L’entreprise « ZeusFit » a aussi vu le jour : enseigne de salles de musculation et de boisson énergisante, elle véhicule la puissance, la force et la virilité. Les divinités ont aussi différentes caractéristiques exploitées tout aussi différemment par les jeunes. Ainsi Héra a été l’égérie d’un groupe en devenant une agence matrimoniale new look en référence à son statut de Déesse de la fertilité. Un autre groupe a aussi utilisé ce nom…. pour un cabinet de détectives privés spécialisé dans l’infidélité masculine. Dernier exemple parmi d’autres : la gamme de thé Morphée pour les jeunes connaissant des troubles du sommeil.
Comment les élèves ont-ils perçu ce travail ?
Les jeunes ont adhéré et beaucoup apprécié le projet. L’intérêt pour des apprentis, déjà dans le monde du travail et peut-être futurs entrepreneurs, est de comprendre par eux-mêmes que les enjeux sont nombreux pour identifier et positionner son entreprise afin de gagner en visibilité notamment face à la concurrence. Ainsi, un nom déjà porteur de valeurs et de sens dans l’esprit d’un grand nombre de personnes permet de gagner en présence.
Quelles démarches avez-vous suivies ?
Les outils numériques ont été à l’honneur : Powerpoint pour le travail complet mais aussi des outils de retouche d’images, de création d’affiches comme le site Pixteller ou même des générateurs de slogans et de logos en ligne. L’autonomie avait toute sa place, la créativité placée au centre et au service de cette activité où les qualités rédactionnelles et de synthèse étaient tout aussi importantes. En tant qu’enseignant, la posture était plutôt celle d’un guide qui rappelle les objectifs finaux, qui conseillent, orientent et proposent des outils ou invite les jeunes à réfléchir à des points qui pourraient être améliorés.
Quel bilan tirez-vous de cette activité ?
Cette activité simple a été très efficace : en liant la culture avec le quotidien et les préoccupations des apprentis, elle a permis une entrée en matière agréable dans l’objet d’étude et a laissé les élèves construire eux-mêmes leurs connaissances et compétences tout en s’assurant d’une découverte des enjeux liés à leur avenir professionnel.
Vous avez mené une activité similaire à partir d’un célèbre tableau de Magritte : en quoi a-t-elle consisté ?
L’autre activité menée cette fois-ci en 1ère Bac Pro a le même esprit et les mêmes objectifs professionnels. Dans le cadre de l’objet d’étude « du côté de l’imaginaire », nous devons étudier le surréalisme. Après étude de quelques œuvres et contextualisation du mouvement, nous nous sommes appuyés sur le célèbre « Ceci n’est pas une pipe » de René Magritte (La trahison des images, 1928-1929). L’objectif a ensuite été, sur le même principe, de détourner un objet de sa fonction première, tout en gardant son image, et en lui attribuant de toutes nouvelles fonctionnalités. Sans aller trop loin, il fallait que cet objet soit « commercialisable » ou présente un intérêt particulier.
On a pu voir un sac de golf devenir une poussette pour bébé, un handspinner devenir un chargeur pour les appareils connectés et d’autres. Là encore, aborder la culture professionnelle et ses enjeux s’est joint à la découverte d’un mouvement culturel au cours d’une activité que les jeunes ont prise très à cœur.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut