Où trouver un jeu d’évasion clé en main ? Le site S’cape game mutualise des ressources et conseille les enseignants pour réaliser ces défis. Les 3 rédacteurs aux manettes du site expliquent leur démarche au Café pédagogique. Patrice Nadam, formateur DANE et professeur de SVT au lycée La Tour des Dames à Rozay-en-Brie (77), Mélanie Fenaert, professeure de SVT au lycée Blaise Pascal à Orsay (91) et Anne Petit, professeure-documentaliste au collège Château Rance à Scey-sur-Saône (70) tentent de « déterminer les contraintes et les critères de réussite » des escapes games pédagogiques. Quels sont les conseils de ces 3 experts pour réussir un escape game ? Comment se réfléchit et se conçoit un jeu d’évasion ?
Que trouve-t-on sur votre site collaboratif ? Pourquoi ce site ?
S’CAPE se veut un site de partage où l’on peut trouver des exemples, des ressources, des conseils… tout pour réaliser un défi évasion, ou escape game pédagogique. Initialement, le site était conçu pour diffuser et partager les productions réalisées lors d’un stage sur les escapes games dans l’académie de Créteil, mais il a très vite pris de l’ampleur avec les apports de collègues provenant de toute la France.
Nous nous chargeons de tester ou d’analyser les escapes games proposés et d’écrire les articles de présentation. Autant que possible, nous demandons aux auteurs des documents-ressources permettant la mise en place concrète de leur jeu afin que d’autres puissent se l’approprier. Il nous arrive de conseiller les auteurs et de participer à la construction de leurs jeux. Nous avons même organisé des tests d’escapes games avant leur lancement réel.
Le site propose également des exemples d’énigmes sous forme de défis, et des ressources dans un joli Bric-à-brac du nom de la rubrique : on y trouve des liens vers des tutoriels, des générateurs de codes, des idées d’énigmes….Nous écrivons aussi des articles de fond (rubrique “Aide à la création”) où nous tentons de définir ce qu’est un escape game pédagogique et d’en déterminer les contraintes et les critères de réussite.
Finalement, qu’est-ce qu’un escape game réussi ?
Il n’y a pas de recette miracle, mais certains ingrédients sont importants et à bien doser. Le premier est la mise en situation, qui, si elle est bien conçue, va motiver les participants, faire qu’ils se prennent au jeu et soient actifs. Le scénario doit être cohérent et palpitant, et aboutir à un final qui en vaut la peine !
Le temps et l’espace sont deux éléments complètement revisités par rapport aux autres activités pédagogiques, même ludiques. Un chronomètre définit le temps du jeu. Le lieu où se déroule l’escape game doit être repensé afin que les joueurs se l’approprient dans l’action, qu’il s’agisse d’une salle de classe, du CDI, ou encore d’une salle dédiée : délimitations, sécurisation, mais aussi, pourquoi pas, décors (même simples !) en lien avec le scénario. La fouille de cet espace par les participants doit être préparée minutieusement et encadrée, il ne faut pas la négliger, d’autant que certains se révèlent très forts et très malins durant cette partie du jeu, notamment parmi les enfants et adolescents.
Les énigmes sont le cœur de tout escape game, il est essentiel qu’elles soient variées, différentes des exercices classiques, et accompagnées de peu de consignes voire aucune. Cette diversité permet de faire appel à des compétences différentes chez les participants, afin que tous prennent du plaisir à jouer, ce qui entretient leur motivation mais aussi les apprentissages. Absence de consignes ne signifie pas que le professeur laisse ses élèves ou stagiaires à l’abandon ! Les joueurs sont libres dans leur cheminement de pensée, mais en cas de blocage le maître du jeu est là pour donner quelques coups de pouce bien choisis… une manière de différencier. Idéalement, on peut même imaginer un escape game évolutif, adaptable au profil de la classe ou du groupe (énigmes différentes, coups de pouce différents, connexions différentes entre les énigmes…).
Autre ingrédient important, la manière dont sont connectées les énigmes : il est préférable qu’elles ne s’enchaînent pas ou peu, et autant que possible qu’elles s’imbriquent entre elles (deux solutions d’énigmes combinées permettent de répondre à une troisième…). Cette structuration favorise la coopération et la communication entre participants qui se répartissent les énigmes, et la collaboration notamment pour comprendre les imbrications.
Enfin, on ne peut parler d’escape game éducatif réussi sans évoquer les objectifs pédagogiques du professeur-concepteur : ils doivent être clairs pour lui dès le début, sous-tendre la création des énigmes et leur structuration, et enfin être atteints en fin de partie ! L’après-jeu est un moment clé pour s’assurer de cela, en discutant, interrogeant, verbalisant, revivant les énigmes les plus marquantes du jeu… une manière de “refaire le match” et de faire comprendre aux élèves qu’ils n’étaient pas là que pour jouer, mais bien pour apprendre aussi !
Les « trésors » mis en ligne vont du primaire au supérieur. Comment expliquez-vous cet engouement récent pour les escapes games ?
Assurément, il y a un phénomène de mode lié aux développements des salles grand-public à travers le monde depuis les années 2010 et plus particulièrement en France depuis 2013. Parallèlement, le monde de l’enseignement a assisté à un engouement pour la ludification, via les serious games notamment. Apprendre par et avec le jeu est une activité proposée de plus en plus dans les classes. Cet apprentissage est un prétexte pour stimuler le processus de mémorisation chez le participant autant que le plaisir de jouer : “Je joue, j’apprends, j’assimile, je mémorise”.
Pour l’enseignant, importer les escape games dans la sphère éducative est aussi l’occasion de provoquer des situations pédagogiques nouvelles, en réinvestissant diverses modalités d’apprentissage déjà présentes au sein de la classe : mise en situation, situation-problème, questionnement, stimuli (par le biais des énigmes), action (par le principe de “fouille” et la recherche d’indices), rétroaction (retour sur/ analyse/ bilan). Si effet de nouveauté il y a, les modalités d’apprentissage restent.
Un escape game se veut être une activité ludo-pédagogique multitâches et multi-supports, avec l’utilisation de différents outils, dont éventuellement les supports numériques. Ces modalités pédagogiques sous-entendent évolution et rétroaction : un escape game peut s’améliorer de façon perpétuelle et être toujours en construction. En effet, chaque public est différent. Chaque établissement a des spécificités qui sont les siennes. Les outils évoluent rapidement… L’objectif principal est de pouvoir adapter l’escape game à un contexte éducatif précis. Le concepteur est le maître d’œuvre, seul ou en collaboration. La créativité pédagogique est stimulée et constitue une source de motivation. On peut vite se prendre au jeu et être très investi. Il s’agit de donner envie de jouer, de provoquer ces envies chez les élèves ! Après la phase créative, un retour sur investissement est ensuite rendu possible par le plaisir de voir jouer les élèves. La cohésion du groupe-classe est elle aussi renforcée, et davantage lors d’une activité proposée en début d’année scolaire. Un escape game offre aux élèves une occasion de faire connaissance ; pour l’enseignant, une opportunité de fédérer le groupe et créer un climat de classe positif. Le jeu est aussi une façon de sortir d’une certaine routine.
Votre carte des jeux d’évasion proposés en France montre la multiplicité des initiatives locales. Existe-t-il un profil type des enseignants optant pour ces inspirations ?
Pas vraiment, en tout cas il est très difficile d’en dresser un portrait-robot. Notre site héberge les créations de professeurs de toutes disciplines et tous niveaux. Si on essaye de dégager quelques traits communs à ces enseignants, on peut déjà indiquer qu’il ne faut pas nécessairement être soi-même un grand joueur pour s’aventurer dans l’élaboration d’un escape game pédagogique… ne pas avoir peur de s’investir dans la création, avoir confiance en soi et en ses élèves, ne pas vouloir tout contrôler (les déplacements des élèves, leur effervescence, le cheminement de leur pensée, le timing…)… ne pas craindre de faire quelques erreurs au début… et surtout accepter le changement de posture et le lâcher-prise avec les élèves, en devenant plutôt un accompagnateur-facilitateur de leurs apprentissages dans l’action. La conception d’escape games n’est donc pas l’apanage d’un profil-type d’enseignants. Chacun peut, lorsque le moment sera opportun, s’initier dans la réalisation d’un défi évasion, en s’appuyant notamment sur les conseils et astuces fournis par notre site.
Des contradicteurs évoquent la fausse mutualisation entre apprenants « seul le bon élève trouve les réponses ». Est-ce le cas ? Comment y remédier ?
“Seul le bon élève trouve les réponses…” mais n’est-ce pas la question que l’on pourrait poser à l’égard des activités traditionnelles en classe ?
Dans un escape game pédagogique, c’est plutôt le contraire que l’on peut observer… les « bons élèves » ou les “élèves scolaires » sont souvent déstabilisés, surtout si on propose des énigmes inédites sorties du contexte classique. Par contre, il n’est pas rare de voir des élèves habituellement timorés ou démotivés se prendre avec force au jeu, de s’y révéler, de débloquer leur équipe en faisant des liens, des réflexions originales. A ce propos, il faut lire le témoignage de Nathalie Lepouder sur le site. Deux élèves se sont ouverts à leurs camarades et à leurs enseignants grâce à un escape game. C’est le jeu qui leur a fourni cette opportunité.
Dans un escape game sont mobilisées de nombreuses compétences : savoirs, mais aussi savoir-faire et savoir-être. Le jeu est un précieux outil pédagogique d’approfondissement et d’appropriation : renforcement et réinvestissement des acquis, clarification d’une ou plusieurs notions, assimilation… et ce au sein de diverses modalités d’apprentissage (disciplinaires, interdisciplinaires, AP)… Mais un escape game permet aussi et surtout de développer une attitude positive et active à l’égard d’une situation particulière et des autres. La mutualisation, ou encore collaboration / coopération, y a pleinement sa place si on construit des énigmes ni évidentes ni trop difficiles, mais aussi et surtout si on les imbrique. Encore une fois, un escape game permet de renforcer l’esprit d’équipe. C’est essentiel !
Un escape game à conseiller particulièrement en cette nouvelle année 2018 ?
Conseiller un escape game en particulier est relativement difficile tellement ils sont différents et ont tous leurs spécificités. Nous avons tous les trois nos coups de cœur du moment… avec une préférence pour les jeux grandeur nature où les participants se déplacent et vivent réellement l’aventure dans la salle, même si certaines propositions entièrement numériques sont impressionnantes.
Si nous devions en conseiller un… nous en proposerions en fait deux, que nous avons pu tester. Ce sont deux escape games créés par des élèves du collège du Fort de Sucy-en-Brie et leurs professeures, Mmes Audrey Dominique et Sylvie Malenfant C’est un travail admirable qui donne un résultat digne des salles professionnelles pour le grand public, mais qui est difficilement reproductible et transposable dans un autre établissement. En effet, les collègues ont bénéficié de conditions exceptionnelles avec deux salles du collège entièrement dédiées à leur projet qui ont pu être métamorphosées grâce aux deux géniaux ouvriers de l’établissement.
Mais nous sommes convaincus que cette nouvelle année verra naître de belles réalisations que nous aurons le plaisir de partager sur S’CAPE !
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café
Clara Combaud : La coopération par l’escape game
Anglais : Sherlock Holmes, un Escape Game pour les 4èmes