Après cinq et le buzz autour des MOOC, ceux-ci ont-ils démocratisé la formation et permis une émancipation par les savoirs ou ont-ils fait pschitt en histoire comme ailleurs ? A la suite d’un article du mois d’octobre du journal Le Monde, cette chronique a mené l’enquête.
Dans un billet article publié le 22 octobre dernier, le journal Le Monde (1) posait la question de savoir si les MOOC, présentés il y a cinq ans comme une révolution pédagogique, avaient tenu leur promesse. Sur son blog (2), Yves Moreau, docteur en histoire et ingénieur en technologies de l’information au Pôle d’Accompagnement à la Pédagogie numérique de l’Université Jean Moulin à Lyon 2, enchaînait sur son blog pour faire le bilan des MOOC sur le plan hexagonal. Dans le même temps, je suivais sur FUN Mooc un cours consacré à la Première Guerre mondiale.
Avant de m’intéresser à la situation actuelle, un petit retour en arrière s’impose. En octobre 2013, ma chronique demandait si l’histoire était soluble dans les MOOC (3). France Université Numérique (FUN MOOC) proposait déjà un cours dédié à la Première Guerre mondiale (4). En conclusion j’indiquais que les enjeux de l’enseignement au XXIe siècle restaient « fondamentalement les mêmes que pour l’enseignement démocratique et de masse des XIXe et XXe siècles ». Au centre était posée la question fondamentale, indépendante du recours au numérique, d’un enseignement démocratique et de l’émancipation du savoir.
En 2017, et concernant l’exemple français de FUN MOOC, Yves Moreau note que
« les MOOCs intéressent prioritairement des actifs, plutôt diplômés souhaitant approfondir ou réactualiser leurs connaissances et leurs compétences dans leur domaine professionnel. Les MOOCs basés sur les connaissances intéressent sauf exception peu de monde (les taux d’inscription pour certains MOOCS orientés sur les connaissances baissent d’année en année) par rapport à leurs équivalents fléchés compétences. »
Sur ce que Yves Moreau qualifie d’effet baudruche, il pose quelques explications générales :
– une mise en place et une exploitation coûteuse en temps et en heure;
– le succès d’un MOOC réside souvent sur le thème du cours et la personnalité de ses animateurs;
– l’aspect peu contraignant des MOOCs nuit à la complétion du cours par leur caractère asynchrone;
– des ressources que l’on peut trouver ailleurs et gratuitement.
Il note aussi que « les MOOC connaissances sur FUN sont très majoritairement des MOOC de type transmissif : le tutorat y est peu développé voire absent, et les interactions se font par l’intermédiaire des forums de cours ». La culture académique et le rapport aux savoirs particuliers en France explique, pour Moreau, cette situation.
Cependant, Yves Moreau concluait que les MOOC ne font pas pour autant pschitt en raison du développement de la formation tout au long de la vie. Dans cette perspective, « son format asynchrone et multimédia, souple, s’adapte mieux aux contraintes d’actifs-apprenants qu’un cours en présentiel ».
En bref, il ne faudrait rien attendre des MOOC en France pour un développement d’un enseignement démocratique et d’un savoir émancipateur.
«Verdun 1917-1918 : batailles oubliées ? Français, Allemands et Américains dans la tourmente » de FUN MOOC
Pour ma part du 25 septembre au 6 novembre 2017, j’ai participé au cours proposé par FUN MOOC sur la Première Guerre mondiale et intitulé «Verdun 1917-1918 : batailles oubliées ? Français, Allemands et Américains dans la tourmente ». Ce cours faisait suite à un cours organisé en 2016 sur les pas des combattants de Verdun.
Mon objectif était de concrètement suivre un MOOC, de tester la plate-forme et d’y parvenir jusqu’à son terme. En effet, ce printemps, je m’étais déjà inscrit à un autre cours sur l’enseignement avec les serious games. En pleine période de session d’examen, je n’avais pas été en mesure de dépasser la deuxième semaine au niveau du travail demandé.
Cette fois-ci, j’ai effectivement réussi à suivre l’ensemble du cours et de réaliser le travail demandé. J’ai obtenu mon attestation en obtenant une note finale de 94%. Globalement, en consultant la page facebook du cours, celle-ci indiquait le 22 octobre que le cours comptait 3600 inscrits. Il n’y a par contre pas de message publié sur la page relativement au nombre d’attestations délivrées.
Concernant le cours lui-même, celui-ci proposait chaque semaine un chapitre d’étude décomposé en plusieurs sous-chapitres et d’une évaluation hebdomadaire sous la forme d’un QCM. A titre d’exemple, la première semaine était consacrée à « 1917 : crise et reconstruction de l’armée française » et comportait 5 sous-chapitres :
– le bilan de 1916 : affirmation de l’«école de Verdun » et perspectives pour l’année 1917;
– la réorganisation de l’armée allemande par Hindenburg et Ludendorff sur le front de l’ouest;
– l’offensive du Chemin des Dames;
– les mutineries dans l’armée française;
– la nomination de Pétain à la tête de l’armée française et la fin des mutineries.
Pour chaque sous-chapitre, une capsule vidéo est fournie aux participants. Un spécialiste intervient sur fond blanc. Des cartes, des documents, des photos, des informations viennent en appui du cours magistral. Parfois également, une question s’affiche à l’écran. Ainsi concernant le premier chapitre, François Cochet est notre professeur et, à un moment donné, s’affiche à droite et en arrière-plan, un portrait photographique du général Joffre avec, à gauche, la question suivante en incrustation « Joseph Joffre Est-il encore le général à la bonne place ? ».
Pour chaque sous-chapitre, le participant dispose encore d’une transcription (pdf) en français ou en allemand de l’intervenant ainsi que de sources textuelles complémentaires et d’un quizz (formatif). La majorité des questions nécessitent de choisir une seule réponse parmi trois possibles (« Quand commence l’offensive du Chemin des Dames »). Quelques questions, précédées d’un carré, comprennent plusieurs réponses possibles parmi trois ou quatre propositions (Quels sont les atouts de Nivelle au moment du lancement de l’offensive?).
Concernant l’évaluation hebdomadaire de 10 questions, celle-ci propose le même type de question que dans les quizz de sous-chapitre. Chaque réponse juste apporte un point au participant. Par contre, le participant ne dispose que d’un seul essai. Il peut enregistrer (sauvegarder) ses réponses au fur et à mesure de sa progression et finir plus tard. Le bouton « Vérification finale » sert à soumettre les réponses pour l’évaluation définitive.
A la fin du cours, les participants ont encore à réaliser une évaluation finale (échéance le 30 octobre 2017) comportant 50 questions et reprenant l’ensemble du cours et valant un point chacune par bonne réponse.
Les participants disposent, en outre, d’un forum de discussion. L’intervention ayant suscité le plus de commentaires est celle où un participant formulait ses remerciements pour le cours. 27 commentaires ont été enregistrés au 17 décembre. Plusieurs autres interventions concernent des remerciements adressés aux concepteurs du MOOC. De manière générale, les questions posées reçoivent entre 2 et 4 commentaires. Ces chiffres sont à rapporter aux 3600 inscrits.
Analyse de «Verdun 1917-1918 : batailles oubliées ? Français, Allemands et Américains dans la tourmente »
Les thématiques traitées et abordées propose une histoire très traditionnelle du conflit. Nous sommes en présence d’une histoire militaire, politique et diplomatique du conflit. Le contenu est uniquement factuel. Il n’y a pas de problématique posée ou d’éléments relatifs à un ou des débats historiographiques.
Malgré son titre, le cours est très majoritairement axé sur la France et très minoritairement sur l’Allemagne ou les Etats-Unis. La semaine 3 relative aux ruptures diplomatiques et politiques de 1917 est le chapitre le moins « français » avec l’entrée en guerre des Etats-Unis et la Révolution russe (5).
C’est probablement sur la situation des Etats-Unis avant leur entrée en guerre que j’ai côtoié des éléments intéressants et nouveaux me concernant.
Le cours reprend les codes d’un cours magistral et l’étudiant reste constamment passif et captif. Par ailleurs, les documents annexes illustrent le cours et aucune activité n’est à réaliser par les participants à leur sujet.
Le mode d’évaluation choisit m’a conduit à retrouver très rapidement des (mauvaises) habitudes de bachotage. D’autant plus qu’il n’y a aucune forme d’évaluation amenant à de la réflexion ou de l’analyse de la part des participants. Le niveau taxonomique des réponses à fournir sont de l’ordre de la restitution et de la compréhension.
Conclusion
Au final, s’il n’y a rien à redire sur la qualité des intervenants ou de la réalisation du cours, il n’en demeure pas moins que le résultat final est très décevant tant en matière de science historique (une histoire très factuelle, conventionnelle dans son traitement et nullement problématisée) que sous ses aspects pédagogiques (enseignement purement magistral).
Il faudra encore attendre pour une démocratisation d’un enseignement de l’histoire permettant une émancipation par les savoirs.
Que cela ne vous empêche pas de passer de belles Fêtes de fin d’années !
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
(1) Miller, M. (2017). Les MOOC font pschitt. In Le Monde, 22 octobre. Lien consulté le 16 décembre :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/22/les-mooc-font-pschitt_5204379_3232.html
(2) Moreau, Y. (2017). Les MOOCs ont-ils vraiment fait « pschitt » ? In Miscellanées numériques, 22 octobre. Lien consulté le 16 décembre 2017 :
https://moreauyves.wordpress.com/2017/10/22/les-moocs-ont-ils-vraiment-fait-pschitt/
(3) L’histoire est-elle soluble dans les MOOCs ?
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2013/146_lachronique.aspx
(4) Le cours s’intitulait « La première guerre mondiale expliquée à travers ses archives »
(5) En même temps, cela reste un chapitre traditionnel relativement au conflit.