Et si les langues nous aidaient à comprendre ? Lire c’est comprendre. Et principalement comprendre ce que le texte ne dit pas ou dit « entre les lignes ». Or c’est justement là que les performances des petits écoliers français aux épreuves PIRLS ont particulièrement chutées. Nous souhaitons montrer que ce n’est pas une fatalité et qu’il existe des mises en œuvre pédagogiques simples qui permettraient non seulement d’améliorer les compétences en compréhension mais également d’améliorer les compétences en langues vivantes enseignées. Recette miracle ? Que nenni !
Posons d’abord quelques certitudes grâce aux chercheurs ayant travaillé sur la question de la compréhension.
- Il n’y a pas de corrélation entre déchiffrage et compréhension. (Gaonac’h, Fayol)
- La différence entre « bons » et « mauvais » compreneurs est corrélée à
- La capacité à effectuer des inférences,
- La capacité à contrôler leur compréhension,
- La capacité à utiliser les marques référentielles. (Yuill et Oakhill 1991, Ehrlich et Rémond 1997 )
- Le niveau de connaissance morphologique est corrélé au niveau de compréhension. (Carlisle 1995, Lecoq 1996, Pascale Colé 2007)
- La maitrise du vocabulaire est un prédicteur des capacités de compréhension (Maryse Bianco, 2015)
Expérimentation
Nous avons mené en 2010 une expérimentation dans 3 classes de cycle 3 (Echantillon) comparées à 3 autre classes équivalentes (Témoin). Les trois classes du groupe échantillon ont participé pendant une année à des séances hebdomadaires d’éveil aux langues et d’intercompréhension.
L’éveil aux langues est une approche méthodologique initiée par Eric Hawkins en Angleterre dans les années 60 pour répondre au défi de l’échec en langue(s) des enfants immigrés. Cette approche développe des attitudes de tolérance et d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle, des aptitudes susceptibles de faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère. Concrètement, il s’agit d’une approche comparative des langues où l’on réfléchit sur les langues, leurs similitudes et différences, à partir de matériaux sonores ou écrits. L’intercompréhension s’appuie sur l’exploitation des ressemblances et transparences entre les langues.
Les 6 classes ont passé des tests en septembre et en juin portant sur la capacité à produire des inférences et sur la capacité à trouver le sens d’un mot inconnu en fonction du contexte ou de l’analyse morphologique.
Analyses des résultats
Tableaux de moyennes de groupe en juin et en septembre
groupe |
septembre |
juin |
Echantillon |
45.84 |
68.57 |
Témoin |
38.41 |
53.42 |
total |
42.03 |
60.79 |
La différence entre les deux groupes en septembre n’est statistiquement pas significative. Il n’y a donc pas d’effet groupe en début d’année. En revanche la différence en juin est très significative. Les séances d’éveil aux langues ont donc eu un impact sur la capacité à produire des inférences.
Interaction de « niveau en septembre » et « groupe » pour « progression des scores »
|
échantillon |
témoin |
Total |
TF |
29.09 |
21.81 |
24.78 |
F |
34.78 |
17 |
25.89 |
M |
26.26 |
15.94 |
20.03 |
B |
10.89 |
1.33 |
5.43 |
TB |
13.55 |
16.25 |
14 |
total |
22.31 |
15.01 |
18.56 |
Un autre élément remarquable est que le dispositif a été particulièrement bénéfique aux élèves classés comme très faibles ou faibles compreneurs en début d’année.
groupe |
Dif anglais |
échantillon |
60.01 |
Témoin |
39.99 |
total |
100 |
Enfin la progression des scores en compréhension en anglais se passe de commentaire.
Entretiens d’explicitation : que disent les élèves de ce qu’ils font et que font-ils ?
Retournons maintenant auprès des élèves du groupe échantillon pour regarder ce qu’ils ont fait, ce qu’ils pensent avoir fait. Maryse Bianco souligne dans le Café Pédagogique l’importance de l’apprentissage explicite c’est-à-dire de la capacité des élèves à expliciter leurs démarches.
Les élèves disent, dans des entretiens d’explicitation, utiliser leurs connaissances pragmatiques. « 8A On essayait de trouver euh un peu le contexte du mot euh dans quelle euh situation i’s’trouvait et euh ».
La contextualisation tient une place importante. Par exemple, dans un travail sur une légende italienne, on voit bien dans l’extrait suivant comment les élèves vont mobiliser ces connaissances pragmatiques (sur les volcans) pour arriver à comprendre le texte –
« 179E – oui++ mais vous voyez le mot volcan ?
180B – non y’a pas
181En – oui mais y’a ça-> fuoco, fire
182B – le feu
183F – le feu du volcan
184G – la colonne elle est fragile à cause du volcan
188E – oui et elle vacille++ c’est-à-dire ++
189 F- ben ++ça fait comme un tremblement de terre++ elle bouge »
L’appui sur le contexte est évoqué dans tous les entretiens comme stratégie de contrôle de même que l’appui sur la cohérence syntaxique. Comme dans cet exemple lors d’un « qui est-ce ? » plurilingue.
« 1El1 Non bon ça c’est non +++[occhiali] c’est les yeux
2El2 j’ai pas d’yeux +++c’est idiot
3El1 ben oui ça veut rien dire+++ si c’était yeux on aurait une couleur »
Les élèves disent aussi s’appuyer sur la morphologie des mots :
« (A1)8El et euh +++ grâce aux terminaisons et au début des mots on arrivait à trouver euh[…] ou aux mots de la famille »
Ils mettent effectivement en œuvre ces stratégies :
« 44El2 ce mot là (lliovendo) +je trouvais que c’était un peu pareil que lliova dans la météo »
Jusqu’à utiliser des transferts inter et intralinguistiques :
« 45A pasqu’on l’a vu dans un texte y’avait [tranquillo] en italien et [kouaït] en anglais[….]
49A ben +euh +quiétude c’est la même famille que [quiet]
50Ag euh alors ++c’est le contraire++ d’inquiétude
51E oui comme in+capable
52Ag Ben c’est qu’on [kouaït]+ on est tranquille++ bien »
En conclusion
Les approches plurielles des langues et des cultures ont donc permis aux élèves de développer des compétences réelles en langue de scolarisation et en langue vivante enseignée. Ce travail leur a permis de développer des stratégies dont on sait qu’elles sont fortement corrélées avec le niveau de compréhension en lecture comme les stratégies de contrôle, l’utilisation du contexte, de la morphologie etc. On peut donc se demander pourquoi ces approches qui sont de plus interdisciplinaires ne sont pas plus présentes dans les classes.
Une timide avancée avait eu lieu avec les programmes 2015 pour l’école maternelle avec l’introduction de « l’éducation à la diversité linguistique. A quand la généralisation à tous les cycles ?
Françoise Leclaire,
Centre de Recherche en Education de Nantes,
Association Famille Langues Cultures (AFaLaC)