Organisée les 16 et 17 mars 2016 à Lyon, la conférence du Cnesco sur le « Lire, apprendre, comprendre » a fait le point sur les savoirs autour du développement continu de la compétence de lecture aux différentes étapes de la scolarité obligatoire. Elle a essentiellement porté sur les difficultés que rencontrent adolescents et jeunes dans la compréhension des textes. Le Café pédagogique a sollicité à cette occasion Maryse Bianco, professeure à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble, sur ces difficultés qui éclairent aujourd’hui le cuisant résultat de Pirls.
Il y a eu de nombreux travaux sur la lecture dans les premières années de la vie. Est-il nécessaire de faire une conférence sur les enfants qui sont plutôt dans le cycle secondaire ?
Oui. La conférence est positionnée sur l’apprentissage continué de la lecture, celui qui suit l’apprentissage initial, après le CP voire l’école primaire. Car on sait que de nombreux jeunes ne maitrisent pas la lecture dans toutes ses dimensions dans le secondaire, c’est à dire pas seulement le déchiffrage mais la compréhension. Tout n’est pas terminé après l’apprentissage initial de la lecture. Par rapport à la conférence de 2003 qui était centrée sur l’apprentissage initial, on a positionné celle ci sur comment on continue à lire de la fin du cycle 2 jusqu’à la fin du collège.
L’école peut encore faire quelque chose à cet âge ? Ce n’est pas le métier des professeurs de français d’apprendre à lire…
L’école sait apprendre à lire mais ne sait pas apprendre à comprendre. C’est à dire apprendre à se diriger dans le texte, comment on fait pour reconnaitre et extraire les idées. Il y a aussi les problèmes de la lecture dans les différentes disciplines , la lecture documentaire, la lecture pour apprendre. Toute cela s’apprend. Des recherches montrent que quand on propose des enseignements spécifiques avec de formes d’enseignement explicite aux enfants jusqu’au milieu du collège, des enseignements pour apprendre à comprendre cela les aide à progresser.
Les professeurs sont-ils formés à cela ? Ils ne le sont pas et c’est un gros souci. Si on veut prendre en compte les difficultés des 20 à 40% d’élèves qui peinent avec les textes ça pose un vrai souci de formation des professeurs. Ca concerne d’ailleurs tous les professeurs d’autant qu’il y a des spécificités entre les textes littéraires, scientifiques etc.
Connait-on les difficultés précises de ces mauvais lecteurs comprenneurs ?
Leurs difficultés sont identifiées en partie. Il y a celles liées à la lecture fluide en contexte. On sait que l’apprentissage de la lecture nécessite d’apprendre à déchiffrer de manière exacte et rapide. Les bons lecteurs développent la lecture fluide c’est à dire celle où on met de la prosodie par exemple. Cette capacité intègre des capacités de compréhension automatisée. Des choses automatisées que les faibles comprenneurs ont du mal à réaliser. On sait que faire travailler ces capacités est important.
Il y a d’autres obstacles : le développement du langage formel c’est à dire la maitrise du langage de l’écrit qui est plus complexe que celui de l’oral. Les enfants qui ont un faible développement du langage oral peinent à la compréhension des textes. Donc développer le langage oral est un facteur déterminant pour aider à comprendre. Le 3ème obstacle est la lecture métacognitive : la capacité à raisonner sur du texte. Ces 3 obstacles peuvent faire que des enfants grands peuvent peiner à lire.
Pour le premier type d’élèves en difficulté, le problème c’est le vocabulaire ou c’est un déficit d’entrainement à la lecture ?
Les problèmes sont mêlés. Travailler la fluidité va solliciter des connaissances en vocabulaire à coté du décodage.
Quand on regarde les pratiques des jeunes il y a un grand débat sur la lecture et l’écriture. On a l’impression qu’ils écrivent davantage (par exemple des SMS) . Que dit la recherche ?
Tout dépend ce qu’on appelle lire. Le numérique pose la question de la masse d’information disponible sans que les enfants sachent quelle information est digne de confiance. Il ya une éducation au numérique qui est nécessaire.
Les enfants connectés et qui n’ont pas de difficultés écrivent beaucoup plus que les générations précédentes car ils pianotent en permanence. Mais ceux qui sont en difficulté sont pénalisés davantage.
Il faut voir aussi de quel écrit on parle. Ils utilisent plus l’écrit de la communication quotidienne. Mais leur contact avec les écrits académiques qui sont encore demandés à l’école et pour l’insertion dans la vie professionnelle est mois étroit que dans les générations précédentes. Le temps passé devant l’écran n’est pas passé à lire des textes plus formels.
Propos recueillis par François Jarraud