Comment permettre à des élèves de CM1 de s’approprier les nouvelles technologies ? Comment donner du sens aux apprentissages tout au long de l’année ? Erwan Vappreau, professeur des écoles à la Roche-des-Grées à Messac (35) étudie les volumes en mathématiques à l’aide d’une imprimante 3D conçue par ses écoliers. Le travail collectif engagé en classe sur l’année permet aux élèves d’expérimenter et de produire notamment des pièces d’un jeu d’échec. En lien avec l’association Planète Sciences, la démarche d’Erwan Vappreau est proposée aux enseignants via le fablab : plascilab.
Que font vos élèves au cours des séances ? Comment s’organise le travail tout au long de l’année ?
La nature des séances est très variée sur un tel projet qui s’échelonne sur l’année. Il a des phases d’expérimentation, de productions plastiques individuelles ou collectives, des temps de travail en équipe ou des compétences préalablement traitées et formalisées sont réinterrogées et réinvesties comme en mathématiques par exemple. Il y a aussi des temps d’échanges et de débat, pour notamment faire émerger et convenir de la problématique qui va engager la classe sur le long terme, comme un fil conducteur.
Ces échanges peuvent aussi intégrer de l’écrit personnel ou collectif, pour la valorisation finale du projet ou pour l’expression des impressions de chacun au cours et à l’issue du projet. Ces temps collectifs ou en petits groupes furent aussi mis en place, pour synthétiser nos connaissances, pour partager des recherches sur internet ou autre, pour imaginer ou s’approprier des outils (carte mentale, rétroplanning simplifié…). Ils permettent aussi d’installer des méthodes de travail en équipe pour apprendre à se répartir les tâches, tout en essayant de garder, dans les moments intenses, de conserver une vision globale du projet, avec des objectifs très clairs pour chacun.
En quoi votre projet est-il transdisciplinaire ?
La problématique qui est née sur ce projet fut dans ce cas de figure, la réalisation de pièces de jeux d’échecs. Les élèves ont imaginé que la résolution de notre problème allait se faire à travers les arts plastiques, la manipulation de divers matériaux, le travail sur des assemblages …
Mais ils se sont vite aperçus que le travail mené en mathématiques sur les volumes, intégrant le fait d’apprendre à les concevoir en 3D par ordinateur pour en faire des patrons à découper et à manipuler, puis des solides numérisés pour en appréhender plus facilement les caractéristiques, pouvait aussi nous conduire à imaginer, à penser nos pièces de jeux d’échecs. Il suffisait d’associer, d’assembler virtuellement les volumes … Nous allions pouvoir les modéliser numériquement pour en avoir une représentation propre et précise (croquis, dessin, schéma légendé, représentation numérique éclatée et légendée). À ce stade une brève progression fut intégrée pour l’appréhension des logiciels libres de modélisation ici privilégiés.
Ainsi ici la modélisation était un outil pour penser où pour représenter numériquement les pièces de jeux d’échecs que nous cherchions aussi à concevoir en expérimentant d’autres matériaux. L’association des deux offrait aussi un espace idéal pour se confronter à la stabilité des pièces, à leur complémentarité dans les formes, à leur taille respective …. Nous sommes en décembre.
Progressivement, la dimension scientifique est arrivée, en effet le travail mené sur l’évolution et la naissance d’un objet technique, a fait apparaître que l’impression 3D pouvait être une possibilité pour matérialiser nos pièces de jeux d’échecs et que cela donnerait un résultat plus favorable que nos expérimentations en argile ou en pâte à modeler. Ce travail nous a invités à mieux exprimer notre projet de réalisation à travers des productions relevant plus d’un vrai cahier des charges. Alors est arrivée très vite la pertinence et la nécessité de disposer d’une imprimante 3D, les pièces de jeux d’échecs modélisées sur ordinateur étaient en fait tout à fait compatibles avec un tel mode de conception. Nous sommes en mars
Je leur ai alors proposé de mener sur cette période un projet technologique, à savoir assembler nous-mêmes une imprimante 3D pour imprimer nos pièces. Il faut donc apprendre à s’organiser, à s’approprier des documents de montage, à se répartir les tâches. Ce travail est allé de pair avec un travail de compréhension de l’imprimante, de son fonctionnement dans les parties qui leur étaient accessibles, de la 3d en général. Nous sommes en avril.
Même si l’impression des pièces fut ensuite très valorisante, toute démarche de projet implique que la phase de valorisation soit vraiment intégrée comme un temps d’apprentissage, un temps de prise de parole, de recontextualisation de l’ensemble des phases et des composantes du projet qui furent essaimées durant l’année. Cela doit permettre de reformuler le sens concret des apprentissages menés avant (mathématiques, productions d’écrits, expérimentations, expressions artistiques, appropriation de mots anglais pour maîtriser certaines fonctions des programmes utilisées ….).
La valorisation c’est aussi se confronter aux autres et en plus de la valorisation menée au sein de l’école, les élèves ont eu la chance d’être invités au village des sciences de Rennes pour présenter leurs projets à d’autres élèves, à des étudiants, des scientifiques ….
Pour l‘année 2017/2018, le projet est reconduit, la nouvelle problématique commence à émerger, elle va sans doute nous emmener dans l’espace. Cela sera aussi l’occasion d’approfondir d’autres aspects de la 3D comme le fait que cela puisse être au stade de la conception sur ordinateur un véritable espace d’expérimentation, la question environnementale (matière première, déchet …) et enfin la question du cahier des charges en réalisation technique ou plastique, ou comment impliquer des partenaires extérieurs spécialistes pour aider les élèves à réaliser le leur.
Quel est l’apport de l’association Planète Sciences pour un tel projet ?
Ce projet mené dans ma classe a intégré un temps fort et innovant que fut l’assemblage d’un prototype d’imprimante, pensé pour être assemblé avec juste de la colle à bois et des colliers de serrage serflex. Ce prototype est né un an plus tôt au sein du fablab plascilab de l’association Planète Sciences, association agrée Education Nationale, spécialisée dans le développement de projets scientifiques avec les jeunes.
Enseignant, plutôt impliqué dans le développement de projets dans le domaine des sciences expérimentales dans ma classe, je connais très bien cette association et j’ai rejoint cette équipe que je savais être adaptée à mon désir de creuser la question de la 3D en classe de cycle 3. Mon travail au sein de cette équipe fut donc de travailler sur la machine pour la rendre exploitable et opérante en classe de cycle 3 en restant en phase avec les programmes et les enjeux de l’école élémentaire. Donc en marge de certains petits aspects techniques, j’ai surtout travaillé à la réalisation des supports didactiques permettant à des élèves d’assembler en classe l’imprimante, des contenus pédagogiques pour permettre de gérer cette dynamique de construction d’un tel objet technologique dans une classe de 29 élèves et bien sûr tout le déroulement et les contenus pédagogiques pour intégrer cette imprimante dans une vaste démarche de projet transdisciplinaire autour de la 3D.
En échange, l’association m’a apporté son expertise technique, son soutien matériel et logistique pour tester la mise en œuvre de cette imprimante en classe.
Sélectionnés au village des sciences de Rennes métropole, comment vos élèves ont vécu la présentation de leur travail au grand public ?
Ce fut pour les élèves un moment très fatigant, mais très fort. Sur 3 jours, car week-end compris, ils se sont relayés à leur stand à mes côtés. Valorisé au mois d’octobre un projet mené l’année scolaire précédente en cm1, n’est jamais facile, mais les élèves concernés que j’avais toujours avec moi en cette nouvelle année (double niveau cm1 cm2) ont pu consacré un peu de temps à reconstituer des supports et des petites manipulations à faire faire aux visiteurs pour qu’ils appréhendent les étapes du projet, la place du travail sur les solides ou encore la manipulation des différents programmes de modélisation utilisés, jusqu’au slicer de l’imprimante dont ils ont pu expliquer et montrer le fonctionnement.
Ils ont bien sûr adoré, ils se sont sentis soutenus et pris au sérieux. Il est clair que certains ont vraiment pris conscience sur ce temps de valorisation, du travail qu’ils ont entrepris, des tenants et des aboutissants et des perspectives futures qu’un tel projet peut avoir pour eux même, pour une classe, pour notre société toujours plus numérique : « Mais en fait on peut faire plein d’autres choses maintenant ! »
Quelques mots sur les formations proposées par Planète Sciences sur les fablabs éducatifs…
C’est naturellement que ces nouvelles technologies sont entrées depuis longtemps dans les pratiques internes de cette association comme de bien d’autres. Les animations menées par l’association, associées à cette expérience menée dans ma classe, la conduisent à devenir de plus en plus experte sur le sujet au niveau technique comme pédagogique. C’est donc tout aussi logiquement que l’élaboration prochaine de formations pédagogiques et techniques est en chantier. Elles seront sûrement destinées aux enseignants du primaire et du secondaire, souhaitant réellement développer une pédagogie de projet en classe sur la 3D, en intégrant tous les aspects : la maîtrise de l’assemblage de cette imprimante, son fonctionnement, sa maintenance, la maîtrise de bases des programmes de modélisation les plus sollicités, la connaissance globale de l’univers du DIY et des fablab, le scan 3D, mais aussi tout le travail pédagogique et méthodologique en cohérence avec leur cadre d’exercice (programmes, objectifs, publics, transdisciplinarité ….)
Cette dimension éducative, l’association en a la maîtrise depuis longtemps dans d’autres champs disciplinaires (astronomie, environnement, robotique espace …), ce qui fait d’elle un nouveau partenaire intéressant pour les enseignants désirant creuser la place de ces technologies en classe. Cela se fera au sein de son fablab au national et sans aucun doute dans ses délégations. Ce Plascilab, c’est son nom, est un lieu particulier qui est donc aussi bien un véritable laboratoire pédagogique qu’une pépinière d’idées techniques comme tout vrai fablab. Le plasciplab en lui-même dispense déjà des formations techniques concernant les drones, le découpage laser ou encore la programmation en informatique, en robotique, sur arduino ou autre.
Entretien par Julien Cabioch
Site du projet pour en savoir plus
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