Si le développement des moyens numériques pose des questions dans le monde scolaire, c’est souvent sous la forme de changements pédagogiques que l’on aborde le sujet. Ce n’est certes pas la seule porte d’entrée parmi ces questions mais c’est souvent la première à laquelle on pense. Il en est une autre qui reste souvent évoquée mais qui est encore trop peu travaillée, dans ce contexte renouvelé par les objets numériques, c’est celui de la formation des personnels, de tous les personnels et pas seulement des enseignants. Ou plutôt les manières d’en parler laissent à penser que l’on n’arrive pas à sortir de modèles de formation dont l’efficacité est contestable et dont les chiffres donnés par l’enquête Profetic nous invitent à aborder différemment les choses. L’enquête Talis, menée par l’OCDE en 2013 apporte aussi des propositions intéressantes en matière de formation autour de l’idée de communauté d’apprentissage. De même la question de la conduite de la classe comme préoccupation prioritaire des jeunes enseignants après la maîtrise de leurs contenus d’enseignement montre aussi l’importance à prendre en compte le collectif professionnel local (l’établissement) comme formateur.
Former dans l’établissement ?
Plus généralement la question de fond posée par rapport à la formation c’est la relation entre les objets et contenus de formation et le contexte de mise en œuvre professionnel. En suggérant d’hybrider la formation ou d’obliger à la formation à distance en s’appuyant sur le numérique, les ministères ont introduit l’idée que la formation en centre sous forme de stage n’était pas forcément la bonne formule ni l’unique. Mais en imposant la distance, on ne résout pas forcément le problème, si tant est que ce soit possible. Outre les difficultés techniques et de disponibilité, il est difficile de transformer des pratiques essentiellement individuelles en pratiques collectives et co-formatrice. Les propositions de formation en établissement (les intras) sont une première approche. Mais est-ce qu’il suffit de déplacer le lieu de formation dans le lieu de travail et le groupe des participants en le limitant aux membres de l’établissement pour que les résultats soient meilleurs ?
La formation à l’utilisation des moyens numériques dans l’enseignement constitue un bon cadre d’analyse et de réflexion pour avancer dans ce domaine. Si l’on considère que la formation des enseignants se fait d’abord par soi-même (65% en 2016) ensuite par les pairs (59% en 2016) comme l’indique l’enquête Profetic 2016, on peut s’interroger sur les dynamiques à développer si l’on veut encourager les enseignants à faire évoluer leurs pratiques. Si de plus la question de l’usage du numérique n’est pas perçu comme une priorité en regard des autres besoins de formation, on comprend aisément pourquoi, selon l’OCDE, à peine 40% des enseignants de l’OCDE (25% pour les français) utilisent ces technologies pour le travail de classe. Si on ajoute à cette analyse que les enquêtes révèlent aussi de nombreuses insuffisances d’équipement et d’infrastructures, le tableau est complet.
Former à distance ?
Nous ne discuterons pas ici du bienfondé de l’usage du numérique dans l’enseignement, mais nous nous contenterons d’étudier la question de l’évolution de la formation dans ce domaine en regard des besoins observés. Il faut donc constater d’abord que la fragilité matérielle accompagnée d’une insuffisante maîtrise technique de base est un frein essentiel. On constate aussi que les besoins essentiels sont « de proximité ». C’est à dire qu’à un contexte technique fragile s’associe un besoin de soutien rapide et proche. Récemment des responsables de formation, dans un autre univers professionnel dénonçaient l’obsolescence trop rapide des technologies comme facteur aggravant aussi bien le potentiel d’équipement que les compétences nécessaires pour les mettre en œuvre. A ce besoin de proximité, la réponse se fait par une autoformation ou une co-formation de proximité. La montée en compétence est en cours, mais elle prend du temps…
Il faut rappeler ici une représentation sociale forte de la formation comme un « temps de travail » et donc le stage (dans ou hors l’établissement) comme le symbole même de la formation. Si nous rappelons cela c’est que depuis près de trente années que nous tentons d’introduire des espaces temps de formation dans le lieu et le temps du travail, nous nous sommes aperçu que les résistances sont multiples : la hiérarchie qui pense qu’un employé dans l’entreprise c’est un employé au travail (et donc en creux que la formation ce n’est pas du travail); les collègues de travail qui ne comprennent pas que leur collègue, présent physiquement s’adonne à des tâches de formation alors qu’il y a tant à faire; les stagiaires eux-mêmes qui culpabilisés parfois, conscients de la charge qui leur retombera à leur « retour » préfèrent laisser de côté ce mode de formation. La solution est alors de se former à distance, en dehors du temps de travail, à la maison… par exemple. On le voit l’affaire est loin d’être gagnée.
Le dedans et le dehors
Si l’on souhaite que la formation soit efficace il faut qu’elle puisse aussi avoir un volet local dans de nombreux cas. Que ce soit dans le choix des dates, ou dans celui des lieux et des modalités, la formation est d’autant plus performante, pour peu qu’elle soit réinvestissable dans le travail, qu’elle s’articule avec le quotidien. Mais dans le même temps il faut qu’elle soit réellement perçue comme un « capital culturel et technique » supplémentaire dans l’organisation. En mettant à disposition les moyens au sein même de l’organisation, celle-ci donne un signal nouveau et fort à l’ensemble de ses membres. Voulant ainsi faire « grandir » la structure, elle gagne à faire grandir chacun. S’il est nécessaire de se mettre à distance du travail en allant en formation à l’extérieur (une respiration réciproque…), il est tout aussi nécessaire de permettre à l’acte de « se former » d’entrer dans les établissements. Reste que sur le lieu de travail il faut aussi avoir accès à des ressources informationnelles et documentaires.
C’est là que le lien entre l’organisme de formation et le lieu de travail doit aussi s’exercer. Non seulement les moyens numériques de la formation asynchrone ou synchrone doivent être accessibles, mais les ressources complémentaires de la formation doivent aussi être accessibles, surtout si l’on imagine que cette formation essaime dans deux directions : celle du stagiaire qui continue de se former seul, celle des collègues qui trouvent là un terreau utile aussi à leur propre évolution et peut-être formation. Il semble cependant qu’il faille faire évoluer les mentalités dans de nombreux lieux de travail. Alors que certains ont bien compris l’intérêt une très grande majorité doit encore travailler cette dimension : articuler établissement apprenant et lieu de travail formateur, ou tout au moins partie prenante de la dynamique de formation de ses employés.
Bruno Devauchelle
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OCDE Encourager la création de communautés d’apprentissage