En quoi le numérique permet-il de personnaliser les apprentissages ? Le numérique a-t-il une offre fonctionnelle dans l’éducation ? Lors du salon Educatec, Franck Amadieu, maître de conférence en psychologie cognitive et ergonomie à Toulouse détaille ses recommandations vis à vis de l’usage du numérique en classe au regard de la recherche. Devant une centaine de personnes il met en garde contre la redondance de l’information néfaste aux apprentissages. L’enseignant doit orchestrer un guidage incitatif pour l’apprenant.
Une multiplication des formats numériques
Après un récapitulatif des possibles avec le numérique tels l’interaction, l’enrichissement du contenu et la collaboration, Franck Amadieu pose la question de la multiplication des formats. Cette multiplication améliore-t-elle l’apprentissage des élèves ? « Dans les années 80, certains auteurs pensaient déjà que la multiplication des formats permettrait une adaptation aux capacités de chacun ». Mais que dit la science ? L’enseignant-chercheur prend l’exemple d’une étude menée à Taïwan en 2014. Trois groupes d’enfants découvrent les structures de végétaux avec une tablette. Dans le premier groupe : les enfants ont des illustrations sur la tablette et accès à une serre végétalisée. Le deuxième groupe peut lire des informations écrites sur tablette sans images et accéder aussi à la serre. Enfin le troisième groupe d’enfants accède à l’ensemble des supports : textes, images et plantes réelles. Au final, quel groupe identifie le mieux les plantes ? « Les résultats montrent que le troisième groupe ne fonctionne pas bien. La redondance de l’information en image sur tablette et en réelle dans la serre n’apporte rien de plus, au contraire, cela crée une division de l’attention chez les élèves ». Franck Amadieu rappelle aussi les travaux de Richard Mayer sur l’effet multimédia chez les apprenants. « Si vous voulez enrichir les documents, il faut combiner l’information picturale avec de l’information verbale ».
Tous visuels et auditifs
Déjà Allan Paivio avec sa théorie du double codage en 1986 soulignait qu’en mobilisant en même temps la mémoire visuelle et la mémoire auditive on gagnait en efficacité. « On n’a pas d’élèves seulement visuels et d’autres seulement auditifs » rappelle Franck Amadieu. « La plupart des travaux montre que cela ne se démontre pas ».
L’étude de Masson en 2013 menée sur des étudiants devant lire et comprendre un texte relatif à la physique accompagné d’un schéma montre que les élèves qui ont le mieux appris sont ceux qui ont le mieux intégré l’image et le texte. « Donc l’effort d’intégration des deux sources d’informations améliore leurs performances ».
Vers un guidage plus incitatif que restrictif
Les travaux menés par Franck Amadieu sur le guidage des étudiants au visionnage d’une animation numérique sur le fonctionnement d’une synapse montre qu’au bout de trois expositions à l’animation, le guidage de l’enseignant améliore les performances. L’enseignant a ici bien précisé les moments clés de la transmission synaptique. « Nous avons donc toujours besoin de professeurs aussi complètes que peuvent être les animations numériques . » Attention toutefois, le guidage mené par l’enseignant a un effet positif sur la rétention de l’information mais pas nécessairement sur la compréhension en profondeur. L’enseignant doit pouvoir orienter ses élèves et les aider à cibler certaines informations.
Le conférencier du laboratoire « Cognition, Langues, Langage, Ergonomie » évoque une autre étude menée à Toulouse avec l’application LiquidText, application qu’il recommande par ailleurs aux enseignants. Un document texte était à analyser et il fallait repérer les éléments essentiels. « On remarque que les étudiants ont de meilleurs résultats lorsque l’enseignant guide la stratégie des élèves. A noter qu’après sondage, les étudiants préfèrent eux une liberté totale sans guidage ».
Franck Amadieu revient sur un postulat des années 90 qui disait que les liens hypertextes laissaient les élèves libres et donc la multiplication des parcours permettait une amélioration de l’apprentissage. « Après étude : cela est faux. Plus on laisse libre les élèves et plus ils ont des décisions à prendre et moins les résultats sont bons » affirme le maître de conférence. « On a montré en 2009 à Toulouse que quand on structure l’information avec un guidage, on peut ramener les élèves moins performants vers un niveau de performance plus élevé ».
A quand des tuteurs intelligents ?
D’un autre côté, une étude hollandaise menée par Bezdan en 2013 précise qu’une navigation numérique trop contrainte pour les élèves diminue aussi les performances d’apprentissage. « Il faut donc aider à la construction des relations entre l’information disponible et la structure globale des contenus » insiste Franck Amadieu. « Avec l’augmentation progressive du niveau de l’élèves, l’enseignant peut proposer une disparition du guidage. »
Rassurons-nous pour l’instant, nous avons encore besoin de profs. « Les résultats obtenus avec les tuteurs intelligents ne sont pas supérieurs au tutorat humain ». Les contraintes pour un tuteur intelligent sont encore nombreuses. « Il faut encore travailler sur les modèles et développer les théories pour la conception de système adaptatif » prévient Franck Amadieu. Ouf !
Julien Cabioch
Dans le Café