Pourquoi un syndicat fait-il autant d’efforts pour mettre en relation chercheurs et enseignants ? Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp, s’en explique…
Ça se construit comment une Université d’Automne et quel est le fil rouge de celle-ci ?
C’est une construction qui s’inscrit dans le temps puisque ça fait maintenant dix-sept ans que nous menons cette Université. On a créé un lien avec les chercheurs, parce que si les enseignants aiment venir, les chercheurs aussi aiment venir. Notre carnet d’adresses est suffisant parce que le SNUipp s’est construit en lien avec la recherche. C’est son ADN. On peut ainsi, inviter un nombre de chercheurs dans des champs très différents.
Une université, ça se construit aussi en se demandant ce que l’on veut dire. On l’aura compris, cette année on est sur l’inégalité, le regard sur les territoires, mais aussi dans le didactique et on interroge les politiques éducatives actuelles. On voit bien, dans les médias que le ministre sème une vision de l’école que l’on peut penser conservatrice et il requestionne nos pratiques pédagogiques et le sens que l’on peut mettre dans les apprentissages. Il n’y a qu’à voir le retour sur la « méthode » syllabique.
Donc cette Université montre toute l’étendue de la recherche sur ces questions. Ce n’est pas par hasard que Roland Goigoux est là : il va nous parler de la lecture et de l’observation qu’il a pu faire dans ce domaine. Donc, ce n’est pas prendre un parti-pris comme peut le faire le ministre aujourd’hui avec certains chercheurs. C’est interroger la recherche au sens le plus large. Nous montrons tous les apports nécessaires aux enseignants pour qu’ils construisent leurs apprentissages.
C’est en s’appuyant sur cette diversité que l’on construit l’Université. Parce que dans nos classes, nos élèves sont très divers. Donc, le fil rouge c’est bien sûr les inégalités car on doit s’en emparer, c’est faire le pendant à ce que peut dire ou penser le ministère aujourd’hui, et c’est aussi se poser des questions essentielles que les enseignants se posent aujourd’hui, sur comment on peut durer dans ce métier avec les difficultés qu’on y connaît et l’allongement du temps de travail. Françoise Lantheaume nous en parlera.
En quoi un syndicat doit s’intéresser à la pédagogie, aux pratiques ? Est-ce que c’est légitime qu’un syndicat s’empare de cela ?
Oui. Pour nous, c’est totalement légitime parce que notre syndicat s’est construit autour de la réussite de tous les élèves. Ce qui nous anime, c’est quand même que tous les élèves réussissent. Et pour cela il faut que tous les enseignants soient en capacité de les faire réussir, à la fois dans leurs conditions de travail, avec la taille des classes, avec une formation solide, avec l’aide d’enseignants du RASED, avec des salaires.
Toutes ces revendications, évidemment, le syndicat les porte haut et fort, les porte dans le débat public, avec des éléments chiffrés, cherche toujours à gagner sur ces considérations, mais cela ne peut se dispenser d’un questionnement sur ce que l’on fait dans la classe, sur comment on fait la classe. Et ce questionnement, nous, on l’a adossé très vite à la recherche. Le syndicat propose aux enseignants de croiser la recherche et de voir ce qu’elle dit. Pour que l’on soit sur nos deux jambes : l’école, la pédagogie et aussi l’école dans la société.
Où en est l’école aujourd’hui, en 2017 ?
Il ne faut pas nous cacher derrière notre petit doigt. On a aujourd’hui 20% d’élèves qui arrivent en 6ème sans avoir les acquis pour réussir leur collège. On voit que l’école n’échoue pas puisqu’elle réussit pour 80% des élèves, mais elle a encore du chemin à parcourir pour réussir. Et on sait que ces échecs sont corrélés aux inégalités sociales, c’est-à-dire que l’école ne joue pas son rôle d’ascenseur social.
On pourrait dire que c’est aussi ça, aujourd’hui l’école. On a une école qui creuse les écarts, entre les enfants qui réussissent et ceux qui peinent. Et ça, il faut le prendre à bras le corps. Et si le constat est partagé, dans le débat sur l’école, la piste pour parvenir à enrayer ce constat diffère d’un ministre à l’autre, mais aussi entre le ministre actuel et le SNUipp.
Nous on a des leviers à actionner, je ne suis pas sûre que le ministre actionne les mêmes. Nous, ce que l’on dit c’est qu’il faut déjà donner des conditions : on ne peut pas faire aujourd’hui de l’école inclusive, qui est un beau projet, sans donner les moyens pour faire classe dans de bonnes conditions.
Donc nous on dit « syllabique, pas syllabique », c’est pas le sujet… c’est presque pas le sujet. C’est-à-dire qu’il faut en plus équiper l’école pour qu’elle joue son rôle d’ascenseur social. L’enseignant seul aujourd’hui, ne peut pas y arriver, c’est ça aussi le constat que l’on peut faire. Et ce n’est pas en le culpabilisant que l’on va y arriver. C’est extrêmement déroutant pour les enseignants, lourd à porter et souvent source de souffrance. Il faut aider l’école et les enseignants.
Propos recueillis par Michèle Vannini