400 enseignants, 25 chercheurs. Du 20 au 22 octobre, la 17ème Université d’Automne du SNUipp a mis en contact direct à Leucate deux mondes qui communiquent trop peu : les praticiens et les chercheurs. Trois journées que le Café partage maintenant avec vous à travers plusieurs reportages. Place d’abord à 8 enseignantes de l’Yonne, Mathilde, Nina, Estelle, Julie, Isabelle, Émilie, Sylvie, Michèle.
C’est un moment singulier que cette Université du SNUipp. Un mélange de vacance(s) et de travail, dans ce centre de villégiature hors saison, un peu désuet, très convivial, soudain rempli de chercheurs et d’enseignants qui viennent réfléchir sur l’école.
Entre la mer et les salles de conférences, trois jours vont se dérouler, où il sera question d’inégalités scolaires, de lecture et d’histoire, de compréhension, d’orthographe, de pratiques pédagogiques, d’affectivité, d’échec, de réussite… Oui, un moment particulier où chacun arrive avec ses doutes, ses enthousiasmes, ses désillusions et ses questions. Un moment où l’urgence du quotidien cède la place à une autre façon de faire son métier. La pensée, la réflexion prennent le pas. Le métier n’en reste pas moins difficile, mais avec les chercheurs, on l’examine, on le comprend autrement, on prend ce recul nécessaire que l’on ne trouve jamais.
Ce recul qui clarifie et redonne vie aux engagements, qui nous sort du constat dépité dans lequel on tombe parfois, parce qu’on n’a pas le temps, ou qu’on n’a pas de réponse, ou qu’on n’y arrive plus.
Elles sont 8 filles, syndiquées du 89. Elles ont loué un camion pour tenir toutes ensemble dedans. Elles ont quitté Auxerre le 20 très tôt pour assister à la première conférence. Dans la voiture, il y a des chouquettes, et des nounours en guimauve. Dans leur valise, il y a un maillot de bain… Au cas où …
Pourquoi venez-vous à l’Université d’Automne du SNUipp ? Avez-vous une attente précise ou votre démarche est-elle autre ?
Sylvie – Cette année il y a Boris Cyrulnik. Cet homme m’a construite au sens où, avec son concept de résilience mis à jour, il m’a permis de mettre des mots sur ce que j’ai vécu, de comprendre ce qui m’était arrivée dans ma vie personnelle. Sa parole n’est jamais dogmatique, ses mots ne sont jamais vains. Une autre raison est que je me suis sentie autorisée à venir parce que j’ai une décharge syndicale cette année. Je me sens la porte-parole de tous les enseignants qui ne peuvent pas venir.
Mathilde- La première raison est que mon employeur n’est pas capable de m’ouvrir une formation véritable avec rencontre de chercheurs.
Isabelle- Je viens chercher ce que je n’ai pas le temps de faire dans mon métier, m’alimenter par rapport à tout ce qui est fait dans la recherche pour appuyer mon travail. C’est de l’auto-alimentation.
Emilie- Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre avec les chercheurs sur un mode collectif qui multiplie les points de vue de compréhension de la conférence. On échange, on comprend les uns par les autres. On est acteur pas récepteur.
Isabelle- Pas comme quand on est tout seul avec Magistère devant son écran.
Estelle – Moi, je viens pour toutes ces raisons qui ont été dites. Mais je crois que la raison première, c’est de prendre un bol d’air, de sortir la tête du guidon. Je suis sur trois postes et c’est très éprouvant. Le « Fenêtre sur Cours » (la revue du Snuipp NDLR) sur l’Université d’Automne que j’ai toujours lu attentivement m’a toujours donné envie de venir.
Julie – Je ne suis pas venue avec une attente précise mais avec l’idée d’être nourrie intellectuellement, de réfléchir, de prendre un peu de distance et l’envie particulière d’être surprise, de découvrir, d’apprendre des choses que je ne connais pas encore. Je n’ai pas ciblé de conférence particulière avant de venir.
Pourquoi cela semble-t-il légitime qu’un syndicat se mêle de pédagogie, intègre la recherche, les pratiques pédagogiques dans son travail ?
Estelle- C’est normal qu’un syndicat prenne en compte la globalité du métier.
Mathilde- Si on veut transformer l’école il faut s’appuyer sur la recherche.
Isabelle- Un syndicat, c’ est fait pour nous écouter et on dit qu’on n’est pas assez formés.
Émilie- Cette Université n’est pas traitée par hiérarchie, ne répond pas à une commande institutionnelle.
Sylvie- C’est une ouverture théorique autre, une source d’interrogation du système. On ne se contente pas d’être contre, on avance.
Emilie- On est dans ouverture / questionnement et pas dans orientation / application.
Sylvie- On ne vient pas chercher une solution bien précise à un problème bien précis, contrairement à l’institutionnel où on sort toujours avec comment on fait… ?
Julie- Le syndicat s’occupe du métier dans toutes ses dimensions, et la pédagogie en est une importante. Je viens chercher une réflexion sur comment la pédagogie porte une dimension politique.
Pour celles qui sont déjà venues à l’Université d’Automne : avez-vous un souvenir particulier ?
Nina- L’émotion en entendant Meirieu qui a fini par un grand hommage à l’enseignant -Standing ovation. Regonflée pour repartir.
Mathilde- Benoit Falaize. Ça faisait pas longtemps que je sortais d’études d’histoire, j’ai bu ses paroles sur l’enseignement de l’histoire. Un beau moment duquel sont sorties plein de questions qui n’étaient jamais venues.
Julie- Mon souvenir fort, c’est Yves Clot qui m’a fait regarder le métier d’une façon à laquelle je n’avais jamais pensée. C’était saisissant.
Pour celles qui viennent pour la première fois : pourquoi cette année ?
Isabelle- Plus je vieillis dans le métier, plus j’ai besoin d’apports théoriques. Je suis dans le rural, loin de tout, j’ai besoin de m’ouvrir à toutes ces idées. C’est une façon de prendre soin de mes élèves. Je m’approprie ce que les autres cherchent pour le restituer à mes élèves.
Émilie- Les cinq premières années de ce nouveau métier, je les ai passées à travailler dans l’urgence, sur des classes différentes, multiples. J’ai envie de sortir de cette urgence et d’approfondir le lien à l’élève.
Estelle- Cesser de zapper entre toutes ces classes, tous ces niveaux, cesser d’être un petit soldat, un agent. Et durant ces trois jours, trouver le rapport à mon métier que je cherche.
Sur l’autoroute, la mer a surgi au loin. Les panneaux annoncent Narbonne-plage, Gruissan, Leucate. Elles sont arrivées. L’Université peut commencer.
Propos recueillis par Michèle Vannini