Comment engager des écoliers dans une réflexion collective sur le handicap ? Eric Hitier, professeur des écoles des écoles à Druye (37) travaille la programmation sur le robot Nao. L’objectif pour ses élèves est de proposer des solutions afin de faciliter le quotidien d’autres enfants souffrant de handicap. En lien avec l’école nationale supérieure de cognitique de Bordeaux, le projet Code H débute pour 2 années et aboutira à une application spécialisée. « Cette dimension sociale est particulièrement intéressante et entraîne les élèves dans un processus de création altruiste. »
Comment résumer ce projet nommé « Code H » ?
Avec l’aide du robot Nao, il s’agit de mener des ateliers de programmation avec des élèves âgés de 7 à 11 ans, d’une école « ordinaire », en vue de c
onstruire des séquences de codage avec le logiciel Chorégraphe. Ces commandes et actions programmées seront ensuite intégrées à une application créée pour cette occasion à destination d’autres élèves souffrant de handicap visuel et d’enfants présentant des troubles autistiques, permettant, d’un point de vue ergonomique, de leur faciliter la vie quotidienne, dans leur vie d’écolier.
Quels objectifs vous fixez-vous avec vos élèves ?
Premièrement, il s’agit d’apporter et d’engager chez les élèves une réflexion fine sur la notion de handicap (sous toutes ses formes) en les faisant travailler sur des supports très différents les uns des autres (lectures de documentaires, émissions de radio, rencontres avec des personnes en situation de handicap, mises en situations concrètes, …). Cette première approche doit favoriser à la fois une démarche réflexive sur la notion très générale du handicap (genèse, difficultés quotidiennes, efforts employés pour faciliter le quotidien de ces personnes, …) mais également doit donner une immersion progressive au projet.
Deuxièmement, ce projet permet de consolider les compétences de production d’écrits (en tout genre) et celles de la maîtrise de la langue française (qu’elle soit orale et écrite) et celles, enfin, de la culture humaniste. Ces compétences, travaillées sous un angle et dans un espace différents peuvent permettre à certains élèves de dépasser des difficultés qu’ils pourraient rencontrer sur des formats et des supports plus standardisés. Autrement dit, l’implication de l’élève et son travail des œuvres peuvent ancrer les apprentissages et compétences attendues en fin de cycle 3. Bien entendu, ce projet verra le travail et la validation de compétences en programmation (scratch, logiciels de programmation, …) et dans l’usage des outils numériques (tablettes, ordinateurs, robot humanoïde).
Enfin, ces ateliers de programmation verront l’opportunité offerte aux élèves de s’immiscer dans un projet d’envergure à des fins utiles à une partie de la population. Cette dimension sociale est particulièrement intéressante et entraîne les élèves dans un processus de création altruiste, à destination de l’autre, afin d’en valoriser tous ses aspects. En somme, il s’agit de répondre aux questions permettant une anticipation des conflits quotidiens que rencontrent ces personnes et de voir en quoi et comment il est possible d’apporter des solutions simples, efficaces, pérennes et non onéreuses.
De façon plus pratique, les élèves vont produire des séquences de programmation. Ces séquences seront ensuite intégrées à l’application créée ex-nihilo pour permettre aux enfants souffrant de troubles autistiques de pouvoir communiquer, parler, et faire évoluer le robot Nao.
Comment s’organise le travail à l’école ? Quel matériel avez-vous en salle de classe ?
Le projet étant sur deux années scolaires, la première année a été consacrée aux expérimentations de l’utilisation du robot Nao. La seconde année doit permettre la mise « sur le marché » d’une application dite « spécialisée ».
Des sorties dans l’établissement cible sont programmées. Les élèves rencontreront les autres élèves et recueilleront des données nécessaires à leurs travaux de recherche et d’expérimentations. Nous allons donc travailler sous formes de « commandes-actions-évaluations ». En classe, le travail s’effectue sous forme d’ateliers de programmation, en petits groupes. Chaque groupe ayant pour mission de réfléchir sur une situation simple que peut rencontrer un enfant autiste, et ce en fonction des données recueillies. Nous avons quatre ordinateurs sur lesquels sont installés les logiciels de programmation. Comme nous n’avons pas le robot physiquement présent dans notre classe de façon permanente, les élèves travaillent avec un robot « virtuel » qu’offre le logiciel. Ainsi, les élèves peuvent travailler et programmer en attendant de tester « grandeur nature » leurs projets.
Le projet est également un partenariat avec l’école ENSC de Bordeaux (Ecole Nationale Supérieure de Cognitique). Le projet a été proposé en fin d’année dernière à la direction de l’établissement. Etudié puis validé, il a été présenté en ce début d’année scolaire aux étudiants de 2ème et de 3ème année qui se sont emparés du projet (ce projet sert également de support de travail pour valider le cursus de ces étudiants). L’objectif des étudiants est de produire une application « tablette » permettant le contrôle et l’utilisation du robot Nao en situation de classe en vue de faciliter le quotidien scolaire d’enfant en situation de handicap. Les attendus avec les étudiants seront d’appuyer techniquement et « informatiquement » les élèves de CE1 -> CM2 dans leurs démarches de recherches dans la programmation, lorsque celles-ci seront trop complexes à produire. Concernant les modalités de mise en œuvre, un premier livrable concernant la conception (état de l’art, spécifications, architecture de l’application, maquettage) sera livré au 15/11/17. Un second livrable correspondant à l’application sera livré à la fin du projet, fin janvier. À partir du mois de juin, après les retours de test de l’application, l’application finale sera mise en place. Il restera à définir la portabilité de l’application, les interfaces etc.
D’où vient le robot Nao ? Comment avez-vous réussi à vous en procurer un exemplaire à moindre coût ?
Le robot Nao nous est prêté gracieusement par l’école Polytech’Tours de l’université de Tours. Suite à quelques échanges et une demande de ma part à cette école, j’ai présenté le projet au directeur technique qui, après lecture et discussion auprès de l’équipe dirigeante, a pris la décision de rédiger une convention de prêt entre nos deux établissements. Une première dans le département. Une première entre un établissement du premier degré et un du supérieur.
Nous avons donc signé une convention de prêt sur deux années scolaires consécutives, à raison de quatre semaines à chaque fois. Il est envisagé de revenir sur cette convention afin d’obtenir une nouvelle fenêtre de prêt, afin de mener à bien le projet.
Comment pensez-vous vérifier l’efficacité des programmes développés ? Quel logiciel utilisez-vous pour programmer les mouvements ?
Une fois que les programmes seront réalisés, les enfants retourneront dans l’établissement cible afin de d’évaluer si les travaux effectués en classe se révèlent intéressants et productifs. Il s’agira alors de tester le robot et le programme. Ensuite, en fonction de la réussite ou de l’échec, le programme sera retravaillé à l’école. Et ainsi de suite. Nous travaillerons donc sous forme de « va-et-vient » constants avec l’établissement cible.
Le logiciel utilisé s’appelle Choregraphe. Commercialisé par la société Aldebaran, il fonctionne par « box » que l’on dépose dans un espace de programmation. On « tire » ensuite un câble pour pouvoir mettre en action la commande souhaitée. Plusieurs catégories de boîtes sont proposées, allant des mouvements jusqu’aux boîtes plus complexes de reconnaissance visuelle ou sonore. Le langage sous-jacent à l’application est le langage « python ». Le logiciel est très facile d’utilisation. Les élèves, dès la première séance, ont su se l’approprier et créer un premier code.
En quoi Nao crée-t-il du lien avec les parents ?
Dans le courant de l’année dernière, vers la fin des premières expériences de classe avec le robot Nao, nous avons organisé et #CodingGoûter où nous avons invité les parents ainsi que les personnels de la DSDEN 37 (DASEN, IENA, IEN). Cette journée a été l’occasion de convier les parents des autres enfants de l’école. En effet, ce projet a fait l’objet de discussion et d’échanges dans l’ensemble des parents de l’école. Il nous paraissait important de rassembler tous les parents autour d’un projet fédérateur. Ce jour-là, en compagnie de l’IENA qui avait fait le déplacement, une quarantaine de parents avaient répondu présents.
Les enfants ont donc partagé leurs travaux, leurs réflexions et leurs expériences. Ils ont fait produire à leurs parents des algorithmes avec le logiciel Choregraphe qui ont utilisé le robot Nao comme leurs enfants. D’autres activités de programmation avaient été prévues, pour passer un moment de partage dans la bonne humeur. Ces instants ont un intérêt tout particulier dans le lien social que notre école avait souhaité tisser avec les parents et leurs enfants. Cette journée s’est achevée avec un goûter pris dans la cour de l’école.
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café