Du 26 au 28 octobre 2017, à Malte, plus de 600 enseignant•es de toute l’Europe ont partagé expériences, réflexions et ressources à la Conférence annuelle eTwinning. Le dispositif invite à nouer des partenariats pédagogiques par-delà les frontières, géographiques, culturelles et linguistiques : comment peut-il aider à rendre l’Ecole encore plus inclusive ? et l’Europe elle-même encore plus riche de sa diversité ? En voici un exemple, éclairant. Professeures en collège, d’une part à Marseille, d’autre part à Caen, Heather Braindbridge et Kristie Segond ont mené, avec des collègues des Pays-Bas, de Norvège et d’Allemagne, un projet autour des migrants et des réfugiés. Un magazine numérique collectif est venu rassembler les interrogations, enquêtes, interviews et lectures. Le projet, lauréat du prix européen 2017 catégorie 12-15 ans, montre comment dépasser les stéréotypes pour favoriser connaissances et compréhension, comment aider les élèves à devenir citoyens actifs d’une Europe toujours à réinventer.
Dans quel contexte avez-vous mené ce projet ?
Nous sommes professeures de littérature anglaise dans des sections internationales de collège : d’une part au collège Henri Brunet à Caen (Kristie), d’autre part au collège Jacques Monod à Marseille (Heather). Les sections internationales en France ont pour vocation d’accueillir dans le système éducatif français les élèves étrangers et les français ayant un très bon niveau d’anglais. Les élèves suivent un cursus basé sur les programmes britanniques en littérature et en histoire-géographie en anglais.
A ce titre, nous essayons de choisir des livres à étudier qui ont un lien avec l’actualité. Au cours de l’année 2015, l’Europe a été particulièrement touchée par une crise des réfugiés, appelée souvent « la crise des migrants ». A la radio, dans la presse et sur nos écrans, nous avons été interpelées par les histoires de souffrance humaine. L’une des œuvres que nous avions déjà étudiées fait écho à l’histoire des réfugiés. Nous avons donc décidé d’élargir cette étude littéraire à un projet européen qui allait creuser plus loin. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la plateforme eTwinning et donc l’idée de travailler dans l’optique de partage et de collaboration nous semblait essentielle sur un tel sujet.
Le niveau de classe concernée était les 4èmes. Parmi les 16 élèves du projet en France, on ne comptait pas moins de 11 nationalités dans les sections internationales. Leurs propres parcours migratoires se prêtaient bien à ce genre de projet.
Avec quels partenaires avez-vous travaillé ? Comment le contact s’est-il noué au départ ?
Nous avions déjà travaillé ensemble sur des projets eTwinning. La facilité et le niveau de confiance entre nous ont permis de travailler aisément sur un projet si sensible. La recherche de partenaires européens s’est faite sur le forum de recherche dans eTwinning Live. Des recherches de mots clés comme « litterature » ou « bilingual education » nous ont menées vers des partenaires : Amanda van Dijk (Carolus Clusius Collège, Pays Bas), Christian Fischer (Schillerschule, Allemagne), Anna Campman (Hovseter School, Norway). Nous avons parlé sur Skype et par mail pour expliquer le projet et pour être sûres de l’engagement de chacun•e. Les étapes du projet et le calendrier étant clairement définis dès le départ, chaque partenaire savait ce à quoi il s’engageait, ce qui a facilité la communication et collaboration.
Le sujet choisi est délicat, propice aux stéréotypes et aux polémiques : comment avez-vous surmonté cette difficulté ?
Pour ne pas tomber dans le piège des stéréotypes, nous avons travaillé avec les élèves sur les définitions de mots-clés du projet : parle-t-on de « refugee » ou de « migrant » ? Avant de regarder les histoires des autres, nous avons aussi demandé aux élèves d’examiner leurs propres histoires familiales migratoires. Nous avons de plusi évité de demander aux élèves de se positionner de façon tranchante : oui ou non, noir ou blanc, bien ou mauvais…
Vos élèves ont mené des recherches et des interviews : pouvez-vous nous éclairer sur cette phase de travail, ses modalités et ses intérêts spécifiques ?
Nous avons trouvé 5 questions clés. Chaque établissement a traité une des ces questions dans ses recherches. Chaque enseignant•e a guidé ses élèves selon le programme national et selon les compétences réelles dans ce domaine. Chaque enseignant•e était libre de choisir comment et où mener ses interviews. Pistes retenues : les ONGs (ex. France Terre d’Asile), les Ministères (ex. British Home Office), des réfugiés (parents ou élèves dans l’établissement)…
Vos élèves ont réalisé un magazine Madmagz : pouvez-vous en présenter le contenu ?
Le Magazine comprend des enquêtes autour de différentes questions : qui sont les réfugiés ? d’où viennent-ils ? où vont-ils ? par où passent-ils ? quelles sont leurs conditions de vie ? pourquoi quittent-ils le Moyen- Orient ? …
Les élèves y présentent aussi leurs diverses interviews : Catherine Gladwell, directrice de l’association humanitaire « Refugee Support Network » ; M. Albarian, parent d’élève venu du Liban en France dans les années 70 ; Anne-Kari Kollstrom, du Ministère des Affaires étrangères norvégien ; Joy Johnston, du gouvernement britannique ; des réfugiés norvégiens ; une étudiante travaillant pour la Croix Rouge Jeunesse …
Les élèves ont de plus rendu compte de leurs propres expériences pour souligner combien, dans ces sections internationales, eux-mêmes sont des migrants. Ou encore ils ont présenté des livres lus sur le sujet.
Comment avez-vous précisément intégré la littérature au projet ?
Le livre choisi, « The Other Side of Truth » de Beverley Naidoo, a été étudié après le travail préparatoire de recherche. Les élèves ont pu aborder le roman avec d’autres yeux, grâce au travail en amont.
L’une d’entre vous avait un réfugié syrien dans sa classe : comment lui-même a-t-il vécu ce projet ? quel a été son apport et qu’est-ce que le projet lui a apporté ?
Le projet a donné une voix à cet élève. Il n’avait plus besoin de s’expliquer, ni d’expliquer son parcours : les élèves ont pu découvrir de façon objective ce qui lui était arrivé. Il a insisté pour travailler sur les conditions d’accueil des réfugiés.
Au final, quel vous semble avoir été l’impact du projet sur vos élèves, pédagogique et aussi peut-être citoyen ?
Les élèves ont appris à argumenter, à rechercher, à justifier leurs opinions avec des statistiques et des faits réels. Ils ont appris à s’informer en vérifiant les sources. Sur le plan citoyen, ils peuvent maintenant repérer, identifier des ONGs actives sur cette question, et ils savent que des réfugiés vivent dans leurs villes. Ils ont été sensibilisés aux plus défavorisés de notre société. En regardant la crise des réfugiés à travers différents angles, ils se sont ouverts non seulement à la complexité des problèmes politiques en jeu, mais aussi au cout humain. Nous avons tous et toutes bougé : depuis les titres chocs des journaux jusqu’à la confrontation avec la complexité et la réalité des faits. En croisant leurs regards avec ceux des partenaires européens, les élèves ont réalisé que toutes les cultures ne voyaient pas le monde de la même façon.
Pour Christian Fischer, notre collègue allemand, le travail, non seulement a permis d’élargir le regard à la dimension européenne du problème, mais il a aussi aidé à prendre réellement en considération les réfugiés vivant dans nos propres communautés.
Pour Anna-Catharina Campman, notre collègue norvégienne, le projet s’est avéré une expérience d’apprentissage de grande valeur : elle nous a enseigné que de tels problèmes globaux relèvent de la responsabilité de chacun•e.
Pour Amanda Van Dijk, notre collègue néerlandaise, travailler sur un tel sujet permet de développer chez les élèves non seulement les connaissances, mais aussi la compréhension. Voilà ce que peut être l’éducation, dans une Europe qui change et invente son avenir.
Envisagez-vous des prolongements ou de nouveaux projets ?
Le projet a eu un tel impact sur non seulement les élèves, mais aussi sur les enseignants. Nous ne pouvons pas imaginer ne pas travailler sur des grandes questions qui touchent profondément notre société actuelle.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Turning Inclusion Into Action : le site de la Conférence annuelle