« Personnellement je suis inamovible. Mais… il est clair que dans certaines circonstances il serait difficile pour moi de rester ». En avril 2017 le Café pédagogique interrogeait Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), sur son avenir. Le 26 septembre le moment est venu pour Michel Lussault. Au delà de son avenir personnel, c’est celui du CSP qui se joue et surtout le devenir des nouveaux programmes. Les enseignants vont-ils devoir revoir à nouveau leurs préparations ?
Ping pong radiophonique
Le 26 septembre sur France Inter, Michel Lussault explique qu’il démissionne du Conseil supérieur des programmes, un organisme mis en place par Vincent Peillon dans le cadre de la refondation de l’école. Il veut « envoyer un message au ministre et à tous ceux que l’éducation intéresse » et dénonce le débat politicien auquel se livrerait le ministre en remettant en cause les évolutions de ces dernières années. Le ministre flatterait « une clientèle politique », ceux qui « ont réussi à diffuser l’idée que l’école démocratisée est nécessairement de faible qualité ». Pour lui la gauche a échoué dans le combat pour la démocratisation de l’école. « On n’a pas réglé la question de la démocratisation de l’école », dit-il.
Sa démission est saluée quelques heures plus tard par JM Blanquer. « Cela ne me gêne pas du tout, ce n’est pas un problème. Je suis dans un travail d’organisation de l’Éducation nationale pour que tous les enfants sachent lire, écrire, compter et respecter autrui à la sortie de l’école primaire. Si ça gêne M. Lussault, c’est vraiment pas grave qu’il s’en aille ».
Le CSP au travail
Le CSP avait été crée en 2013 par Vincent Peillon et inscrit dans la loi sur la refondation. Pour Vincent Peillon il s’agit de » de garantir la transparence et la qualité du processus d’élaboration de textes essentiels pour les enseignements de tous les élèves » après l’épisode du cabinet noir qui avait conçu les programmes de 2008. Le CSP est chargé par le ministre « d’émettre des avis et de formuler des propositions sur la conception et le contenu des enseignements dispensés aux élèves des écoles, des collèges et des lycées ». Pour marquer l’importance attribuée à cette instance, le CSP comprend 10 experts de l’éducation et 8 parlementaires ou membres du CESE.
De 2013 à 2017 , le CSP ne chôme pas. Il rédige le socle commun qui fixe de grandes lignes pour les programmes. Puis en 2014 entame un marathon des programmes de l’école obligatoire. En 2015 les programmes de maternelle entrent en application. Ils sont suivis des programmes de l’école élémentaire et du collège.
« On est fier de ce que nous avons produit : le socle, les programmes de maternelle, de la scolarité obligatoire, les parcours, l’EMC, les adaptations des programmes. Nous avons tracé des voies de réflexion et d’action porteuses de refondation de l’Ecole », nous disait M Lussault en avril 2017.
Un accueil différent des programmes à l’école et au collège
De fait les programmes de maternelle ont été très bien accueillis par les enseignants. Ceux de l’école élémentaire également. Certains enseignants ont regretté le caractère très contraignant des programmes de 2008. Mais la plupart ont apprécié la liberté des programmes de 2016. Les débats sur le postulat ou la syllabique n’ont pas trouvé un grand écho chez les enseignants du primaire.
Les programmes du collège ont eu beaucoup plus de mal à passer. Les campagnes médiatiques contre ces programmes ont été d’une très grande médiocrité. Rappelons l’épisode du prédicat qui signerait la mort de la grammaire ou de l’accent circonflexe soi disant supprimé. En histoire une campagne extrémiste a marqué des points contre des programmes qui étaient restés très traditionnels mais qui ouvraient quelques portes par rapport à la chape de plomb de 2008. Finalement les programmes ont été revus.
Mais ce qui a réellement nui à ces programmes du collège c’est le fait d’être assimilés à une réforme du collège qui prétendait imposer de nouvelles pratiques pédagogiques sur injonction venue de la rue de Grenelle.
Interrogé sur ces réticences, M Lussault n’était pas dupe. « Notre proposition de cycles est différente de la logique dominante qui est celle du spécialiste disciplinaire », disait-il. « La mise en application intégrale sur une année a posé plus de problème au collège. Notamment à cause du cycle 3 en 6ème. Enfin la mise en oeuvre a souffert du brouillage lié à la mise en place de la réforme du collège, une réforme que nous n’avons pas demandé ». Au final les programmes sont appliqués alors que les dispositifs de la réforme se délitent depuis la contre réforme Blanquer.
Vers de nouveaux programmes ?
Quel est l’enjeu des jours à venir ? Dès son retour rue de Grenelle, JM Blanquer a annoncé qu’il ne ferait pas de nouveaux programmes » même s’il a des réserves sur certaines choses ».
Mais de fait il a entamé la modification de ces programmes. D’abord en ciblant des classes et non plus des cycles. C’est le CP qui est présenté comme une année clé et non le cycle 2. Ensuite en indiquant des contenus. Ainsi les évaluations de CP fixent des contenus nouveaux à apprendre pour la grande section. Tout cela se fait sans débat, sans conseil, sur simple décision ministérielle. Cela ressemble beaucoup à la rédaction des programmes de 2008 faite dans une totale opacité par un comité secret.
« La mise en oeuvre des nouveaux programmes a demandé un effort considérable aux enseignants. Leurs organisations syndicales devraient demander la stabilité quitte à ce qu’on amende les programmes », nous disait M Lussault en avril 2017. « On peut être dans une logique d’évolution des programmes à partir de diagnostics sur ce qui ne fonctionne pas. Mais on ne peut pas aujourd’hui, au bout de quelques mois, préjuger de l’échec de ces programmes. La stabilité est nécessaire aux enseignants, aux enfants et à la société pour que l’Ecole ne soit plus le terrain de jeux des polémistes ».
François Jarraud