L’aide aux devoirs est un serpent de mer de la politique éducative. Comment gommer les inégalités entre les élèves que les parents peuvent aider et ceux qui ne trouvent aucun soutien à la maison ? Le nouveau ministre Jean-Michel Blanquer brandit le dispositif » Devoirs faits » – les collégiens rentreraient chez eux après des études dirigées, confiées à des jeunes en service civique, des retraités, des assistants d’éducation et quelques profs. Au collège Georges Rouault, l’un des 4 REP + à Paris, il existe depuis sept ans un dispositif d’aide aux devoirs. Instructif.
Jérémie Pelé, professeur de SVT (sciences de la vie et de la terre), coordonne le dispositif ADELL (aide aux devoirs et aux leçons en ligne) depuis 7 ans. A son arrivée au collège, il a pris la suite d’une collègue qui avait mis au point ADELL avec un universitaire, Saïd Iamarène, prof de maths à l’UPEC (Université Paris Est Créteil).
Il s’agit d’une plateforme où les élèves volontaires se connectent avec leur identifiant et leur mot de passe. Toute l’année, du lundi au jeudi, de 18 heures 30 à 19 heures 30, ils peuvent entrer en contact avec quatre enseignants : deux profs de maths le lundi et le mercredi, une prof de français le jeudi, et Jérémie Pelé le mardi et le jeudi.
Coopération
Les élèves peuvent, au choix, accéder à une classe virtuelle où ils retrouvent des camarades ou demander une connexion individualisée. La plateforme propose une zone de tchat, un tableau blanc où on peut écrire et dessiner, la possibilité de partager des documents, de les annoter…
» Pour le travail personnel, nous privilégions la coopération, explique Jérémie Pelé, on fait réfléchir les élèves autour d’un même sujet, ils confrontent leurs réponses. Tout passe par l’écrit. Pour les leçons, la grande difficulté pour les élèves est de cibler l’essentiel, poursuit-il. On fait l’exercice des 5 questions : les élèves doivent formuler 5 questions sur ce qui leur paraît essentiel dans le cours. Très souvent, ils en restent à l’anecdotique. Un exemple : le déplacement des plantes via le vent et l’eau. Les élèves vont demander comment se déplace la graine d’un abricot, mais ils ne vont pas demander si c’est la plante ou le fruit qui se déplace ou qu’est-ce que coloniser un autre milieu. «
Sixièmes
Le dispositif repose sur le volontariat. Ce sont très majoritairement les sixièmes qui y ont recours. » Il sont encore très jeunes, curieux, ont envie de bien faire. Après vient l’adolescence… «
Entre octobre 2016 et mai 2017, 105 collégiens de Rouault ont utilisé ADELL au moins une fois, soit 1226 connexions. Parmi eux, 10% se sont connectés presque tous les soirs.
Le dispositif parvient-il à toucher les plus en difficultés ? Jérémie Pelé distingue plusieurs catégories d’élèves utilisateurs : « les très bons, les moins bons mais très motivés, d’autres qui ne participent pas en classe et qui sont là très actifs, enfin des élèves en grande difficulté qui se connectent pour s’ouvrir, pour être encouragés. »
Assidus
Derrière l’aspect virtuel, Jérémie Pelé défend la dimension humaine du dispositif : » on communique, on crée de la confiance, on apaise les chose. On voit des effets dans les classes où beaucoup se connectent. Comme on se retrouve dans un autre cadre, en dehors du collège, ça crée des liens, l’ambiance s’améliore. »
Comment juger de l’efficacité d’ADELL ? Avec le chef d’établissement, le coordonateur a étudié il y a deux ans les résultats des élèves utilisateurs. » Pour les plus assidus qui vont régulièrement sur la plateforme, les résultats, qui généralement fléchissent sur une année au collège, baissent moins que pour les autres élèves. »
Généraliser
Quid de la lutte contre les inégalités face aux devoirs ? Au collège Rouault comme souvent dans les établissements difficiles, bon nombre d’élèves ne font pas leurs devoirs. » Grâce à ADELL, certains s’y mettent et travaillent à la maison « , souligne Jérémie Pelé.
Le professeur de SVT reconnaît toutefois la difficulté de généraliser. » Il est très difficile de trouver des enseignants qui veulent s’engager ainsi, une heure en fin d’après-midi toute l’année. »
» Certains ne souhaitent pas travailler en dehors de leurs heures de service ou alors ils préfèreraient avoir une décharge plutôt que d’être payés en heures supplémentaires. D’autres sont rebutés par l’instrument informatique ou sont hostiles à la dématérialisation de l’enseignement. »
Formation
Le dispositif a pourtant des avantages. » Ce sont des profs qui assurent l’aide aux devoirs, se félicite Jérémie Pelé, or cela ne s’improvise pas, nous sommes formés et nous connaissons les élèves. Il ne faudrait pas laisser cette aide aux grands frères. Sinon, il y a des déjà des tas d’associations qui proposent cela dans le quartier. «
» C’est bien aussi que ce soit les professeurs qui s’en chargent, poursuit-il. Ils se rendent compte de ce que vivent les élèves. Moi, au début, j’ignorais tout, j’ai personnellement beaucoup appris avec ADELL sur nos élèves et leurs pratiques. «
Passivité
Pour Jérémie Pelé, la grande bataille à livrer est contre la passivité des élèves. Avec la plateforme, ils doivent être actifs. » D’après moi, les élèves doivent passer par une phase d’apprentissage individuelle qui nécessite une phase de solitude. Nous, on est là pour les aider à apprendre. » Des études dirigées, d’où ils partiraient les devoirs faits, les feraient-ils gagner en autonomie ?
Le coordonateur souhaite la poursuite du dispositif. Mais comment en être sûr en pleine incertitude après toutes les annonces ministérielles et les changements de cap ? Le collège Rouault avait une classe bilangue allemand – que Blanquer veut rétablir. Il proposait des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) – qu’il veut supprimer… Heureusement que le ministre avait promis d’éviter un bing bang.
Véronique Soulé