Corrigé 15h – Dans le cadre du Printemps de l’économie qui s’est déroulé du 20 au 23 mars à Paris, les enseignants de Sciences économiques et sociales (SES) ont marqué les cinquante ans de leur discipline. La table ronde sur cet anniversaire s’est déroulée le 22 mars avec la participation de la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem et celle, imprévue, des féministes de La Barbe. Reportage.
C’est tout de même barbant, un tribune entièrement masculine ! Heureusement, les militantes de La Barbe sont venues bousculer la suprématie virile lors du débat sur les 50 ans des SES et rappeler avec leur humour habituel, que les femmes aussi font de l’économie et peuvent très bien intervenir devant un auditoire.
Alors que Pierre Rosanvallon célébrait à la tribune l’importance des SES pour former les esprits citoyens capables d’argumenter et de tenir bon face aux thèses complotistes, les militantes féministes, le visage mangé par leur grosse barbe postiche, sont montées sur la scène de l’amphi.
Intermède
Campées derrière les débatteurs masculins, elles ont attendu la fin de l’intervention de Pierre Rosanvallon. Puis elles ont pris le micro et fait les comptes : sur 145 intervenants durant le Printemps de l’économie, 37 femmes seulement, et encore parfois sont-elles de simples animatrices de débats… Les hommes à la tribune avaient l’air approbateur. Plusieurs se sont d’ailleurs ensuite fendus d’un petit couplet sur l’injuste place faite aux femmes.
Hormis cet intermède contestataire, la séance consacrée aux 50 ans des SES a été largement consensuelle et gentiment festive. Des élèves de l’atelier théâtre du lycée Berlioz de Vincennes ont joué une petite pièce, mettant en scène les grands penseurs – Marx, Durkheim, Ricardo, Adam Smith, Bourdieu… – discutant profits et exploitations des ouvriers autour d’un verre. On a même vu Marx pompette à la fin … Il y a eu aussi une remise de prix aux élèves qui avaient présenté les meilleures vidéos sur les SES.
Esprit critique
» L’une des choses les plus importantes à enseigner aujourd’hui est le rapport de la connaissance à la critique pour démonter les visions complotistes. Si elles l’emportent sur la connaissance, le populisme gagnera « , a averti Pierre Rosanvallon, professeur au collège de France d’histoire du politque. L’essentiel étant de » forger un esprit critique et de recherche », il s’est félicité que cela soit au coeur de la démarche des SES.
Chaque invité devait expliquer pourquoi il avait choisi la filière ES – ou sa prédécesseure B – au lycée ou ce que l’enseignement des SES lui avait apporté. Pour Philippe Askenazy, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, les SES apprennent » la capacité à débattre « . » Une généralisation serait un progrès pour la citoyenneté, a-t-il estimé, c’est même une problématique d’égalité ».
Entrain
Plein d’entrain, presque jovial, Jean-François Copé, le député-maire Les Républicains (LR) de Meaux, a expliqué qu ‘il avait passé un bac B » un peu par hasard » mais qu’il ne le regrettait pas. » J’étais bon en maths mais catastrophique en physique. Alors on m’a conseillé B. » Au début , il l’avait ressenti comme un échec, aspirant à S.
Aujourd’hui le candidat malheureux à la primaire de la droite et du centre estime que » cet enseignement devrait être généralisé, pourquoi pas dès la cinquième ». Il n’a toutefois pas pu s’empêcher d’égratigner » certains manuels qui caricaturent les entrepreneurs, les ouvriers… Il faut que l’économie divorce d’avec l’idéologie « .
Regards croisés
Fabien Truong, sociologue à Paris 8 après avoir été prof de SES en Seine-Saint-Denis, était lui un bon élève. Aussi a-t-il fait la série S sans se poser de questions. Puis il est tombé sur une prépa Lettres et sciences sociale (B/L) : » ma rencontre avec les sciences sociales a été un choc, j’ai eu envie ensuite d’enseigner les SES. «
Il a détaillé ce qui faisait , selon lui, la richesse de cette discipline multiple : » On se confronte avec beaucoup de théories et on met aussi la main à la pâte. On croise aussi les regards en permanence – économie, sociologie, histoire… «
Emancipation
La ministre sortante Najat Vallaud-Belkacem a clôt la séance. Ancienne de la filière, elle a évoque le jour mémorable où son professeur avait abordé la question de la mobilité sociale, » de façon très concrète mais aussi par les mécanismes plus complexes de la reproduction sociale « . » Ce n’était pas seulement l’émotion liée à la connaissance mais une voie vers l’émancipation. »
Elle a été très applaudie lorsqu’elle a souligné que » ce n’était pas aux politiques ni aux chefs d’entreprises d’écrire les programmes des SES » . Mais Jean-François Copé avait filé avant son intervention.
Genre
Elle s’est félicitée des avancées faites sous le quinquennat, comme » le rapprochement entre les élèves et les étudiants, et le monde professionnel et l’entreprise. Evoquant la demande des enseignants de SES de voir leur discipline entrer dans le tronc commun, au lieu d’être un enseignement exploratoire, elle n’a pas pris d’engagement, son temps rue de Grenelle étant désormais compté.
Avant de commencer, elle avait tenu à voir les vidéos gagnantes des lycéens, » quitte à raccourcir mon propos « . L’une d’elles, très rigolote, portait sur » La socialisation différente par genre « . Les organisateurs auraient dû mieux la regarder. Ils auraient pensé à inviter des filles.
Véronique Soulé