Les 16 et 19 mars, le Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah-Amicale d’Auschwitz organise des projections et rencontres autour du film « Noah Klieger, boxer pour survivre ». C’est l’occasion de revenir sur l’engagement chez les professeurs d’histoire-géographie. Depuis plus de 20 ans, Nicole Mullier anime le Cercle et fait avancer la réflexion de ses élèves et celle des professeurs sur la Shoah et la résistance. Une obstination qui enrichit la communauté enseignante.
Le Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah-Amicale d’Auschwitz existe depuis longtemps. Il a la particularité d’associer des déportés et des enseignants d’histoire-géo. Comment s’est fondée cette alliance ?
En décembre 1991, des étudiants de Versailles ont envoyé des courriers dans divers établissements scolaires en disant que les professeurs ne savaient pas enseigner la Shoah. Aussi, pour le 50° anniversaire de la Conférence de Wannsee, deux professeurs d’histoire, Marie Paule Hervieu et Nicole Mullier, avons organisé au lycée Edgar Quinet, dans le 9 ème, avec l’aide de ces étudiants constitués en association « Le respect de la Mémoire », une séance sur « La destruction des Juifs d’Europe », basée sur des témoignages de Nathan Prochownick et de Raphaël Esrail de l’Amicale d’Auschwitz. La demande des élèves était très forte alors.
Nous avons, les années suivantes, organisé toute une journée autour du 20 janvier, alternant des témoignages de résistants et de déportés d’Auschwitz, avec des extraits de films, selon des thèmes comme « Les femmes dans la Résistance et la Déportation », « Le travail dans les camps », « Drancy ». Des collègues de diverses matières se sont joints à nous, professeurs de philosophie, de français, de langues, même de mathématiques, de physique et bien sûr la professeur-documentaliste.
Après un voyage à Auschwitz en 1994 avec l’Amicale d’Auschwitz, nous avons voulu aller plus loin, en organisant des conférences pour les enseignants et les professeurs-documentalistes. Ainsi, le 30 novembre 1996, une journée était consacrée au négationnisme avec Pierre Aycoberry, suivie d’ateliers sur l’enseignement de la Shoah. L’APHG nous a soutenu dès le début, en la personne d’Hubert Tison.
Les liens avec les déportés de l’Amicale d’Auschwitz sont devenus des liens amicaux. L’idée était de former des professeurs à l’enseignement de la Shoah, de créer des outils pédagogiques, de continuer à enseigner ce fait d’histoire après la disparition des témoins. Toujours dans une perspective de formation, mais avec des moyens limités, et en dehors de tout communautarisme, nous avons continué à alterner des conférences pour les élèves et pour les enseignants, distinguant Allemands et nazis
L’idée du Cercle d’Étude de la Déportation et de la Shoah a été lancée le 6 décembre 1996 au cours de la première journée d’étude sur le négationnisme et l’enseignement de la Déportation et de la Shoah, organisée au lycée Edgar Quinet.
Le Cercle d’étude est une association laïque et indépendante, selon la loi de 1901, depuis 2004 et a pris le nom de Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah-Amicale d’Auschwitz, à la création de l’UDA, Union des déportés d’Auschwitz, pour garder en mémoire le nom de l’Amicale d’Auschwitz.
La Shoah est entrée pleinement dans les programmes d’histoire de façon relativement récente. Peut-on dire que le Cercle a été précurseur et qu’il y est pour quelque chose ?
Nous avions eu l’impression que nos idées étaient reprises. Même si le doyen Borne a rempli de professeurs l’amphithéâtre du lycée Edgar Quinet pour une conférence, « Soixante ans après Auschwitz », nous ne sommes pas un groupe de pression. Nous avons toujours été indépendants, soutenus par l’Amicale d’Auschwitz, puis par certains membres de l’UDA, d’autres voulant qu’on rejoigne le Mémorial de la Shoah.
Peut-on enseigner la Shoah de façon laïque ?
Dans une perspective de droits de l’homme, oui. Notre profession de foi c’est que « l’étude de la Déportation et de la Shoah a un intérêt universel, qu’elle peut donner à tous, aujourd’hui et demain, les moyens de réfléchir et de résister aux tentations racistes, xénophobes et totalitaires. »
Le Cercle est pluraliste. On peut trouver sur le site une page sur Octobre à Paris – 17 octobre 1961, Je suis le peuple, ou sur des résistants oubliés ou méconnus comme Henri Nanot, Georges Guingouin.
Que propose le Cercle aux enseignants ? En quoi est-ce adapté aux cours d’histoire ?
Le Cercle met en relation des élèves ou des professeurs avec des témoins. En janvier, le lycée Buffon a accueilli, avec l’aide du Cercle d’étude, des témoins dans le cadre du CNRD 2017 : « La négation de l’Homme dans l’univers concentrationnaire nazi ». Des questions ont été préparées à l’avance par les élèves, soumises aux témoins. Des élèves ont lu des textes. Cela a été suivi d’une rencontre des élèves du Club Histoire avec les témoins autour d’une galette des rois.
Les conférences sont suivies de Petits Cahiers, avec la retranscription de la Conférence-débat, avec des articles de mise au point, des documents, des médiagraphies. Notre 55 ème Petit Cahier : « Docteur Adélaïde Hautval dite « Haïdi », 1906 – 1988 », 240 p., paru aux Presses universitaires de Strasbourg, sur une femme d’exception, humaniste oubliée, internée comme « Amie des juifs » et déportée à Auschwitz dans le convoi du 24 janvier 1943, dit le « convoi des 31 000 », de Charlotte Delbo, Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier.
Depuis 2006, nous avons réalisé six DVD pour aider les élèves préparant le CNRD, avec un livret pédagogique. Celui sur 9 témoins est pour les CM2, collégiens et lycéens, « Des internés et déportés juifs témoignent pour les élèves ». Il a été conçu, un peu comme un testament, pour que la mémoire perdure. C’est le souci des déportés. Certains nous ont quitté depuis. Le but était d’atteindre un maximum de régions françaises où il est difficile d’avoir un témoin. Des petits écoles nous ont écrit pour avoir le DVD sur les enfants.
J’ai compris, il y a une vingtaine d’années, qu’Internet était un outil formidable, aussi le Cercle a mis en ligne le DVD sur les 9 témoins. des comptes-rendus de conférences, des témoignages écrits, des pistes de cours, des explications de documents, des comptes rendus de livres de témoins. Des pages ont été créées suite à des demandes d’enseignants, comme une sur le 27 janvier, une page sur les mots de la France sous l’occupation, une sur le langage des camps.
L’enseignement de la Shoah est réputé difficile. Qu’en pensez-vous ?
L’enseignement de la Shoah est devenu difficile. Il a subi le contrecoup de la politique israélienne. Des élèves ont pu s’identifier aux victimes palestiniennes. Je m’insurge contre « Les territoires perdus de la République ». Les déportés ne sont plus très nombreux à pouvoir témoigner, mais lorsqu’ils vont dans des établissements « sensibles », qu’ils disent aux jeunes qu’ils avaient leur âge quand ils ont été déportés, un dialogue s’instaure, la vision change. « Aujourd’hui, nous avons toujours cette question-là, le problème de l’immigration : on dit toujours que c’est un problème. » avait dit Gérard Noiriel dans une conférence.
Certains disent qu’on a trop parlé de la Shoah en cours d’histoire. Qu’en pensez-vous ?
Il est regrettable que dans les programmes, on accorde trop de place à la destruction des Juifs, y compris pour des élèves de CM2 et pas assez à la résistance. Elle ne doit pas être marginalisée. Nous avons fait un petit livre sur les Évasions pendant les Marches de la mort avec plusieurs organisations de déportés.
Propos recueillis par François Jarraud