Un autre modèle pour l’EPS ? Wilhelm Röösli est professeur d’EPS au Collège Alain Fournier de Clamart (92) et membre du groupe Epic de l’AE-EPS. Il nous présente les nombreuses propositions du groupe, en y mettant aussi sa touche personnelle : une vision complète de l’enseignement de l’EPS au service des apprentissages des élèves !
Vous êtes membre du groupe Epic de l’AE-EPS. Quelles sont vos préoccupations actuelles ?
La rentrée scolaire de Septembre 2016 a été rythmée par la mise en œuvre de nouveaux programmes de collège »soclés », en EPS et dans les autres disciplines d’enseignement. Cette nouvelle matrice invite chaque équipe pédagogique à orienter le parcours de formation des élèves vers un enseignement plus inclusif, citoyen et ouvert vers le futur. Notre profession est donc interrogée sur sa capacité à prendre en considération l’hétérogénéité d’un public scolaire local pour offrir à chacun l’opportunité de réussir. Pour opérationnaliser ces louables intentions, le groupe EPIC (Evaluation Par Indicateurs de Compétence) propose une démarche d’enseignement basée sur le principe de la recherche – action
C’est-à-dire ? Pourriez-vous nous préciser votre démarche ?
A travers cette méthodologie EPIC (voir revue enseigner l’EPS n°268), nous souhaitons clarifier le processus de transmission / appropriation pour « rendre visible un objet de savoir invisible » (D. Paget). Ceci, afin de renseigner conjointement l’enseignant et les élèves sur les progrès qui s’opèrent au fil des leçons (cf repères de progression). Ces »pas en avant » (Ubaldi & Coston), décelables à travers des indicateurs souvent quantitatifs (par exemple via un score parlant du type 1/10/100, 12001 ou 18001, des cibles…), révèlent les différents degrés de maîtrise de la compétence (étapes). Par conséquence, toutes ces »petites victoires » témoignent des transformations qui s’opèrent, de l’engagement de l’élève dans un processus de réussite.
Pour notre public adolescent, confronté à une période charnière dans la construction de son identité, »la reconnaissance publique » des progrès réalisés constitue donc un enjeu important. Car le cours d’EPS n’est pas un lieu d’expression anodin. Notre mission d’éducation corporelle et sportive nous confronte à des problématiques singulières qui peuvent déboucher sur de formidables accomplissements comme sur de néfastes blocages. En cela, cette »mise en valeur objective » de nos élèves devrait contribuer à renforcer leur sentiment de compétence.
Afin de s’inscrire dans cette logique, nous envisageons un »cheminement didactique » qui ne repose pas sur la transposition didactique du modèle sportif culturel. En effet, des indicateurs de performance sensiblement identiques à ceux du milieu fédéral pour rendre compte de la compétence des élèves, seraient trop « macroscopiques » pour lire et interpréter la motricité des élèves. Dans de telles conditions, l’élève qui s’investit et apprend en EPS peut se voir confronter à une non reconnaissance de ses apprentissages.
Quels paramètres prenez-vous en considérations pour fonder vos propositions ?
Dans notre démarche EPIC, nous prenons donc en considération quatre paramètres pour fonder nos propositions : l’hétérogénéité des ressources de notre public scolaire, le temps scolaire des apprentissages, les espaces scolaires (plus ou moins optimaux) et la volonté d’inscrire la trajectoire des apprentissages des élèves dans un parcours de formation. Notre volonté d’être « en prise » avec ces « principes de réalité scolaires » nous engage dans la continuité des travaux du CEDREPS, à travers la définition d’objets d’enseignements ciblés, évitant en cela un certain »zapping pédagogique » peu approprié aux spécificités scolaires énoncées en amont.
Ensuite, nous élaborons un Dispositif d’Évaluation Révélateur de la Compétence (DERC) dans ses dimensions motrice, méthodologique & sociale. Ce DERC est ainsi paré d’un « habillage », de paramètres pédagogiques qui permettront aux élèves de se confronter à une tâche complexe dans laquelle ils pourront s’éprouver et prouver leur niveau de compétence tout au long de la séquence d’apprentissage.
Notre groupe EPIC va donc davantage apporter sa spécificité sur la dimension évaluative des apprentissages. A ce titre, les réflexions autour de l’évaluation formative constituent la pierre angulaire de notre démarche. En ce sens, l’évaluation est davantage envisagée comme un message et moins comme une simple mesure. Nos productions visent ainsi à permettre aux élèves de s’auto & se co-évaluer pour mieux apprendre (Rey & Feyfant) et déterminer leurs apprentissages futurs (fonction d’aiguillage).
Nous voyons donc que les aspects méthodologiques & sociaux sont au cœur de nos préoccupations depuis plusieurs années. Dans notre réflexion, le travail sur ces thématiques est antérieur aux nouveaux programmes de collège. Selon notre point de vue, ces acquisitions méthodologiques et sociales doivent jouer un rôle important d’étayage (Röösli) des apprentissages moteurs. Toutefois, nous verrons plus en aval que certaines précautions didactiques sont à envisager pour ne pas verser dans certaines dérives.
La faculté à générer des dynamiques collectives propices au développement des performances de chaque élève (Saury) guide donc l’élaboration de nos dispositifs. Car au sein de la classe, la dimension collective occupe une place incontournable dans les apprentissages. En effet, en EPS, on apprend avec, par, pour & contre les autres (A. Canvel, IGEN, journée J. Zoro, oct. 2016). Ces options ont été présentées antérieurement par D. Rossi (en athlétisme, badminton et dans le cadre de la CP5), R. Fayaubost & M. Bérenguier (en natation), J. Gibon et C. Albertini (en natation), J.P Averty (en ultimate), V. Rusquet (en lutte) W. Röösli (en acrosport & badminton) et S. Bernard, L. Peyre, W.Röösli & E. Testud (en demi-fond).
Quelle est la position du groupe Epic sur les nouveaux programmes ?
A l’instar de la décision collégiale prise par le bureau national de l’AEEPS, nous souhaitons effectuer des propositions d’aide à la mise en œuvre des nouveaux programmes d’EPS, même si ces derniers ne nous satisfont pas vraiment. Nous pensons que notre travail articulant conjointement les dimensions motrice, méthodologique et sociale s’inscrit directement dans la logique des compétences générales en EPS, chacune étant expressément en lien avec un domaine du S4C. De plus, notre travail autour des indicateurs quantitatifs offre des points d’appui tangibles pour envisager un travail interdisciplinaire. En effet, les données objectives recueillies au cours des leçons d’EPS, notamment à travers un carnet d’entraînement, peuvent être exploitées lors d’un travail avec d’autres disciplines d’enseignement. Enfin, lors de nos productions antérieures, nous définissions différents degrés de maîtrise des acquisitions au plan moteur, méthodologique et social (cf flèche des apprentissages). Les liens que l’on peut établir avec les notions d’étapes & repères de progressivité des nouveaux programmes paraissent assez évidents.
En revenant sur vos propositions, vous nous parlez de fils rouges, fils bleus pour cibler les objets d’enseignement. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?
Notre réflexion part d’un constat partagé autour du niveau d’un certain nombre d’élèves que l’on qualifie « d’éternels débutants » et des « principes de réalité scolaire » exposés plus haut. Ce constat nous interpelle et questionne nos pratiques quotidiennes : nos attentes ne sont–elles pas démesurées au regard du contexte d’enseignement et du déjà-là de nos élèves ? Les difficultés rencontrées ne sont-elles pas parfois liées à une certaine tendance à l’exhaustivité ?
Pour dépasser ce stade, nous pensons donc que des choix doivent s’opérer dans notre stratégie d’enseignement. Ces choix dans le parcours de formation des élèves permettront de définir des fondamentaux, des incontournables au plan moteur, méthodologique et social. Pour caractériser les objets d’enseignement sélectionnés, nous avons retenu, au plan moteur, l’idée de « fil rouge » popularisée par JL Ubaldi & A. Coston . En parallèle, nous mettons le « focus » sur des acquisitions méthodologique et sociale jugées comme prioritaires pour renforcer l’efficacité des apprentissages moteurs ciblés. Nous parlons alors de fils bleus méthodologique et social. Ces fils rouge et bleus colorent l’ensemble des leçons de la séquence d’apprentissage (cohérence horizontale). Dans la même logique, chaque situation sera teintée de « rouge & bleu » (cohérence verticale). Cette récurrence présente un double avantage. Elle permet d’afficher plus de clarté et de cohérence dans les apprentissages proposés aux élèves et offre, dans le même temps, des occasions multiples de répétition sous des formats différents.
Après avoir établi les fils rouges et bleus, nous définissons des indicateurs, souvent quantitatifs, pour révéler les transformations qui s’opèrent au plan moteur, méthodologique et social. Puis, nous réfléchissons à l’élaboration d’un DERC qui permettra d’opérationnaliser cette stratégie d’enseignement.
Quels sont les principes à favoriser pour s’appuyer sur des fils bleus opérationnels ?
Pour répondre à cette question, nous souhaitons auparavant préciser que, dans notre conception, les acquisitions M&S ne sont pas des apprentissages incidents. Elles ne peuvent être le »fruit du hasard ». Il s’agit donc de dépasser le phénomène de sérendipité professionnelle assez régulièrement observé sur cette thématique (cf B. Redding in le café pédagogique du 22 janvier 2016). Trop souvent, ces aspects M&S relèvent de la simple incantation et sont envisagées sans réelle progressivité.
A l’heure actuelle, « le vivre ensemble », « la citoyenneté » constituent des enjeux éducatifs majeurs. Pour éviter qu’ils « sonnent creux », nous pensons que ces dimensions M&S doivent faire l’objet d’un véritable traitement didactique pour permettre leur progressive édification (Röösli n°263). Car d’emblée, leur usage pour les élèves ne va pas de soi et suppose une augmentation graduelle de leur mise en pratique.
En effet, élaborer un plan de course, formaliser puis présenter un enchaînement gymnique, définir projet de jeu, conseiller un camarade réclame de la méthode, du temps, de la répétition, de la progressivité (construction par étapes). Si je prends l’exemple de l’acrosport en cycle 4, mes élèves de 4ème se préparent à la réalisation d’un spectacle (devant leur camarade et parfois devant leurs parents et des personnels de l’établissement). Durant la séquence d’apprentissage pour se perfectionner sur le fil bleu KIFÉKOIOÙETQUAND, ils obtiennent des « passeports d’enchaînement » présentant des exigences croissantes au plan moteur et méthodologique. Dans la même logique, d’un point de vue social, les élèves jugent les prestations des acrobates à partir de cartes.
Là encore différentes étapes sont envisagées. En début de séquence, les attentes relatives au jugement repose sur la capacité à déterminer de façon fiable si le passeport est validé ou non. Puis, après plusieurs leçons, les juges doivent argumenter leur décision en prenant appui sur les indications écrites sur les ‘’cartes de juge’’. Enfin, dans un dernier temps, les juges tentent en plus d’énoncer un conseil pour que les acrobates puissent améliorer leur prestation lors du prochain passage. La même progressivité est envisagée au plan affectif puisque les élèves présentent d’abord leur prestation à un « autre groupe partenaire ». Puis, à plusieurs groupes pour achever le processus par la présentation à toute la classe et parfois à des adultes (parents et personnels de l’établissement).
Nous tentons de généraliser cette démarche à de nombreuses APSA appartenant à différents champs d’apprentissage. Nous avons donc retenu certains principes :
-Un principe de cohérence : avec au départ, ciblage des objets d’enseignement au plan moteur, méthodologique & social. Puis, au cours de la séquence d’apprentissage et au sein de la leçon, s’effectuent des Allers/Retours permanents entre situations « petite et grande boucle » (Ubaldi & A. Coston). Ainsi, toutes les situations abordées au cours de la séquence d’enseignement vont présenter une certaine cohérence : elles adoptent constamment la coloration des fils rouge & bleus sélectionnés.
-Un principe de complémentarité Fil Rouge Moteur / Fils Bleus M&S : les fils bleus M&S sont des « catalyseurs » permettant d’être plus efficace, d’étayer le fil rouge moteur. La définition des fils bleus M&S doit donc présenter un lien fort avec l’amélioration de la performance. On pourrait donc parler de recherche de symbiose entre le moteur, le méthodologique et le social. Pour cela, les dispositifs envisagés prévoient que les apprentissages M&S ne s’effectuent pas au détriment du temps de pratique motrice. De façon complémentaire, nous cherchons à éviter les acquisitions M&S « hors-sol », sans forte imbrication avec le pôle moteur.
-Un principe de progressivité : par exemple, comme dans l’exemple d’acrosport présenté ci-dessus : valider –> argumenter -> conseiller
-Un principe de clarté : nous tentons de définir des évaluations avec des indicateurs, des outils de mesure stables et parlants pour les élèves.
Enfin, dans le domaine des acquisitions M&S, nous pensons qu’il est nécessaire de procurer à l’élève un matériau de départ pour juger, conseiller, définir un projet, … afin d’engager le processus d’apprentissage. Il s’agit donc de lui fournir une sorte de mètre-étalon (cf travaux relatifs à l’anthropologie culturaliste de S. Chaliès, S. Bertone, C. Gaudin) qu’il pourra ensuite faire évoluer et personnaliser au fil de ses expériences.
Qu’est-ce que les DERC, les « Dispositifs d’Evaluation Révélateurs de la Compétence » ?
D’une certaine façon, le DERC constitue notre situation de référence. L’habillage de ce dispositif doit permettre à l’élève de révéler sa compétence en réalisant des performances, des scores synonymes d’un certain degré d’acquisition au plan moteur, méthodologique et social. Les paramètres de ce DERC sont donc en corrélation avec les fils rouge et bleus sélectionnés. À l’épreuve de ce dispositif, l’élève va réaliser une performance traduite sous la forme d’un score discriminant, prenant très souvent la forme du 1/10/100. Ces indicateurs quantitatifs renseignent l’élève et l’enseignant sur le degré de maîtrise des apprentissages c’est-à-dire l’écart à la compétence.
A nos yeux, ce procédé possède de nombreux avantages pédagogiques. En premier lieu, cette utilisation du score du type 1/10/100 joue le rôle « d’amplificateurs d’expérience » (Saury,Sève, Gal-Petitfaux, Huet, Adé, Trohel). C’est-à-dire qu’il produit un »effet loupe » sur les expériences saillantes de la compétence. Il focalise l’attention des élèves sur des »marqueurs », les essentiels de la séquence d’apprentissage. Ce système de score parlant offre également une connaissance du résultat immédiate. Il renseigne donc l’élève sur son degré d’acquisition de la compétence à un temps « T » et procure des informations personnalisées sur les procédures à mettre en œuvre pour progresser. Il est donc possible de dire que « le quantitatif révèle le qualitatif » (cf Bellard). Autre avantage du côté de l’enseignant, l’évaluation de la compétence peut être réalisée sans observer … ou presque (cf présentation de V. Rusquet en lutte Niveau 2, 1ère biennale de l’AEEPS, 2015). Ce titre, un brin provocateur, montre bien les intérêts de cette démarche. Toutefois, pour révéler les progrès des élèves, ce score parlant devra également être stable au cours de la séquence d’apprentissage.
De façon complémentaire, ces scores constituent donc des repères objectifs pour s’auto et se co-évaluer en direct. Ils représentent ainsi un outil privilégié pour créer des interdépendances positives entre les élèves et offrent des occasions concrètes de construire des apprentissages méthodologiques et sociaux. Ce mode de fonctionnement offre un certain changement de regard sur l’évaluation : d’une évaluation qui sanctionne des résultats obtenus à une évaluation qui favorise les conseils pour progresser. Mais, l’efficacité opérationnelle de cette démarche est également conditionnée par la mise en œuvre d’une certaine dynamique des apprentissages et des stratégies de guidage idoines.
Justement, quelles dynamiques des apprentissages mettez-vous en œuvre ? Quelles sont les stratégies de guidage opérées ?
Vous l’avez compris, les incontournables moteur, méthodologique et social (fils rouge & bleus) retenus sont abordés de façon récurrente et progressive selon une logique horizontale (séquence d’apprentissage) & verticale (leçon). Les allers-retours entre les situations fonctionnelles (pour apprendre à mobiliser ses ressources = DERC + grande boucle) et les situations de structuration (pour développer ses ressources = petites boucles) sont incessantes pour donner davantage de sens et de consistance aux apprentissages proposés.
Quant aux stratégies de guidage utilisées pour l’acquisition du fil rouge moteur et des fils bleus M&S, nous pouvons distinguer deux préoccupations majeures :
-La mise en place d’apprentissages fléchés (à partir des indicateurs quantitatifs) pour aiguiller les élèves vers les situations les plus fécondes à sa progression (J. Gibon)
-La définition et la mise en place d’outils, de temps et d’espaces d’actions et d’interactions encouragées pour pour favoriser le conseil et la co-évaluation. Selon nous, ce n’est qu’à cette condition que le travail coopératif s’avèrera efficace.
Arrêtons-nous un instant sur l’évaluation. Comment l’envisagez-vous d’un point de vue plus concret ? Comment la fabrique-t-on ? Quelles sont ses fonctions ?
Comme nous l’avons vu en amont, l’évaluation constitue pour nous davantage un outil au service des apprentissages plutôt qu’un simple bilan terminal. Nous sommes donc davantage dans la logique de rendez-vous évaluatifs multiples au cours de la séquence plutôt que sur un rendez-vous unique à la fin de la période. Pour reprendre le titre d’un article d’A. Feyfant & B. Rey, l’évaluation doit permettre de mieux enseigner et mieux faire apprendre. Elle doit donc renseigner régulièrement l’élève et l’enseignant sur les transformations motrices, méthodologiques & sociales qui se sont opérées. Sa fonction est multiple : elle permet d’établir rapidement un ‘’état des apprentissages’’ c’est-à-dire de fixer un degré de maîtrise de la compétence. A partir de ce constat, à l’aide d’un score parlant, elle permet ensuite de fixer un « horizon des apprentissages », c’est-à-dire d’aiguiller l’élève vers les situations idoines qui devraient lui permettre de franchir un cap et d’atteindre un degré de maîtrise supérieur. L’évaluation formative, à travers l’auto et la co-évaluation, constitue donc une approche majeure de notre démarche.
Dans ce dessein, nous tentons donc d’élaborer des évaluations « EPIC » qui encapsulent, dans une grande mesure, les différentes dimensions de la compétence, à l’inverse d’évaluations plus classiques qui la morcellent (Gibon). Nos évaluations prennent donc souvent la forme d’une « cible de la performance » à l’intérieur de laquelle les dimensions brutes et relatives se croisent (cf. évaluations présentées dans l’onglet EPIC du site de l’AEEPS). Un code couleur est utilisé pour renseigner l’élève sur la qualité de sa prestation et dépasser la simple lecture d’un chiffre pas toujours signifiant : la couleur rouge montre à l’élève qu’il est « hors-jeu », la couleur orange indique que « ça décolle » et que la dynamique est enclenchée, la couleur jaune indique que l’on « prend de l’altitude » et que l’on est très proche du degré de maîtrise de la compétence, la couleur vert clair indique que l’on « tutoie les sommets » car la compétence est maîtrisée. Enfin, la couleur vert foncé indique que l’on s’est désormais lancé à « la conquête de l’espace » puisque le degré de maîtrise de la compétence est dépassé. A travers la définition de ces différents degrés de maîtrise de la compétence, nous espérons ainsi offrir à chaque élève, les plus en difficulté comme les plus débrouillés, de véritables challenges pour se mobiliser, s’éprouver et prouver sa compétence. C’est à notre sens une condition importante dans la recherche d’une évaluation inclusive permettant la réussite de tous. Cette « cible de la performance » permet donc une lecture simple et rapide pour s’évaluer en direct
Les aspects méthodologiques et sociaux travaillés tout au long du cycle sont également présents dans cet outil évaluatif. La difficulté consiste à définir des indicateurs suffisamment fiables et simples pour remplir cette fonction « d’évaluation en direct ». Au fil des expériences, nos outils évaluatifs s’affinent et deviennent de plus en plus opérationnels. Mais, nous pensons qu’ils sont encore amenés à évoluer pour perfectionner notre démarche.
Quelle est la place de la performance brute d’un élève ?
Cette question relative à la place qu’occupe la performance brute dans nos outils évaluatifs est au cœur de nombreux débats. Au sein du groupe EPIC, sur cette question, certains points font consensus, d’autres font l’objet de débat. Unanimement, nous partageons la volonté d’élaborer des outils évaluatifs équitables, fiables et crédibles. Nous pensons donc qu’une part importante de l’évaluation doit se porter sur ce qui a été enseigné au cours de la séquence d’apprentissage. Les dimensions, renvoyant à des pans de la performance sollicitant des aptitudes, devraient à notre sens être fortement minorés. Doivent-elles pour autant être ignorées ? Sur ce dernier point qui ne fait pas toujours consensus, je vais donc exprimer une position personnelle.
Déjà, d’un point de vue institutionnel, les fiches ressources des nouveaux programmes du collège précisent dans la partie ‘’Aide méthodologique à la construction d’une séquence d’apprentissage du CA 1’’ : « L’évaluation prend en compte à la fois la performance brute, la performance maîtrisée (rapportée au projet annoncé de l’élève) et la performance relative (rapportée aux ressources de l’élève). » Cette conception de l’évaluation entre bien en consonance avec une proposition effectuée par notre groupe dans l’activité demi-fond (article dans le n°269). Ensuite, je pense que pour respecter l’épaisseur culturelle de l’APSA support, pour crédibiliser une évaluation faisant référence et non révérence aux APSA et ne pas occulter la dimension collective des apprentissages au sein de la classe, la performance brute ne doit pas disparaître de l’évaluation. Après, tout est question d’équilibre. Je pense donc que cette performance brute devrait occuper une place mineure dans les outils évaluatifs. Reste à définir la position du curseur dans cette dimension. Pour illustrer mon propos, je retiendrai l’exemple emblématique du demi-fond dans les anciens référentiels d’évaluation du DNB (2012) où l’absence de performance brute conduisait à des résultats souvent incompréhensibles pour les élèves. Or, je pense qu’un contrat didactique mobilisateur repose sur des notions d’équité, de clarté, de fiabilité mais aussi de crédibilité pour rendre les savoirs signifiants aux yeux des élèves.
Enfin, à mes yeux, la performance brute peut aussi s’envisager au-delà de la simple alternative victoire / défaite, à travers notamment des points bonus révélateurs d’une certaine maîtrise des apprentissages. En badminton par exemple, le classement dans un tournoi peut dépendre de résultats plus ou moins bonifiés, en fonction du nombre de ‘’points tactiques dangereuses’’ marqués. Ces points constituant un révélateur des acquisitions motrices, méthodologiques et sociales engagées (voir nos évaluations dans l’onglet EPIC sur le site de l’AEEPS).
En résumé, je pense que la performance brute ne doit pas disparaître des évaluations mais sa place devrait être minorée. Car c’est avant tout sa prise en compte indifférenciée qui est générateur d’inégalités. Il pourrait donc être intéressant qu’elle soit davantage envisagée à travers des scores révélant déjà un certain degré de maîtrise des apprentissages.
Pourtant les fiches bac par exemple des activités de la CP1 sont saturées en performance brute ?
Au baccalauréat, dans les activités de la CP1 et notamment en 3x500m, je note que c’est effectivement une modalité inverse à celle présentée dans les anciens référentiels d’évaluation du DNB cités plus haut. Cela peut effectivement poser certaines difficultés en terme d’équité et de cohérence dans le parcours de formation de l’élève en EPS. A ce sujet, D. Rossi (cf revue enseigner l’EPS n°267) et d’autres membres du groupe en poste en lycée travaillent sur des DERC qui conduiraient à des évaluations plus équitables et plus positives dans le cadre des activités de la CP1.
Votre démarche implique donc d’établir des statistiques pour définir des seuils de maîtrise fiables ?
Effectivement, le recueil et la conservation des données obtenues nous importe. Nous pensons que pour établir des statistiques permettant de définir des seuils de maîtrise les plus fiables possibles, nous devons collecter et interpréter un nombre important de résultats. Cette tâche devrait nous permettre de définir des degrés d’acquisition de la compétence que nous espérons les plus adaptés et les plus équitables possibles. Nous savons toutefois que cette démarche n’est pas aisée et reste encore grandement perfectible. Nous estimons également que le caractère local est une donnée à prendre en considération pour relativiser les interprétations générales.
A l’heure actuelle, des expérimentations sont en cours : A. Clenet et JB Leurent en escalade, A. Klapka en musculation, V. Rusquet & L. Peyre en volley-ball, J. Fau, V. Cano & W. Röösli en basket-ball et handball, D. Rossi et E. Testud en demi-fond, S. Bernard en tennis de table, J Gibon & JP Averty en ultimate & M. Bérenguier et R. Fayaubost dans plusieurs APSA.
Les avancées du groupe EPIC sont donc nombreuses et prometteuses. Mais, le caractère situé, mouvant et polymorphe de nos cours d’EPS quotidiens nous conduit à une certaine humilité. C’est en cela que notre aventure enseignante tend à être plus épique.
Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut
Pour aller plus loin, voici quelques éléments bibliographiques :
– Lien vers les illustrations en 1/2 fond, acrosport & badminton
– Dossier EPS n°84 »L’EPS du dedans : Pour un enseignement inclusif, citoyen et ouvert vers le futur » Carole Sève, Nicolas Terré, 2016
– F.M GERARD , in Evaluer des compétences, 2009
– A. FEYFANT et O. REY in »Evaluer pour (mieux) faire apprendre », 2014 (IFE)
– J.L. Ubaldi et A. Coston in Les Cahiers du CEDREPS, volume 9 : « Que proposer à l’étude des élèves », AEEPS, 2010.
– Rossi et Mauffrey, revue Hyper n° 235 et 236
– D. Rossi, revue Enseigner l’EPS n°267, AEEPS, 2015 & annexes en documents associés, téléchargeables sur le site de l’AEEPS
– J. Gibon, revue Enseigner l’EPS n°265, AEEPS, 2015
– J. Gibon, D. Rossi, W. Röösli in revue Enseigner l’EPS n°268, AEEPS, 2016.
– W. Röösli, revue Enseigner l’EPS n°263 & n°264, AEEPS, 2014
– W. Röösli »Fil rouge & Fils bleus en acrosport » in revue »Enseigner l’EPS » n° 266, AEEPS, 2015
– S. Bernard, L. Peyre & W. Röösli ‘’L’EPIC, un outil au service de la réussite de tous en demi-fond’’ in revue »Enseigner l’EPS » n° 269, AEEPS, 2016