Origine sociale et ruralité : « la concurrence des précarités »
Le rapport pointe que l’origine sociale détermine les situations de précarité et de vulnérabilité. Les inspecteurs de l’IGAS dénoncent « la concurrence des précarités ». Ce point est commun à la jeunesse des villes et des champs : « À l’instar des jeunes des banlieues, les jeunes ruraux, issus en grande majorité de milieux populaires, faiblement diplômés, se trouvent placés face au dilemme récurrent, « quitter leur territoire ou trouver un emploi pour y rester ».
Une sur-représentation des classes populaires dans la ruralité.
La mission estime que 338 000 jeunes ruraux vivraient sous le seuil de pauvreté. Le rapport souligne la sur-représentation des classes populaires dans la ruralité : « selon une étude du CRÉDOC, 51 % des jeunes (18-30 ans) ruraux seraient ouvriers ou employés contre 43 % des jeunes urbains. Symétriquement, 12 % des jeunes ruraux ont un père cadre contre 23 % des jeunes qui résident dans un territoire urbain. »
Sur-représentation des classes populaires et moindre poursuite d’études en milieu rural
L’origine sociale joue un rôle dans l’orientation poursuive d’étude après le bac, en ville comme en milieu rural : les enfants de cadres sont moins orientés en lycée professionnel.
Le lieu d’origine est également déterminant sur l’insertion : « l’environnement local plus ou moins favorable à l’emploi des jeunes joue aussi un rôle important (…) car les zones urbaines concentrent plus d’emplois qualifiés que les zones rurales […]. La sur-représentation des classes populaires en milieu rural explique ainsi en large partie les difficultés que rencontrent les jeunes ruraux ».
Un « maillage territorial des offres de formation (qui) amoindrit les choix d’orientation et les projets professionnels des jeunes ruraux »
Le rapport pointe un « maillage territorial des offres de formation (qui) amoindrit les choix d’orientation et les projets professionnels des jeunes ruraux ». Le parcours des élèves est donc déterminé et contraint par une offre de formation inégale. Les territoires ruraux ont moins d’offres et contraignent les élèves et étudiants à s’adapter à l’offre existante de formation, voire à réduire leurs ambitions. Les élèves ruraux sont donc doublement pénalisés, par une offre plus réduite et par l’absence de proximité. « Un des paramètres pris en compte par les élèves ruraux dans leurs choix d’orientation est l’offre de proximité, plus réduite que dans les grandes agglomérations. Même si des efforts ont été réalisés afin d’uniformiser l’offre scolaire sur le territoire, elle reste dépendante des caractéristiques spatiales et socio-économiques du territoire » analysent les rapporteurs de l’IGAS. L’accès à une offre de formation diversifiée sur l’ensemble du territoire participerait à une éducation et formation plus égalitaires pour la jeunesse.
Jeunesse rurale et mobilité empêchée : le coût de la mobilité
Le coût des études représente également un frein : « C’est sous l’angle des conditions de vie et du « manque » que la situation des jeunes ruraux diffère. (…) Le rapport met en lumière de réels freins spécifiques, dont l’éloignement et une mobilité empêchée sont les facteurs déterminants ».
La poursuite d’étude hors de son territoire est un choix d’orientation impossible pour des jeunes ruraux précaires. Les rapporteurs de l’IGAS citent une étude de 2021 : « Les coûts financiers d’une poursuite d’études, impliquant une décohabitation familiale, des frais de transport ainsi qu’une hausse du coût de la vie en ville, concourent à l’intériorisation d’un véritable évitement des filières les plus considérées, qui sont également les plus urbaines ». Les jeunes ruraux adaptent leur choix et ambition à leurs moyens et à l’offre scolaire, d’étude et d’insertion professionnelle dont ils disposent à proximité. La mobilité géographique apparaît donc comme un facteur et une condition de mobilité sociale.
Moins de jeunes ruraux étudiants
17% des jeunes ruraux, contre 10% des urbains souhaitent suivre une formation en apprentissage.
28% des jeunes ruraux de 17 à 29 ans ont un diplôme supérieur contre 37% en milieu urbain. Parmi les jeunes ruraux étudiants, ils sont 31% à souhaiter avoir un diplôme bac +5 contre 46% des urbains. Près de la moitié (47%) des étudiants ruraux souhaitent un bac+3 contre 33% des urbains.
Une offre scolaire plus diversifiée et attractive dans les zones urbaines
L’IGAS cite une note de la DEPP de 2021 : « L’offre scolaire (options, langues, programmes spécifiques, etc.), plus diversifiée et attractive, se concentre dans les communes les plus favorisées, situées plus souvent en zone urbaine dense ou très dense (Oberti, 2005) tandis que dans les territoires ruraux elle se spécialise. (…) ». La mission ne traitait pas de la tranche d’âge 3-17 ans mais elle relève que « de nombreux acteurs – et notamment l’Association des familles rurales – ont insisté sur l’importance des activités qui participent à l’ouverture sur l’ailleurs et contribuent à la levée les freins à la mobilité physique et cognitive et se sont inquiétés, auprès de la mission, de la baisse structurelle du nombre d’enfants accueillis en colonies de vacances et autres séjours collectifs (200 000 départs d’enfants en moins entre 2013 et 2018, selon l’INJEP), qui accentue les inégalités sociales et territoriales. C’est notamment pour y répondre que des mesures ont été prises par l’Etat, en complément des actions des collectivités : les colos apprenantes et le « pass colo », issu du Pacte des solidarités. »
Isolement et dégradation de la santé mentale
« Les difficultés de mobilité et parfois l’isolement viennent nourrir, pour les jeunes les plus vulnérables, une forme d’autocensure », dont les effets se manifestent dans les choix d’orientation scolaire, dans l’insertion professionnelle et plus globalement dans les parcours de vie. C’est aussi un des facteurs de la « dégradation de la santé mentale des jeunes ».
Parmi les recommandations du rapport figure de « favoriser l’implantation d’offres de formation et d’apprentissage dans les territoires ruraux, à travers un mix proximité et mobilité » : « Le déploiement d’une offre de formation diversifiée dans les territoires ruraux a un impact important sur les choix d’orientation des jeunes dans la ruralité et donc sur leurs projets professionnels ».
La mission propose des recommandations à deux niveaux : « apporter des réponses aux besoins spécifiques des jeunes ruraux à travers des mécanismes adaptés à la non-densité et des réponses destinées à l’ensemble des jeunes précaires dont pourront bénéficier les jeunes ruraux ». « La mission est également convaincue qu’il n’est pas atteignable et sans doute pas souhaitable de tout (ré)implanter en proximité. Un équilibre est à trouver entre proximité, pour assurer la première marche vers l’autonomie, et des réponses plus structurées, plus lointaines ».
Djéhanne Gani
Le rapport « Pauvreté et conditions de vie des jeunes dans le monde rural : comment adapter les réponses institutionnelles ? », IGAS, novembre 2024.