« Est-il possible de penser autrement l’éducation sans réinventer le bâtiment où l’on éduque ? » Béatrice Mabilon-Bonfils, François Durpaire et Geneviève Zoïa coordonnent un numéro de la revue Education et socialisation, Cahiers du Cerfee, autour de cette question. De nouvelles pratiques pédagogique s nécessitent-elles de nouveaux espaces scolaires ? La revue va au delà de la prospective pour proposer des études sur l’histoire de la salle de classe et aussi sur le ressenti par les élèves des batiments scolaires actuels.
Bâtiments scolaires : Des espaces de peur
Comment les élèves vivent-ils les espaces scolaires actuels ? Plutôt mal. Thibaut Hébert et Eric Dugas (Espe Lille et Espe Bordeaux) livrent les résultats d’une étude portant sur 544 collégiens de deux établissements sur leur ressenti dans les bâtiments de leur collège.
L’étude montre que l’espace scolaire est divisé en deux parties. Les salles de classe, le gymnase, la cantine sont perçus comme très surs. Par contre, la cour de récréation, les toilettes, le devant du collège, les escaliers et le vestiaire d’EPS sont perçus comme des lieux dangereux. Avec des variantes selon l’âge : la cour de récréation et les toilettes sont vus comme très dangereux en 6ème, un peu moins en 3ème où le devant du collège est le lieu de tous les dangers. Les garçons ont nettement plus peur des toilettes que les filles.Ce faut est confirmé par un travail de Debarbieux (portant sur 13 000 jeunes) montrant que 20% ‘entre eux ont été regardés dans les toilettes, 14% contraints de se déshabiller.
Autonomie et surveillance
Ces résultats vont accompagner toute la problématique de ce numéro. Si Béatrice Mabilon-Bonfils et Virginie Martin (laboratoire EMA, université de Cergy, et kedge business school) réfléchissent à l’articulation entre pédagogie nouvelle et espace scolaire, on ne saurit réduire la question de cet espace à la salle de classe. De même Anne Dizerbo (Espe Rouen) oppose l’importance de l’autonomie dans les objectifs scolaires actuels avec les contraintes qui sont imposées aux élèves dans leurs stationnements et déplacements. Mais la surveillance reste, au regard de la réalité, une nécessité et une responsabilité pour les adultes.
Des changements nécessaires ?
C’est pourtant « la fin d’une école, le début d’une autre ? » que nous présentent François Durpaire (Laboratoire EMA) et Jean-Louis Dupaire (inspecteur général). Ils publient les résultats d’une enquête menée auprès de près de 1500 personnels de direction, CPE et professeurs documentalistes sur l’espace scolaire. Il s’agit là de personnels qui ont une vision différente des établissements.
Ce que montre l’enquête c’est d’abord le regard singulier des professeurs documentalistes notamment sur le CDI, un espace à part entre salle de classe et salle d’études. Sa durée d’ouverture est très généralement de moins de 40 heures par semaine et majoritairement moins de 31h.
Autre constatation : les espaces de vie scolaire sont centrés soit sur l’étude soit sur la détente mais la rencontre est un objectif beaucoup moins affirmé dans l’établissement. Le numérique peine aussi à trouver ses espaces. Dans la majorité des établissements les ressources numériques sont à disposition au seul CDI.
L’accès au numérique est limité. Moins d’un tiers des espaces de vie scolaire dispose d’accès wifi. Et une majorité des sondés estime que cette part va diminuer, les CPE étant les plus réticents.
Pour les auteurs, « les nouvelles formes pédagogiques et éducatives appellent des espaces scolaires différents », à preuve les TPE et les EPI qui nécessitent des espaces de travail en groupe. Le CDI devrait, pour le ministère, laisser place à un « centre de connaissances et de culture » (3C) qui suppose aussi une autre architecture.
« 80 % des répondants [70 % de professeurs documentalistes ; 88 % CPE ; 90 % personnels de direction] estiment qu’il est déterminant de faire évoluer les espaces de vie scolaire pour une meilleure réussite des élèves », affirme l’étude. « Les motifs de cette nécessaire transformation des espaces de vie scolaire se trouvent d’abord dans le développement de l’autonomie des élèves : près de 72 % [74 % des professeurs documentalistes ; 64 % des CPE ; 74 % des personnels de direction ], ensuite dans la nécessité de pouvoir faire travailler les élèves en équipes : 41 % [42 % des professeurs documentalistes ; 37 % des CPE ; 48 % des personnels de direction ], puis préparer à l’exercice de citoyenneté : près de 35 % [28 % des professeurs documentalistes ; 44 % des CPE ; 31 % des personnels de direction ] ».
Notamment le besoin d’espaces pour le travail en petits groupes est plébiscité. A un second niveau on demande des espaces pour l’autonomie des élèves ou la rencontre professeurs – parents – élèves. Les auteurs en déduisent que ces aspirations ne sont pas assez prises en compte.
Surtout ils voient une finalité à cette réflexion architecturale. « Transformer l’architecture scolaire doit permettre de faire émerger une nouvelle pédagogie – la pédagogie du savoir-relation » marqué par l’individuation, la dynamisation et l’humanisation des établissements.
Changer la pédagogie par l’architecture ?
Pour conclure on renverra à l’article de Laurent Jeannin (Laboratoire EMA) qui offre une histoire rapide de la salle de classe du début du 19ème siècle à l’époque actuelle. Il montre l’apport de la pédagogie Freine à l’architecture scolaire, un apport qui s’est peu incarné. Il développe particulièrement les projets de nouvelles salles de classe de ces dernières années avec notamment les classes en ilots et les mobiliers mobiles. Il soulève la question du coût. Pour un collège de 600 élèves, agrandir les salles de classe pour permettre un fonctionnement en ilot approche un surcout de l’ordre d’un million soit près de 7% du budget.
Pour lui, et sans doute les coordinateurs de la revue , le jeu vaut la chandelle. « L’aménagement des salles de classe au pire comme les salles informatiques caciques, le plus souvent en file de l’enseignement simultané magistral, pousse l’enseignant à se comporter comme un surveillant qui tourne ou bien qui respecte l’espace des élèves en restant bloqué vers le tableau et son bureau. Lui donner la possibilité d’évoluer, de pérégriner dans l’espace commun, change le rapport aux élèves. Encore faut-il qu’il apprivoise ces nouveaux espaces et ses nouvelles possibilités. » Ca reste à débattre.
François Jarraud
Quelle architecture pour l’école de demain ? – Varia. Numéro coordonné par Béatrice Mabilon-Bonfils, François Durpaire et Geneviève Zoïa, Education et socialisation. Les Cahiers du Cerfee, n°43 | 2017.