Architecture scolaire et numérique : Comment les apparier ?
Comment permettre le développement des usages numériques dans les bâtiments scolaires ? La Mission Ecoter, une association regroupant collectivités territoriales et entreprises, organisait le 17 mai un colloque réunissant spécialistes, élus, universitaires et architectes. Bien au delà des questions techniques, le colloque a abordé les questions pédagogiques avec en toile de fond l'idée que l'architecture scolaire pouvait changer la façon d'apprendre. Le numérique va-t-il réellement changer nos salles de classe ?
Une école qui résiste
"L'espace de l'école est ce qui a le moins changé depuis l'Antiquité". Pascal Charvet, ancien directeur de l'Onisep et vice-recteur de Polynésie sait de quoi il parle. Spécialiste de l'Antiquité il a fait entrer le numérique à l'Onisep et a connu en Polynésie des structures scolaires diverses , certaines adoptant l'école à l'américaine.
Pour lui, "toute grande révolution technique entraine un changement pédagogique" et "il n'y a pas à hésiter" devant, par exemple, la généralisation du vidéo projecteur interactif. Les usages réels du numérique ont fini par s'imposer dans l'Ecole mais ils doivent trouver place dans un cadre qui évoque le 19ème siècle, voire le 17ème. Ces batiments "résistent" aux transformations.
La nouvelle école numérique
Pour lui, l'école adaptée au numérique doit s'organiser non pas autour des salles de classe, mais autour de 3 grands espaces : le CDI, centre de ressources éclaté en espaces de tailles différentes, la salle de spectacle et celle de sport. L'école numérique doit aussi prévoir des bureaux pour les enseignants car "le sentiment d'appartenance commence quand l'établissement reconnait l'intimité". Dans les salles de classe c'est la mobilité du mobilier qui compte car "le numérique est aussi une façon de vivre sa relation aux autres". P Charvet recommande l'adoption des chaises avec tablette que l'on trouve aux Etats-Unis.
Pascal Cotentin, DAN de Versailles, et Laurent Jeannin, université de Cergy, ont présenté quelques réalisations allant dans le sens de l'école numérique. Laurent Jeannin a mis l'accent sur le mobilier mobile et les logiciels permettant de visualiser virtuellement les établissements en projet pour recueillir les avis des utilisateurs.
Pour Pascal Cotentin, l'école doit "rendre l'élève acteur", porter un projet pédagogique qui rend caduque le temps de la classe habituel. "Il faut plus de modularité, plus d'innovation", dit-il. La nouvelle école envahit les espaces come les couloirs. Elle accepte de nouvelles postures pour les élèves comme l'élève couché avec sa tablette. Les murs deviennent des espaces d'expression grace au numérique. En exemples de ces idées, l'académie peut montrer le lycée Saint Exupéry de Mantes la Jolie et l'école des Mureaux.
Mais que disent les vrais porteurs de projets, responsables des collectivités territoriales et architectes ?
Une table ronde réunissait Manoelle Martin, représentant la région Hauts de France, Hélène Debiève , du CD 93, Malika Alouani de la DNE (ministère de l'éducation nationale) et Nicolas Favet, un architecte (Agence NFA).
Fablabs et établissements ouverts...
Malika Alouani a présenté le projet Archi Classe : il s'agit d'un référentiel d'école type en cours de réalisation au ministère. Ce projet doit permettre de rassembler les expériences pour promouvoir une école qui développe la coopération et la créativité chez les élèves. Le projet doit permettre de dépasser les "résistances" des enseignants. Il s'agit "d'aider" les collectivités locales dans leur projet car, faut-il le rappeler, le ministère ne construit ni école, ni collège, ni lycée...
M Martin et H Debieve représentaient les donneurs d'ordre. M Martin a rappelé les efforts faits pour ramener les temps de réalisation de 7 ans à 18 mois de conception plus la construction, de façon à ne pas livrer des établissements totalement périmés. Dans la région Hauts de France, le s lycées ouvrent des fablabs en partenariat avec des entreprises. C'est une ouverture vers le monde extérieur dont des enseignants volontaires s'emparent. Hélène Debieve évoque le haut débit nécessaire pour faire face à la montée en puissance du matériel numérique ainsi que l'ouverture des installations à la formation des parents.
Contre fermetures et baisse des coûts..
C'est Nicolas Favet qui a ramené le débat dans le monde réel des concepteurs. "Les services techniques ne vont pas vers les usagers car c'est une source de surcout", explique-t-il. "Il y a une faible capitalisation des pratiques même dans les grandes collectivités locales", dit-il. La tendance est à la fermeture des établissements pour des raisons de sécurité et non à l'école ouverte.
Pour lui les espaces sont encore largement sous utilisés. Les cours de récréation ne sont pas utilisées hors temps scolaire. C'est la même chose pour les salles les mieux adaptées. Par exemple les réfectoires sont équipées pour lutter contre le bruit et dotées d'un mobilier mobile, mais il ne servent qu'au moment des repas. La question de l'adaptation au numérique se heurte au problème du coût : il faudrait soit 20 élèves dans les salles habituelles de 60 m², soit 100 m² pour la trentaine d'élèves habituelle. La modularité des espaces tant vantée se heurte aux réalités techniques. Les réseaux de chauffage et d'aération rendent difficile le déplacement des cloisons.
La pédagogie et l'architecture numérique mieux installés dans le supérieur
Faut-il désespérer de voir les espaces scolaires évoluer ? Pascal Charvet pose la question du projet pédagogiques qui doit motiver ces changements. Florence Kohler (ministère de l'enseignement supérieur) montre que la réflexion est allée déjà loin pour les espaces universitaires. Le numérique permet de diminuer le besoin d'amphithéâtres, les cours magistraux pouvant reportés à la maison sous forme de mooc ou de classe inversée. Le numérique invite les étudiants à transformer tous les espaces libres en lieux de formation. Les halls par exemple remplissent ces nouvelles fonctions et se garnissent de canapés. La formation à distance permet de multiplier les lieux de formation sur le territoire.
Mais là on est face à des étudiants et la révolution pédagogique du numérique est installée avec des jeunes ayant déjà un haut niveau de compétences. Dans le primaire et le secondaire, est on sur que la pédagogie numérique soit suffisamment installée pour dicter ses lois ?
François Jarraud
Quelle architecture pour l'espace scolaire ?
Par fjarraud , le mercredi 18 mai 2016.