La deuxième semaine de la classe inversée organisée par le CLISE du 30 janvier au 4 février 2017 est l’occasion d’observer le phénomène des classes inversées et des conditions qui permettent de considérer les dispositifs mis en place par les enseignant-e-s comme étant réellement innovants.
Du 30 janvier au 4 février 2017 aura lieu la Semaine de la classe inversée, organisée par le CLISE (http://www.laclasseinversee.com/semaine-de-la-classe-inversee-clise/). Comme en 2016, la manifestation est fortement soutenue et promue par le ministère de l’éducation nationale.
Pour ma part, je m’interroge depuis un certain temps concernant le phénomène de la classe inversée et aux conditions qui permettent de le considérer effectivement comme une véritable innovation pédagogique au service des élèves et de la réduction des inégalités scolaires. A fin 2015 et au début 2016, je publiais sur mon blog deux articles consacré au phénomène. Le premier a été publié en octobre 2015, « Quand le BYOD et la classe inversée renforcent les inégalités scolaires » (https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2015/10/24/quand-le-byod-et-la-classe-inversee-renforcent-les-inegalites-scolaires/). Pour sa part, le second a été publié début janvier 2016 sous le titre « Il faut renverser la «classe inversée» ! | Université de Standford » (https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2016/01/11/il-faut-renverser-la-classe-inversee-universite-de-standford/).
De manière générale, par rapport à tout travail demandé hors de la classe, je m’inquiète sur les risques que ce travail joue un rôle ou augmente les inégalités scolaires entre les élèves. Je cherche alors les conditions pour qu’un tel travail les évitent comme le propose le premier billet publié. Par ailleurs, comme je le dis régulièrement notamment dans « Quand le BYOD et la classe inversée renforcent les inégalités scolaires » ou dans ma chronique du Café pédagogique (no 117, novembre 2010) « Web 2.0 : la pédagogie avant l’outil ! » (http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2010/117_Lebillet.aspx) «une bonne séquence à l’aide des médias et des technologies est d’abord une bonne séquence d’enseignement. La technologie ne doit jamais primer sur les questions didactiques/pédagogiques».
Pour ma part, je postule avec d’autres que c’est avant tout l’apprentissage actif qui expliquerait en premier lieu les effets positifs de la classe inversée (L’apprentissage actif expliquerait les effets positifs de la classe inversée | L’École branchée: https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2015/03/07/lapprentissage-actif-expliquerait-les-effets-positifs-de-la-classe-inversee-lecole-branchee/). De manière globale, la question n’est pas tant de renverser les dispositifs de classe traditionnelle que de les faire évoluer pour dépasser véritablement le seul transfert du discours de l’enseignant de la classe à hors la classe (à la maison et à distance) comme dans une grande partie des dispositifs observables de classe inversée.
Maintenant comment déterminer, en observant des dispositifs de classe inversée ou recourant à des outils numériques, s’ils sont véritablement innovants ? Ces conditions ont été modélisées par Ruben Puentedura. C’est le modèle SAMR :
Pour Puentedura, les deux premiers niveaux de son modèle ne sont pas considérés comme étant de nature innovante.
Ainsi, au premier niveau (Substitution), l’enseignant-e substituera son cours dialogué en présentiel et le déposera en ligne. S’il/elle associe ces vidéos mise en ligne avec la mise en activité des élèves en classe, par exemple autour de tâches complexe, l’enseignant-e passera au stade où la technologie agit comme substitution directe d’outils, en apportant une amélioration fonctionnelle (Augmentation).
Si, ensuite, l’enseignant-e reconfigure, à l’aide de la technologie, les tâches en permettant, par exemple, à l’aide de parcours adaptés (différenciation) aux savoir-faire des élèves, la reconfiguration ainsi opérée des tâches données aux élèves appartient au stade de la Modification et la transformation ainsi opérée s’apparente désormais pour Puentedura à une démarche pédagogique innovante, selon son modèle SAMR.
Enfin, si poursuivant plus en avant, les élèves eux-mêmes construisent le cours et s’évaluent au travers de nouvelles tâches auparavant inconcevables sans outillage numérique, la posture de l’enseignant changera radicalement et l’enseignant-e deviendra encore davantage un organisateur, un facilitateur et un accompagnateur » (Redéfinition).
Comme avec l’exemple du Tableau Blanc Interactif (TBI), décrit par François Bocquet (voir schéma ci-dessous), c’est bien la nature de la tâche, comparativement à la tâche qui aurait pu être réalisée sans l’outil, qui permet d’établir à quel niveau (substitution, augmentation, modification, redéfinition) on se trouve. Et si on peut véritablement parler d’innovation pédagogique.
Lien : https://my.mindnode.com/5oeCNmeAaPcAjBzpzi7zQWouejNrCisWoxMt7wHm
Le parcours de David Bouchillon, enseignant d’histoire, illustre le phénomène où il ne s’agit pas de révolutionner son enseignement d’un coup (voir Iklasse, le site de David Bouchillon, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Kastler de Bordeaux: http://www.iklasse.net/). Les modifications ont été progressives. Les changements ont d’abord porté sur des éléments insatisfaisants. Il souhaitait comme il l’indique dans cette vidéo faire sortir les élèves de leur passivité en classe.
Pour sa part, Ariane Dumont (1) note par rapport à sa propre expérience :
Je suis partisane d’une prise de risque limitée dans le temps, et je ne conseillerais pas à un enseignant désireux de se lancer dans la pédagogie inversée d’inverser tout un enseignement en bloc. Il me semble plus judicieux et plus efficace de commencer par sortir du cadre habituel et de sa zone de confort en inversant partiellement son cours, par exemple un concept particulièrement difficile à enseigner. Une fois la première inversion terminée, il peut être utile de revenir à sa pratique enseignante habituelle, c’est-à-dire sa zone de confort, pour adopter une posture d’enseignant réflexif afin d’analyser ce qui s’est passé, comment les étudiants ont réagi, ce qui est à retenir, creuser et développer et ce qu’il vaut mieux éviter. Pour ma part, j’ai commencé par inverser certaines parties de mon cours seulement, j’ai alors, pu observer non seulement un meilleur travail chez mes étudiants, mais aussi un plaisir grandissant de ma part à tenter l’expérience un peu plus loin et à franchir de nouvelles étapes, en prenant confiance et en y prenant du plaisir.
Comme pour toute construction d’une séquence d’enseignement, l’enseignant doit poser et répondre à trois questions fondamentales : 1) Quels sont les objectifs pédagogiques de mon cours ? 2) Quelles méthodes d’enseignement adopter pour permettre à mes étudiants une expérience d’apprentissage qui leur permette d’atteindre les objectifs visés ? 3) Quel dispositif d’évaluation pour mesurer si les objectifs visés sont en voie d’être atteints ?
Je terminerai avec deux ressources complémentaires concernant la classe inversée :
- Classe Inversée : le Congrès (http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2016/CLIC2016.aspx) : Banalisée, modifiée, repensée, officialisée, la classe inversée s’ancre dans le paysage à l’occasion de son deuxième colloque devenu du 1er au 3 juillet 2016, le « 1er congrès francophone sur la classe inversée ». Le Café pédagogique, partenaire de l’événement, propose un intéressant dossier de ce congrès organisé par l’association « Inversons la classe”.
- La Classe inversée (ressources) : une page du réseau Canope de l’académie d’Amiens (https://canope.ac-amiens.fr/cddpoise/blog_mediatheque/?p=19489) qui tient à jour des ressources se rapportant à la classe inversée (veille numérique). De quoi se tenir à jour sur le sujet.
Je vous invite également à consulter ce padlet élaboré par mes soins : https://padlet.com/lyonel_kaufmann/etp830ut63v. J’ai ainsi collecté différentes démarches de classe inversée. Il s’agit de cinq enseignants d’histoire : Laëtitia Leraut (Lycée André Theuriet de Civray), Olivier Quinet (Rostand-C116), David Bouchillon (iClasse 130), Guillaume Cabioc’h (HG Anatole) et Alexandre Balet, (Classe d’Histoire). A l’aide du modèle SAMR, il est possible d’évaluer dans quelle mesure, les concernant, il est possible de parler d’innovation pédagogique.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes :
[1]Dumont, A., Berthiaume, D. (dir.). La pédagogie inversée. Enseigner autrement dans le supérieur avec la classe inversée. Louvain-la-Neuve: De Boeck, p. 131.
Sur le site du Café
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