Jamais contents. Ils avaient tout pour eux. Jugez : parti de zéro, leur syndicat lycéen a raflé tous les sièges lycéens au Conseil supérieur de l’éducation. Oui, tous ! Pourtant Eliott Nouaille et Arthur Moinet, deux anciens responsables du Syndicat Général des Lycéens (SGL) publient un livre amer. Ils ne se limitent pas à dénoncer les inégalités au lycée et à proposer des solutions. Ils livrent leur désenchantement de jeunes personnes engagées qui découvrent l’entre soi des syndicats lycéens et le rôle de hochet que le pouvoir leur laisse. Jamais contents parce qu’ils veulent toujours mieux ! Leur livre dénonce la façon dont le ministère gère les instances lycéennes. Il remet en question ce qu’on appelle à l’éducation nationale « la vie lycéenne ». Et il pose des jalons pour un autre lycée.
Une dénonciation du productivisme scolaire
« Le but de cette entreprise est de faire part au public des différentes propositions pour le lycée que nous avons théorisées avec d’autres lycéens engagés. Des idées innovantes et peu prises au sérieux alors que les élèves sont les principaux usagers du système éducatif ». On aurait tort de réduire le livre d’Eliott Nouaille et d’Arthur Moinet à des propositions pour le lycée. Sa partie la plus originale concerne le syndicalisme lycéen.
Ces deux anciens responsables du Syndicat général des lycéens ont pourtant une vision bien à eux du lycée. Ils défendent l’idée d’un lycée unique modulaire pour « s’assurer que chaque élève dispose du même bagage culturel ». Ils dénoncent « le productivisme scolaire » et interrogent la finalité du lycée en lui donnant une fin culturelle. Et ils vont encore un peu plus loin dans l’originalité en reconnaissant que ce qu’ils souhaitent , un lycée plus doux, se heurte au refus des lycéens de modifier le calendrier scolaire.
EMC et accompagnement personnalisé…
Un chapitre spécial est consacré à la « dépersonnalisation du lycée ». Il faut y lire la critique de l’accompagnement personnalisé, un dispositif qui est utilisé pour boucler les cours. Nos ex lycéens préfèreraient une heure d’accompagnement du travail lycéen.
Un autre chapitre concerne l’éducation civique. E Nouaille et A Moinet critiquent vertement l’EMC. Ils préféreraient de vrais débats et des heures dédiées à l’engagement. « Il était possible de transformer l’enceinte scolaire en un jardin d ela citoyenneté. Certains ont découvert en janvier 2015 cette réalité que nous dénonçons au SG , la dépolitisation de la jeunesse ». Les auteurs ont une proposition à faire ne ce domaine : le réferendum d’initiative lycéenne, un dispositif écarté par le ministère.
Les instances lycéennes : des outils de controle
Parlons en du ministère ! Nos deux jeunes gens ont réussi un tour de force syndical en faisant de leur organisation un outil de conquête qui s’est emparé en 2015 de la totalité des sièges lycéens au CSE, sans parler de nombreux sièges dans les comités académiques de la vie lycéenne (CAVL) et au CNVL. Ils pourraient en être fiers. Ils ont aussi obtenu des avancées du ministère comme un 4ème siège au CSE pour les lycéens (le décret est passé récemment) ou une Charte des droits lycéens. Beaucoup de leurs prédécesseurs s’en seraient contentés. Pas eux.
Ils dénoncent avec une incroyable lucidité ce système. « Le Conseil National de la Vie Lycéenne apparait davantage comme un outil de controle des élus lycéens pour canaliser leur colère éventuelle en donnant un semblant de cadre de dialogue.. Cette instance est peu prise au sérieux à l’image de l’ensemble de la démocratie lycéenne ». Une lucidité qu’ils ont eu très tôt : ils avouent avoir candidaté pour « paralyser les instances lycéennes en les remportant » !
Elitisme et entre soi
Cette lucidité ils l’utilisent aussi à l’interne. Ils dénoncent la « sphère politico jeune », « un cercle privé et élitiste » : la quasi totalité des élus du CNVL viennent des mêmes milieux sociaux favorisés et visent sciences po. Ils dénoncent aussi les liens avec les syndicats étudiants. Pour casser tout cela , ils demandent le tirage au sort des élus, un moyen pour impliquer réellement les lycéens dans les instances qui les représentent.
Le Café pédagogique avait repéré dès 2014 cette nouvelle génération de militants qui cassaient les codes et les ronrons. Aujourd’hui étudiants, E Nouaille et A Moinet laissent des pratiques syndicales originales qui pourront perdurer dans leur organisation. Ils laissent maintenant ce témoignage amer et lucide qui interpelle tous ceux qui s’intéressent à l’école.
François Jarraud
E Nouaille et A Moinet, L’alternative lycéenne, ESF Sciences humaines, ISBN : 978-2-7101-3196-0
Eliott Nouaille : Un bras de fer permanent avec le ministère…
Devenu étudiant , mais toujours engagé, Eliott Nouaille raconte ce que furent ces années à la tête du SGL et ses désillusions dans les relations avec le ministère. La flamme est toujours là : » Si l’école n’introduit pas de mixité sociale la société ne pourra pas faire vivre le vivre ensemble. L’école n’est pas censée trouver un emploi. Par contre elle est là pour qu’on puisse vivre ensemble «
Vous avez dirigé le SGL. Que faites vous maintenant ?
Je suis étudiant en double licence sciences politiques et philosophie. Je co préside le mouvement de jeunesse « Nouveau souffle » : un mouvement de jeunes qui essaie d’apporter des idées nouvelles dans le débat politique. On se définit comme progressiste, écolo et post libéral…
Pourquoi ce livre en ce moment ?
On a vécu quelque chose d’unique qu’on veut partager : l’engagement lycéen est original et atypique. On veut montrer qu’on peut vivre une autre vie de lycéen en s’engageant. On veut aussi faire connaitre ce qu’on a fait, montrer cet univers méconnu du ministère, des rectorats.
Ensuite on souhaite aussi mettre sur le papier des propositions qui sont le fruit de nos trois années d’engagement. On a débattu avec des lycéens, avec des ministres et on est arrivé à trouver des solutions à nos problèmes.
Faire un livre c’est le meilleur moyen d’aller vers les lycéens ?
Pas seulement. Mais c’est le meilleur pour traduire un cheminement intellectuel et partager. On est aussi heureux de le montrer à nos parents et à nos professeurs.
Comme élu lycéen vous avez tout réussi. Et pourtant votre livre est une charge sévère sur les instances lycéennes…
Clairement on espérait plus. On est arrivé dans la démocratie lycéenne en seconde et on s’est vite rendu compte des difficultés, notamment leur accaparement par une organisation. Alors on s’est dit que si on faisait tout pour paralyser les instances lycéennes et monter une organisation indépendante on réussirait à changer les choses.
On s’est donné à fond. On est arrivé à des résultats excellents. Et on se rend compte que comme élu lycéen on n’a pas les clés du pouvoir décisionnel. Les instances sont seulement une colonie de vacances où on ne nous prend pas au sérieux.
C’est apparu clairement par exemple un jour où un responsable ministériel nous a dit que l’on ne représentait rien, que l’on n’avait aucun accès aux médias et que le ministère pouvait nous couper les vivres. « Tout le monde s’en fiche de vos actions ! »
Et nous on s’attendait, avec la vague du SGL, que les lycéens soient reconnus ! Une fois arrivés à la tête de ces instances on découvre que c’est un bras de fer permanent. On a du ruser avec le ministère en permanence pour se faire entendre.
Vous découvrez la réalité du combat politique ?
A 16 ans c’est quelque chose qu’on n’imagine pas. On croit qu’il y a des instances de partage. En fait la démocratie lycéenne a été crée pour canaliser la colère des lycéens et éviter qu’elle ne s’exprime dans la rue. Le ministère sait que nos mandats sont de deux ans. La première année on ne connait rien. La seconde c’est déjà trop tard. Les élus, pleins de bonne volonté, se sentent trahis. On a obtenu des choses comme le 4ème siège au CSE. Mais compte tenu des propositions qu’o portait c’est maigre.
Vous proposez un tirage au sort des élus lycéens comme dans l’Athènes classique. C’est plus démocratique ?
Il faut maintenir un cadre électif pour faire vivre la démocratie lycéenne. Mais il faut permettre aux lycéens qui spontanément ne se tourneraient pas vers l’engagement d’accéder à des responsabilités. L’élection finalement est élitiste.
Cette question de l’engagement est liée aussi au temps scolaire. C’est pour cela que l’on propose un lycée modulaire où les élèves pourraient choisir une partie des modules. On propose aussi le référendum d’initiative lycéenne qui nous semble une bonne façon de faire pression sur le ministère.
Vous donnez à l’école une finalité culturelle. N’ets ce pas une conception aristocratique ?
L’école est là pour transmettre un solide héritage culturel commun. Or c’est moins le cas aujourd’hui où on pense que l’école opère surtout un tri social. Il suffit de voir les inégalités entre les filières du lycée. Ce tri s’opère en 3 étapes : l’évaluation par la note, la hiérarchisation par la compétition puis l’orientation par la sélection.
Au lycée général on est dans une vraie tour d’ivoire. On cotoie les mêmes milieux avec les mêmes orientations. On ne découvre les autres jeunes que lors de la journée d’appel de la défense. Or il n’est pas normal de séparer les élèves.
Il faut abattre ces murs et rassembler les jeunes autour de savoir etre et de savoir faire communs.
Fonder l’école sur la méritocratie est absurde. Le mérite cela n’existe pas. A l’école on demande aux élèves à la fois une course d’endurance et une course de vitesse. Aucun sportif n’en est capable !
Si vous étiez ministre quelle réforme feriez vous ?
Je supprimerais les filières et j’instaurerais un lycée modulaire où la moitié du temps est le même pour tous et la moitié choisi par l’élève. Je recommanderais une pédagogie différenciée. Le changement doit être aussi pédagogique. J’imposerais aussi de pouvoir se tromper et changer de module.
Si l’école n’introduit pas de mixité sociale la société ne pourra pas faire vivre le vivre ensemble. L’école n’est pas censée trouver un emploi. Par contre elle est là pour qu’on puisse vivre ensemble.
Propos recueillis par François Jarraud
E Nouaille et A Moinet, L’alternative lycéenne, ESF Sciences humaines, ISBN : 978-2-7101-3196-0