A partir des résultats de TIMSS et de PISA, le Cnesco a mené une analyse exploratoire sur les politiques scolaires communes aux pays en tête de ces palmarès. Il en ressort une ligne forte : ces pays assurent « un soutien au travail des enseignants qui ne sont plus isolés dans leur classe ». Nathalie Mons explique concrètement les formes variées que peuvent prendre à l’étranger ces collectifs d’enseignants. Selon elle, collectif d’enseignants et liberté pédagogique ne s’opposent pas. Elle insiste sur le fait que la formation continue des enseignants, qui doit aussi partir des besoins du terrain, renforce la richesse de ces collectifs. A l’étranger, la différenciation pédagogique est aussi au cœur des systèmes éducatifs qui limitent le plus les inégalités sociales à l’école. Le Cnesco organisera au printemps une conférence de consensus sur le sujet. Le programme de la conférence est construit à partir des interrogations des praticiens qui ont répondu à son appel à témoignage, qui avait été relayé par le Café pédagogique. Elle nous livre en primeur les interrogations du terrain sur la différenciation en 2016.
A partir des résultats de TIMSS et de PISA le Cnesco a mené une analyse exploratoire sur les politiques scolaires communes aux pays en tête de ces palmarès. Il en ressort une ligne forte : ces pays assurent, dites vous « un soutien au travail des enseignants qui ne sont plus isolés dans leur classe ». Qu’est-ce que cela signifie ? Précisément quelles organisations scolaires sont mises en place ?
Comme nous l’avons aussi montré dans le tout récent rapport sur l’attractivité du métier d’enseignant, cela signifie que les enseignants dans ces pays profitent davantage du collectif de leurs pairs pour enrichir leur réflexion pédagogique et apporter en retour à leurs collègues. Selon les pays, cela prend des formes tout à fait différentes. Dans des pays aussi différents que la Finlande ou Singapour, au primaire, quand ils rencontrent des difficultés avec certains élèves, les enseignants peuvent échanger et être soutenus dans leur travail par des enseignants spécialisés dans la didactique de certaines disciplines, basés dans leur établissement. D’autres pays sont marqués par un mentorat entre enseignants dans les établissements pour développer les réflexions entre pairs. Nous citons le cas des lessons studies au Japon : face à des difficultés que rencontrent des élèves dans leur établissement, des enseignants s’associent pour trouver des solutions à partir des résultats de la recherche, ou d’expérience d’autres pairs, et les mettent en œuvre dans leur classe, à partir de leurs échanges. On voit aussi que les plans de formation continue sont plus souvent qu’en France pensés par les équipes pédagogiques elles-mêmes à partir du diagnostic de l’établissement et des besoins ainsi définis par la collégialité dans l’établissement. Cette réflexion dans les collectifs enseignants, au niveau des établissements ou de ce qui serait en France les bassins, est très porteuse pour les enseignants et permet de sortir de l’isolement de la classe. On retrouve cette idée de collectif d’établissement dans le tout récent PPCR, c’est une bonne chose.
Ces organisations ne peuvent-elles pas fortement limiter la liberté pédagogique des enseignants ?
C’est bien le contraire. Chacun est libre dans sa classe mais pas isolé, il bénéficie d’un collectif de proximité dans l’établissement et le bassin. Evidemment ce collectif fonctionne d’autant mieux que l’institution a apporté aux enseignants une ressource centrale : une formation solide, initiale –ce qui est en train de se remettre en place avec les Espé – mais aussi continue.
On parle de plus en plus de formation continue mais de quelle formation peut-il s’agir ?
Dans le rapport sur l’attractivité du métier d’enseignant, nous sommes revenus sur un ensemble de caractéristiques qui fondent, selon les travaux de recherche une bonne formation continue.
Il peut bien sûr y avoir des formations en lien avec des réformes mais elles doivent être complémentaires de formations qui correspondent aux besoins particuliers exprimés par les enseignants dans leur établissement, parce que chaque collectif d’enseignants dans son établissement peut rencontrer des problèmes différents et souhaiter être soutenu dans sa recherche de solutions. Il faut aussi que ces formations puissent concourir à un équipement intellectuel large des enseignants pour pouvoir approfondir et surtout réactualiser des bases en didactique des disciplines, psychologie du développement de l’enfant, sociologie de l’éducation… La recherche en éducation dans toutes ces disciplines avance chaque jour, les enseignants doivent se voir reconnaitre le droit d’en profiter, même si ce n’est pas directement lié à l’application d’une réforme. Les enseignants sont des experts de la pédagogie et de l’éducation en général, et à ce titre ils doivent avoir accès aux ressources les plus récentes de la recherche afin d’analyser ce qui est pertinent pour leurs pratiques. C’est le sens des conférences de consensus du Cnesco et de l’Ifé/ENS de Lyon : nous apportons des synthèses de recherche et un dialogue avec des experts à un jury constitué de praticiens. C’est aux jurés, tous acteurs de terrain, en fonction des contraintes du métier de juger au final de ce qui pertinent dans la recherche et de transformer certaines conclusions de la recherche en recommandations de la Conférence de consensus adressées à leurs pairs praticiens. Il s’agit d’un dialogue entre l’univers scientifique et les praticiens. La prochaine conférence, au printemps, portera sur la différenciation pédagogique. Pour construire le programme de la conférence, comme pour la conférence sur le redoublement, nous avons lancé un appel relayé par le Café pédagogique à la communauté éducative pour qu’elle nous adresse les questions qu’elle se pose au quotidien sur la différenciation pédagogique. Nous venons de finir d’analyser leurs réponses.
Qui a répondu à cet appel et quelles sont les grandes questions ?
Près d’une centaine de praticiens, une majorité d’enseignants mais aussi une grande variété de professionnels des corps d’encadrement (IEN, IA-IPR, personnels de direction…) ont pris le temps de nous répondre, ils appartiennent quasiment à toutes les académies. Le primaire est très représenté ainsi que le collège, mais aussi le lycée. L’analyse des questions posées par les praticiens est tout à fait passionnante, elles témoignent d’une maturité dans les interrogations sur le terrain. Il s’agit de questions qui interrogent tout d’abord le paradigme de la différenciation pédagogique et ses objectifs (comment différencier les apprentissages, sans creuser plus encore les résultats des élèves, quelle nouvelle posture pour l’enseignant et pour l’élève notamment en termes d’autonomie et de travail personnel dans la classe, quelle efficacité de ces pédagogies, selon la recherche, quelle place respective pour l’activité individualisée et le retour au collectif classe… ?). Mais aussi des questions très précises et pratiques : quelles pédagogies concrètes mettre en place, suit-on individuellement des élèves ou des groupes d’élèves, comment constitue-t-on les groupes d’élèves (groupes de besoin vs groupes hétérogènes pour une pédagogie coopérative), faut-il travailler en équipe sur ce sujet dans l’établissement et si oui comment, mais aussi le possible caractère chronophage de ces pédagogies, l’agencement physique des classes… C’est à partir de ces questions qu’est constitué le programme de la future conférence.
Alors qu’elle est historiquement organisée par une culture étatique et hiérarchique, pensez-vous que l’éducation nationale aura la capacité dans les années à venir de développer ces collectifs intelligents ?
Tout à fait. La communauté éducative est en pleine mutation, à la recherche de ressources de qualité pour entamer des échanges et des collaborations sur les pratiques pédagogiques. A son échelle, le Cnesco en voit déjà l’existence dans les demandes des académies ou des départements qui nous sont faites pour participer à des actions de formation continue autour, par exemple, des recommandations de nos conférences de consensus sur les mathématiques et la lecture, pour faire dialoguer chercheurs et praticiens. Depuis septembre, les scientifiquesmobilisés par le Cnesco (Michel Fayol, Jean-Emile Gombert, Maryse Bianco…) sur ces thématiques et le directeur scientifique, spécialiste des mathématiques, ont échangé avec des enseignants, des inspecteurs… à Lyon, Créteil et Colmar. L’IGEN groupe primaire a souhaité présenter au réseau d’IEN référents en mathématiques les recommandations du Cnesco et de l’Ifé/ENS de Lyon sur les mathématiques à l’Esenesr, dans la foulée de la conférence. Les syndicats d’enseignants et de personnels de direction, les associations de collectivités territoriales sont aussi très demandeurs de ces échanges collectifs.
Il y a aujourd’hui partout – dans la chaîne hiérarchique traditionnelle de l’Education nationale, dans les parties prenantes de la communauté éducative… – une soif de créer ces collectifs intelligents pour réfléchir de façon collaborative aux questions qui sont posées à l’école française. Cette collaboration, qui est dans l’ADN du Cnesco, a rencontré une très demande forte, qui augure bien des progrès de l’école française.