« Est-ce utile de venir au collège ? » Assurément oui au collège Pablo Neruda de Saint-Pierre-des-Corps où les élèves de tout niveau sont régulièrement amenés à débattre ensemble sur cette question et sur bien d’autres : « peut-on rire de tout ? », « sommes-nous libres d’aimer celui ou celle que l’on a choisi(e) ? », « doit-on craindre Facebook ? », « doit-on changer l’Ecole ? » … Morgan Gilot, professeur de mathématiques, présente au Forum des Enseignants innovants 2016 ce beau dispositif qui amène à construire au sein même du collège une culture du débat : des compétences argumentatives et orales, une ouverture au monde, un engagement citoyen, une aspiration à faire société.
Vous organisez régulièrement dans votre collège des débats entre les élèves de différents niveaux et de différentes classes : comment tout ce dispositif est-il conçu et organisé ?
Ce projet a été conçu il y a de cela plusieurs années, suite à un constat malheureux : les élèves de 6e et ceux de 3e ne se parlent pas dans la cour de récréation. C’est chacun de son côté. Dans mon collège nous avons donc décidé d’essayer de supprimer, ou du moins d’atténuer ce clivage en proposant différentes actions. De plus nous voulions une action qui permette aux élèves de prendre la parole sur des sujets dits « d’adultes » et aux adultes de les accompagner dans la construction de leur regard critique sur ce qu’ils peuvent voir ou entendre.
Au niveau de l’organisation, c’est assez simple. Chaque professeur principal présente le débat dans sa classe et fait la liste des élèves volontaires pour y participer. Si plus de deux élèves sont volontaires, un tirage au sort est effectué pour déterminer les deux élèves qui iront. Les élèves n’ayant jamais participé à un débat sont prioritaires, de manière à ce qu’un maximum d’élèves puisse découvrir l’action. Si aucun élève n’est volontaire, aucun n’élève de la classe ne va au débat.
Ensuite, les élèves inscrits passent en priorité au self et se retrouvent au point de rendez-vous (dans une salle ou dans le foyer) à l’heure indiquée. Les élèves organisent alors la salle (disposition des tables) et s’installent comme ils le souhaitent.
La question du choix du thème de débat est, on l’imagine, importante : comment les sujets sont-ils choisis ? pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?
Le choix du sujet est en effet une partie délicate. Il faut essayer de faire en sorte que chaque élève ait quelque chose à dire, quel que soit son niveau, et que le sujet intéresse tous les élèves. La CPE et moi essayons, dans la mesure du possible, de proposer des sujets en lien avec l’actualité du collège ou l’actualité générale. Par exemple, le thème « Peut-on rire de tout » avait été proposé quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, « Sommes-nous libres d’aimer celui ou celle que l’on a choisi(e) ? » lors des débats sur le Mariage pour tous, « Doit-on craindre Facebook » avait fait suite à un incident interne au collège, lié aux réseaux sociaux. « Doit-on changer l’école » avait été proposé en plein cœur des débats sur la réforme du collège. Des thèmes plus généraux peuvent aussi être proposés, comme « A-t-on le droit d’être différent ? » ou encore « Vivrait-on mieux dans un monde sans règles ? ».
Les élèves peuvent proposer des idées de débats en les déposant dans la boite à idées, à la vie scolaire. C’est ainsi que nous avons abordé des thèmes comme « Peut-on vivre sans amour ? » et « Est-ce utile de venir au collège ? ».
Durant le débat lui-même, y a-t-il une organisation spécifique ? Quels rôles y jouent les adultes ?
Durant le débat, nous commençons toujours par le rappel des règles : chacun est libre de dire ce qu’il veut, tant que cela reste respectueux ; on ne coupe pas la parole et on ne se moque pas d’un point de vue ou d’une personne ; on n’utilise pas de mots familiers ou vulgaires ; le point de vue d’un adulte ne vaut pas plus que celui d’un élève. Ensuite, est fait un tour de table pour que chaque élève puisse identifier les autres élèves et les adultes présents.
Le rôle des adultes est très limité. Ils distribuent la parole, relancent le débat s’il n’avance plus, amènent un élève à réfléchir sur ce qu’il vient de dire si aucun autre élève ne l’amène à le faire. Ils s’occupent aussi du service des boissons et gâteaux. Sur un des débats (« Peut-on vivre sans amour ? »), c’est un élève de 3e qui a animé seul, du début à la fin et qui a fait les relances. Lui et moi avions préparé ce débat ensemble, en échangeant autour des différentes manières d’animer, tout en restant en retrait, de prévoir des supports pour compléter ou relancer la réflexion (vidéo, article, etc.). Cela a très bien fonctionné. Cette année, deux élèves de 3e vont animer le prochain débat qui sera « Est-ce utile de venir au collège ? ».
Quels sont les prolongements éventuels de ces débats ?
A la fin de chaque débat, une synthèse est faite et mise à disposition de tous les élèves du collège. L’année dernière des affiches étaient réalisées et affichées dans l’établissement. Cette année, nous avons la chance d’avoir un atelier « Site du collège » très actif. Des « reporters » viennent au débat et rédigent ensuite un article qui est publié et consultable par tous sur le site du collège. Certains professeurs reviennent sur les débats en classe, notamment dans le cadre de la vie de classe ou dans le cadre de l’EMC.
Le nombre de participants étant limité à 20 élèves par débat, beaucoup sont déçus de ne pas pouvoir y participer. Devant l’affluence d’élèves, nous avons, cette année, fait évoluer la formule en faisant deux groupes en parallèles (un animé par la CPE et un autre animé par moi) afin d’essayer de satisfaire une grande partie des élèves volontaires. Cette année, nous envisageons également de proposer à des élèves de venir assister, en tant que spectateurs au débat. Ceci en est, pour l’instant, qu’à l’état de projet.
Au final, quels sont les profits d’un tel projet pour les élèves ?
Quand on demande aux élèves ce qui leur plait dans les débats, la réponse est souvent la même : « c’est sympa et ce n’est pas comme un cours ». Les élèves s’y sentent bien et profitent de ce temps de libre parole où leur avis est écouté et considéré au même titre qu’un avis d’adulte. Il est intéressant de voir un élève évoluer dans sa réflexion, acquérir un regard critique sur ce qu’il entend ou sur ce qu’il pensait en arrivant. Certains changent d’avis pendant le débat, d’autres non, et c’est très bien ainsi.
De plus, les débats permettent aux élèves de différents niveaux de se parler, chose qu’ils ne font pas forcément naturellement dans la cour de récréation (surtout entre « petits » et « grands »).
Au final encore, qu’apporte le projet au collège en général ?
Lors de ces débats, les élèves et les adultes discutent, dans une ambiance conviviale, plus agréable, où l’adulte n’est plus nécessairement perçu comme « l’ennemi ». Cela permet de découvrir les élèves sous un autre jour et améliore significativement le climat de classe dans les « cours classiques ». En effet, quand j’ai en classe un élève qui a participé aux débats l’année précédente, une relation de confiance se met en place dès le début de l’année. On commence l’année en se connaissant déjà.
Cependant, nous savons très bien que les élèves qui viennent au débat sont des élèves qui ne sont, en général, pas problématiques. Notre objectif est d’essayer de faire naitre une curiosité chez nos élèves plus « difficiles » afin de les faire participer aux débats, dans l’objectif de contribuer à leur redonner confiance dans le collège et dans les adultes qui s’y trouvent. Nous espérons que le bouche-à-oreilles va opérer et que ces élèves « fâchés » avec l’école viendront participer à un débat ou deux d’ici la fin de l’année.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site du collège
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