Le plan numérique gouvernemental prévoit un équipement progressif en tablettes des écoles et collèges : pour que faire ? Professeure de lettres au collège Jean Perrin à Lyon, Corinne Andreoletti a exploré des pistes de travail intéressantes. Avec ces machines à lire, à écrire, à chercher, à s’enregistrer, à se filmer …, ses élèves ont par exemple remonté le temps jusqu’au moyen âge pour transférer les résultats de leurs recherches dans des entretiens vidéos avec des personnages revenus du passé. D’autres ont réalisé des éloges paradoxaux d’objets quotidiens ou encore créé et sonorisé des contes. Corinne Andreoletti éclaire ici ses démarches, livre des conseils, rappelle que l’essentiel ce n’est pas l’outil lui-même, mais l’intérêt de la tâche proposée…
Vous avez invité vos élèves de 5ème à voyager numériquement jusqu’au moyen-âge : dans quel contexte avez-vous lancé cette étonnante invitation ?
J’ai lancé cette invitation durant la séquence sur les chevaliers du moyen-âge. Dans un premier temps, nous avions avec les élèves, évoqué l’idée que nous aurions pu être à la place de nos ancêtres, durant cette période : en quoi notre vie aurait-elle été différente ? Cela avait suscité beaucoup de questions et de remarques pertinentes de la part des élèves. Puis, je leur ai parlé du livre d’H.G. Wells, La machine à remonter le temps et je leur en ai lu un passage. Lors d’une autre séance, je leur ai montré le début du film de Jean-Marie Poiré, Les visiteurs ; nous avons alors imaginé que nous avions la possibilité de nous transporter dans le moyen-âge par un moyen moderne, en étant équipés de tablettes (arrivées assez récemment dans l’établissement).
Quelles ont été les différentes étapes et modalités de travail ?
Nous avons d’abord étudié le moyen-âge à travers les textes, puis les élèves ont choisi un thème médiéval sur lequel ils ont fait des recherches de façon autonome. Ensuite, en classe, ils ont construit un dialogue par groupes de deux ou trois élèves : le voyageur revenu du moyen-âge, un journaliste, une tierce personne censée filmer le binôme ultérieurement. Cet écrit devait inclure les données trouvées sur le thème choisi. Enfin, nous avons mis en voix et en gestes l’entretien et nous l’avons filmé : les élèves devaient donner des informations intéressantes, détaillées et organisées, pour le spectateur ou l’auditeur, parler avec naturel et conviction.
Au final, quels plaisirs et profits les élèves vous semblent-ils avoir tiré de ce voyage à travers le temps ?
Les élèves ont toujours grand plaisir à partir sur des projets qui font appel à l’imagination et ils portent aussi ces initiatives en faisant des propositions. En termes de profits, il me semble que cela leur donne une idée plus concrète de l’évolution du monde, de l’origine de nos fonctionnements : les classes sociales d’antan et les acquis que nous en avons tirés, les relations hommes/femmes, la rudesse de la vie à cette époque si on la compare avec la nôtre… Ils entrent dans les textes du moyen-âge plus volontiers et avec une compréhension plus fine, ils apprennent à questionner les documents avec un œil d’apprenti sociologue ou historien. Bien sûr, ils tirent parfois des conclusions hâtives sur le passé, mais ils ont une démarche d’ouverture, de curiosité qui me semble fondamentale.
Dans d’autres niveaux, vous avez amené vos élèves à écrire et filmer des éloges paradoxaux : quel a été ici le dispositif ?
Les éloges paradoxaux se sont construits en fin d’année. J’ai d’abord travaillé cela avec un groupe d’élèves de sixième dans un cours d’accompagnement personnalisé (A.P.). Je voulais leur faire écrire et mettre en voix un court discours. Je voulais que le texte les renvoie un peu à eux-mêmes et soit positif. L’’idée des clips Auchan sur les légumes moches m’avait déjà beaucoup plu. J’avais simplement pour objectif, dans un premier temps, de leur faire créer la même chose.
Ils ont dépassé mes espérances. Le texte qu’ils ont construit allie jeux de mots et images. Même si c’est un court écrit, j’ai été très séduite par leur potentiel créatif. Quand il a fallu qu’un élève le déclame à voix haute avec le ton, avant de l’enregistrer sur les tablettes, le reste du groupe a très rapidement participé en tapant le rythme sur les tables, en claquant la langue, en ponctuant le texte de mots brefs. Ce sont les élèves qui ont bâti ce travail : j’ai juste donné l’idée et l’impulsion mais le résultat m’a échappé, pour mon plus grand plaisir !
Le travail avec les élèves de quatrième a été un peu différent : nous étions dans des projets de développement durable avec la documentaliste du collège et comme la fin de l’année approchait, j’ai songé à toutes ces affaires scolaires qui seraient bientôt au rebut et à l’attachement que les élèves portaient à certaines d’entre elles, leur agenda, par exemple. Ils ont donc choisi un objet cher et lui ont dédié un texte. Ensuite, par groupe, ils ont retravaillé le meilleur texte et ont filmé avec les tablettes.
Les productions ont été inégales, peut-être moins riches que pour le groupe de sixième mais intéressantes. Les élèves se sont pris au jeu de l’écriture, de la mise en voix et du tournage. Ce type d’exercice permet aussi de différencier son enseignement afin que tous les élèves produisent quelque chose dans une création ensuite collective.
Vos élèves de 6ème ont aussi créé et sonorisé des contes : comment avez-vous organisé cette activité ?
La création et la sonorisation de contes a commencé classiquement avec une même phrase donnée à tous pour entamer le conte : c’est un bon embrayeur d’écriture. L’étape de l’écriture a été conduite une première heure en classe, puis sur les ordinateurs du collège. A la fin de chaque séance, j’imprimais les productions et je les corrigeais. La séance suivante, je les redistribuais avec pour première consigne donnée de corriger son écrit. C’est un travail assez long mais qui est très efficace car il pousse les élèves à s’interroger sur leur propre travail et à chercher les informations (conjugaison d’un passé simple, sens d’un mot, etc.) sur Internet, dans les ouvrages à disposition et bien sûr auprès du professeur.
La seconde partie, longue elle aussi, a consisté à mettre en voix les textes, par groupes, en prévoyant les bruitages. Enfin, les élèves ont cherché les bruits qui convenaient sur des sites proposant des sons libres de droit, puis nous avons fait une répétition et quelques enregistrements. Plusieurs tablettes étaient alors nécessaires et chaque élève devait gérer les phrases qu’il avait à dire et, entre elles, quelques bruits qu’il fallait faire démarrer au bon moment. Bien sûr, j’ai dû toiletter les productions en utilisant le logiciel Audacity pour gommer les blancs, améliorer les sons…
Dans ces différents projets, vous avez utilisé les tablettes numériques : dans quelles conditions matérielles ? En quoi cet outil vous semble-t-il intéressant pour développer des compétences chez les élèves et favoriser la créativité des enseignants ?
Nous avions, dans mon établissement, un chariot de trente tablettes entreposé au CDI et qu’il fallait aller chercher après l’avoir réservé. L’accès au Wifi se faisait à partir du chariot et était donc circonscrit à la salle de classe.
Cet outil plaît toujours énormément aux élèves, qu’ils en aient ou pas à la maison. Si l’activité qui leur est proposée leur semble intéressante, ils se laissent guider. Il me semble que cela développe beaucoup leur créativité : je les vois chercher des façons de filmer pour rendre une intensité plus grande à la lecture d’un texte, chercher les informations les plus intéressantes et les plus claires, s’intéresser à mille choses qui semblent, le reste du temps, les laisser dans l’indifférence quand on étudie un texte.
Tout n’est pas à faire sur les tablettes mais elles offrent quand même de nombreuses possibilités ! Vous pourrez trouver de nombreux scénarios sur le site Lettres et langues et cultures de l’Antiquité de l’Académie de Lyon – et de façon plus large, sur tous les sites académiques dédiés aux TICE. Je vais souvent y chercher des idées.
Quels conseils donneriez-vous pour en faire le meilleur usage ?
Pour faire le meilleur usage des tablettes, il faut à mon avis disposer de conditions favorables : avoir bien compris comment fonctionne le matériel, avoir une connexion à flux constant, un référent dans l’établissement pour tout problème technique. Il faut aussi responsabiliser les élèves sur le matériel : j’utilise une fiche où ils marquent leur nom, le numéro de la tablette et signent pour s’engager à prendre soin du matériel. Il convient d’offrir un travail intéressant et copieux : une simple petite recherche ne les accapare pas très longtemps, ils ont tendance à passer d’une information à l’autre en peu de temps, donc il faut leur offrir des choses différentes et nombreuses à faire. Il est nécessaire de préparer le travail très précisément : un document papier doit lister les étapes du travail, mais c’est encore mieux si vous avez eu le temps de mettre tout cela sur un « mur » (padlet) pour que la fastidieuse tâche de taper l’adresse d’un site – qui engendre trop d’erreurs – disparaisse. Enfin il faut prévoir une activité de substitution pour les imprévus, un peu trop fréquents avec l’informatique…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site de l’académie de Lyon
Le blog du collège