Du 20 au 22 octobre se déroule à Lyon le congrès bi-annuel de l’APEMU, l’association des professeurs d’éducation musicale. Plusieurs ateliers de pratique sont programmés pour les 200 enseignants inscrits, et notamment une présentation d’étonnantes d’applications musicales sur smartphones. La suite d’applications SmartFaust, déjà utilisée par plusieurs enseignants en France, permet de transformer les smartphones des élèves en véritables instruments de musique contemporaine. Rencontre avec Catinca Dumitrescu, chargée de médiation au GRAME centre national de création musicale de Lyon, le centre qui a développé les applications SmartFaust, et animatrice de l’atelier de découverte pour les enseignants.
Pouvez-vous nous expliquer le principe des applications SmartFaust ?
Ce sont des applications musicales pour smartphones iOS et Android, qui exploitent les capteurs de mouvement des téléphones et transforment ces derniers en véritables instruments de musique. Les applications Smartfaust s’appuient sur la technologie Faust développée par le GRAME, centre national de création musicale basé à Lyon.
L’utilisateur des applications Smartfaust découvre rapidement que le son se modifie en fonction de la position du smartphone (sur le côté droit, ou gauche, face tournée vers le haut ou vers le bas, position verticale ou horizontale, avec toutes les nuances provoquées par les positions intermédiaires).
Quelles sont les raisons qui ont amené le GRAME à développer ces applications ?
L’origine du projet SmartFaust remonte à l’édition 2014 de la Biennale Musiques en Scène, festival que nous organisons au mois de mars tous les deux ans. Pour cette occasion, nous avions commandé au compositeur Xavier Garcia 4 compositions musicales pour téléphones portables et solistes. C’était un format de concert innovant où le public pouvait participer, aux côtés des musiciens sur scène, à une œuvre collective. Un double challenge se présentait à nous : faire de la musique avec des téléphones portables, et faire jouer le public sans répétitions préalables.
Le département scientifique de Grame a donc travaillé au développement de ces « applis instruments », capables de fabriquer des sons variés avec des téléphones portables, ou même capables de « sampler » c’est à dire enregistrer un son, le rejouer, le modifier en temps réel.
Ces applications n’étaient donc au départ pas conçues uniquement pour un cadre pédagogique et scolaire ; mais plusieurs enseignants d’éducation musicale ont depuis réutilisé vos applications SmartFaust dans le cadre de leurs cours en collège. Comment l’expliquez-vous ?
La force des applications SmartFaust réside dans leur facilité d’utilisation et d’appropriation par les utilisateurs, qui peuvent donc en effet être des enseignants ou des élèves. Lors de leur conception, notre souhait était justement de créer des outils qui pouvaient être maniés sans intervention de notre centre. SmartFaust, c’est en quelque sorte l’adéquation entre une technologie pleinement adoptée par les jeunes et son ouverture vers des productions artistiques rendues accessibles sans que le passage par un apprentissage technique soit décourageant.
Cependant, nous sommes conscients que jouer de la musique avec son téléphone portable peut surprendre et même déstabiliser donc nous aidons le plus possible les enseignants dans la mise en œuvre du projet SmartFaust.
Quel est justement l’accompagnement (en présentiel ou à avec des ressources à distance) que le GRAME peut proposer aux enseignants ?
Nous proposons donc des intervenants (musiciens et compositeurs) qui se déplacent dans les établissements scolaires (au minimum 4 séances de 2h) et travaillent avec les élèves et leurs enseignants à utiliser les applications pour arriver à jouer une œuvre musicale collective, présentée habituellement en fin d’année scolaire. Nous mettons également à disposition des enseignants, dans la mesure du possible, une valise de téléphones, une partition (SmartMômes de Xavier Garcia, éditée par Mômeludies) spécialement conçue pour le jeune public, ainsi que des fiches « mode d’emploi » pour apprendre la gestuelle.
Depuis l’année dernière, nous proposons également un autre format de projet, intitulé « Faust Audio Playground » (Faust Audio Playground est une plateforme entièrement basée sur les technologies WEB qui offre la possibilité de concevoir des applications musicales en ligne, téléchargeables sur les smartphones et avec lesquelles l’utilisateur peut par la suite jouer sur scène, en classe ou à la maison. Comme pour les applications SmartFaust, c’est le geste de l’utilisateur du téléphone qui génère les sons et non un «pianotage» sur l’écran)
L’utilisation des smartphones en classe reste encore un sujet qui divise dans le monde enseignant, notamment concernant l’aspect légal mais également la pertinence pédagogique. Que répondriez-vous à quelqu’un qui déplorerait le fait que des applis comme les vôtres soient des « gadgets », ou des choses qui n’ont pas leur place dans une salle de classe ?
Si dans les premières minutes, l’aspect ludique risque de l’emporter, en raison de la nouveauté et de la richesse de l’outil, l’apprentissage technique des applis est à concevoir de façon exigeante. Les téléphones sont sensibles, et si l’on recherche par exemple une réverbération, un silence, une attaque, le geste doit être précis et ne peut pas être plus approximatif que celui d’un violoniste avec son archet ou d’un joueur de oud avec la position des doigts sur le manche.
Aussi, la précision ne concerne pas seulement le geste individuel, mais également le sens du jeu collectif. L’oeuvre SmartMômes de Xavier Garcia est une véritable composition qui intègre des notions de polyphonie, de réponses, de silence, d’improvisation collective.
Dans les collèges que nous accompagnons, nous n’utilisons pas ou très peu les téléphones des élèves, mais des smartphones spécialement attribués au projet. Ces appareils sont donc uniquement des outils de travail, tout comme des instruments que l’on apporte en début de séance et qu’on reprend à la fin du cours.
Vous participez au congrès de l’APEMU (association des professeurs d’éducation musicale) à Lyon, du 20 au 22 octobre 2016. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous présentez aux enseignants d’éducation musicale qui participent à ce congrès ?
Je me réjouis à l’idée de participer à ce congrès où j’interviens pour la première fois. Cela me donnera la possibilité premièrement de parler aux enseignants des activités du Grame, structure vers laquelle ils peuvent se tourner, où qu’ils se trouvent géographiquement, pour mettre en œuvre des projets alliant arts sonores/arts visuels/nouvelles technologies. Deuxièmement, je leur présenterai la genèse du projet SmartFaust et les différentes actions que nous avons menées dans les collèges de la région. Troisièmement, je voudrais mettre l’accent sur l’expérimentation, c’est-à-dire jouer ensemble de ces nouveaux instruments en suivant tout d’abord la partition SmartMômes, puis progressivement s’en détacher pour laisser la place à l’improvisation.
Aussi, ce que j’aimerais leur dire est qu’une fois la précision du geste acquise, il demeure une autre dimension tout aussi importante : le jeu dans l’espace et la plastique gestuelle. Les applications SmartFaust doivent être utilisées non seulement pour l’interprétation d’une œuvre musicale, mais aussi pour créer une chorégraphie. Il ne s’agit pas d’un simple exercice technologique. Le musicien doit être également danseur.
De votre côté, avez-vous personnellement des souvenirs de vos cours d’éducation musicale au collège ?
Je n’ai pas fait ma scolarité en France, mais en Roumanie où il y avait peu de diversité dans les pratiques musicales, essentiellement du chant choral. N’étant pas intéressée par le chant et n’ayant pas de pratique instrumentale non plus, j’ai le souvenir de m’être sentie très rapidement « exclue» des cours de musique.
Cependant, j’ai toujours été très admirative des musiciens et j’aurais adoré pouvoir faire partie d’un groupe, mais il y avait toujours une barrière entre ceux qui pratiquaient un instrument et ceux qui n’en pratiquaient pas. Les projets comme SmartFaust offrent la possibilité à tous ceux qui le souhaitent d’être dans la peau des musiciens et performeurs d’aujourd’hui et c’est formidable !
Propos recueillis par Logann Vince