« En fin de carrière, le salaire des enseignants français se situera parmi les plus élevés de l’OCDE ». Alors que les discussions sur les Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) se terminent, le Café pédagogique fait le point avec Najat Vallaud-Belkacem. L’application de l’accord PPCR va-t-elle réellement se traduire par une revalorisation des enseignants ? Est-ce un simple cadeau électoraliste ? L’évaluation des enseignants sera-t-elle dorénavant plus juste ?
Plusieurs enquêtes syndicales (Snuipp, Unsa Education par exemple) ont montré que la question de la rémunération est devenue criante chez les enseignants. L’accord PPCR améliore-t-il vraiment le salaire perçu par les enseignants ?
Oui, c’est tout l’objectif, car en effet les études internationales montrent qu’en termes de rémunération les enseignants français se situent en dessous de la moyenne de l’OCDE. Mais nous n’avons pas attendu le PPCR pour agir. Depuis le début du quinquennat, nous avons pris des mesures ciblées : nous avons aligné l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves du premier degré sur celle du second degré en la portant à 1200 euros par an, nous avons augmenté les indemnités éducation prioritaire pour rendre plus attractifs ces territoires en les portant à 1734 euros en REP et 2312 euros en REP+, donné de nouvelles décharges aux directeurs d’école, revu les indemnités pour l’exercice de missions particulières.
Le PPCR, qui va concerner l’ensemble des enseignants, va permettre d’aller encore plus loin en revalorisant très sensiblement le salaire moyen des professeurs, au-delà de la moyenne OCDE. En fin de carrière, le salaire des enseignants français se situera même parmi les plus élevés de l’OCDE, comme l’Allemagne. Sur l’ensemble d’une carrière, un enseignant touchera 23 000 € bruts de plus qu’aujourd’hui. Cela représente un effort total d’un milliard d’euros, dont près de 500 millions dès 2017.
Un sentiment fréquent chez les enseignants français, repéré par exemple par l’OCDE, c’est l’idée que leur évaluation n’est pas juste. Même si l’évaluation est maintenant rythmée par des rendez-vous fixés à l’avance, au final ce sont toujours les chouchous de l’inspection qui vont progresser ? Un syndicat dit même que l’inégalité sera plus grande du fait de l’écart de rémunération avec la classe exceptionnelle. Qu’en pensez-vous ?
Il est étonnant que soit employée l’expression « chouchou de l’inspection ». Les personnels, quel que soit leur rôle, effectuent leurs missions consciencieusement. Je ne doute pas que les personnels de direction et d’inspection prendront à coeur de mener des rendez-vous de carrière de qualité et de réaliser une évaluation la plus objective possible. Cette objectivité est rendue possible par un temps d’entretien, au même moment de la carrière pour tous, par une grille d’évaluation claire, correspondant au référentiel métier du professorat et, dans le second degré, par le croisement des regards des personnels d’inspection et de direction. Le double regard qui sera demain retranscrit sur un même compte-rendu d’évaluation professionnelle est une garantie d’objectivité.
Mais ce n’est pas la seule. Les 11 compétences évaluées donneront lieu à des appréciations littérales du ou des évaluateurs qui devront justifier l’évaluation faite. L’enseignant pourra aussi formuler ses observations, et c’est sur la base de l’ensemble de ces éléments que les autorités académiques porteront une appréciation finale sur le compte-rendu d’évaluation professionnelle de chaque enseignant.
La réforme reconnaitra-t-elle le fait que le métier enseignant est différent et plus pénible à Neuilly-sur-Marne qu’à Neuilly-sur-Seine ?
Il faut distinguer deux choses : d’abord, la reconnaissance de la valeur professionnelle de tout enseignant, quel que soit le lieu et les conditions d’exercice. Il est essentiel de pouvoir valoriser tout enseignant. C’est l’objectif des trois premiers rendez-vous de carrière. Ensuite, nous allons en effet mieux reconnaître dans une carrière l’exercice assez long (8 ans et plus) en éducation prioritaire ou dans certaines fonctions, comme directeur d’école ou formateur. Cela sera possible dans le cadre de la classe exceptionnelle, qui leur sera plus facilement accessible.
La nouvelle évaluation prendra en compte autre chose que l’enseignement stricto sensu. Pourquoi ne pas simplement évaluer un professeur sur son cours ?
L’évaluation doit prendre en compte les différentes dimensions du métier. Bien sûr, l’activité pédagogique est majeure. Mais on ne peut pas ignorer la capacité à travailler en équipe, les relations avec les parents d’élèves et la capacité à installer dans la classe un climat propice aux apprentissages. De même qu’on ne peut pas ne pas évaluer l’éthique de l’agent public ou l’accompagnement des élèves dans leur parcours de formation.
Un point faisait débat avec les syndicats : la rédaction d’un « bilan professionnel » au moment des rendez-vous de carrière. Certains y sont opposés. Finalement sera-t-il demandé ?
Il a été convenu avec les syndicats que le bilan professionnel serait fortement recommandé. Les enseignants pourront remplir un document qui leur permettra d’apporter leur propre éclairage sur leur parcours. Ce document sera utile pour l’entretien professionnel.
Ne faudrait-il pas plutôt évaluer les enseignants selon les résultats de leurs élèves comme cela se fait dans certains pays et comme on l’entend également à droite ?
Cette approche est trop simpliste car les résultats ne sont pas les mêmes selon que l’on se retrouve dans tel ou tel établissement. Peut-on comparer le résultat d’un collège socialement favorisé avec un établissement en REP+ ? Pourtant, le travail en REP+ est bien souvent de très grande qualité. On a donc préféré évaluer l’enseignant sur sa maîtrise des savoirs, sur sa capacité à construire et mettre en oeuvre des séquences pédagogiques et sur sa façon d’évaluer les progrès de ses élèves et de travailler en équipe. Si ces points sont parfaitement réalisés, il est évident que les élèves réussiront le mieux possible.
La réforme Chatel de l’évaluation envisageait de confier l’évaluation dans le secondaire au chef d’établissement. Dans le PPCR on a une seule personne (l’IEN) pour évaluer les professeurs des écoles et deux personnes pour les professeurs du secondaire. Pourquoi cette différence ? Comment chefs d’établissement et IPR pourront-ils faire pour évaluer les enseignants ensemble ? Pourquoi ne pas confier l’évaluation aux seuls chefs d’établissement qui sont en contact direct avec les enseignants ?
Dans la réforme Chatel, l’évaluation faisait disparaître tout regard de l’inspecteur, c’est-à-dire tout regard sur la transmission des savoirs disciplinaires. Or le chef d’établissement ne peut pas apprécier cette dimension : il n’est pas en même temps professeur d’anglais, de mathématiques et de lettres. Son rôle est essentiel du fait de sa proximité et il est réaffirmé. Mais le regard sur ce que vous avez appelé l’enseignement stricto sensu est indispensable. Par ailleurs, le fait d’avoir un regard croisé des personnels de direction et d’inspection est un plus pour les enseignants.
Le nouveau modèle de carrière suppose que les métiers de l’inspection changent. Peut-on changer les inspecteurs ?
Les inspecteurs ont changé depuis bien longtemps. Il est loin le temps où ils n’effectuaient que des inspections au fond de la classe. Aujourd’hui, leur engagement dans l’accompagnement des équipes, le suivi des stagiaires et leur investissement dans la formation sont essentiels. Je précise que la circulaire sur leur métier de décembre dernier a consacré ces évolutions. Et la réforme de l’évaluation dans le cadre du PPCR, qui met en avant l’accompagnement individuel et collectif, est bien en phase avec cette évolution du métier d’inspecteur.
L’accord est accueilli globalement positivement par plusieurs syndicats importants allant du Se Unsa au Snes. Du coup, n’avez-vous pas, à quelques mois d’une élection importante, trop donné ? N’aurait-il pas fallu exiger en échange une modification du temps de travail des enseignants, ce que certains à droite envisagent ?
Je m’étonne toujours que l’on considère que les réformes sont profondes quand elles sont conflictuelles et sans exigence quand elles sont bien acceptées. C’est faire bien peu de cas du travail réalisé avec les organisations syndicales ! Ces organisations savent parfaitement quels sont les points faibles de la situation qui existait jusqu’à présent et sont tout à fait prêtes à avancer, du moment que l’on trouve le bon chemin.
Ainsi en cinq ans, nous avons passé en revue tous les métiers de l’Education nationale, notamment celui des professeurs du second degré en revoyant le vieux décret de 1950 que la droite n’a jamais su réformer. Nous sommes par ailleurs parvenus à reconstruire les carrières complètes des personnels, non seulement en les revalorisant, mais aussi en mettant en place un nouveau système d’évaluation professionnelle. Là aussi, la droite n’avait obtenu aucun résultat.
Cette revalorisation arrive tard. Les enseignants verront-ils le changement avant les élections ? N’est-ce pas un cadeau électoraliste ? Quelle garantie que le futur gouvernement le respecte ?
Le PPCR ne vient pas d’être inventé sur un coin de table. C’est un travail qui prend du temps, qui est concerté, préparé finement. L’annonce par le Premier ministre de sa mise en oeuvre le 30 septembre 2015 a conclu une négociation dont les contours et la méthode avaient été fixés dès avril 2014. C’est dans ce cadre que j’ai pu décliner sa mise en oeuvre pour les enseignants et faire des annonces concrètes fin mai.
Alors, j’ai bien noté que certains considéraient que la revalorisation des salaires des enseignants était un « cadeau électoral ». Mais qu’est ce que cela signifie ? Estiment-ils que les enseignants ne le méritent pas ? On ne peut pas dire, un jour, qu’ils sont insuffisamment payés par rapport à la moyenne de l’OCDE et dire le lendemain, lorsque nous y apportons des réponses, qu’il s’agit d’un cadeau. Je considère que la revalorisation des salaires des enseignants est pleinement méritée et légitime. C’est pour cela que je me suis battue pour qu’elle soit substantielle, à hauteur d’un milliard d’euros, dont près de la moitié dès 2017.
Les enseignants la percevront donc dès le mois de janvier. Pour un enseignant en milieu de carrière, le PPCR se traduira par une augmentation nette annuelle de 320 € dès 2017 et 460 € dès 2019.
Le nouveau modèle renforce le poids de l’ancienneté dans une progression lente vers un salaire plus élevé. D’autres pays ont choisi de payer mieux les enseignants débutant pour attirer des jeunes dans le métier quitte ensuite à moins relever le salaire. C’est souvent lié au fait qu’ils proposent une seconde carrière aux enseignants âgés. Ne serait-ce pas plus judicieux ? Pourquoi ne pas investir l’argent des fins de carrière et les capacités des enseignants expérimentés dans d’autres fonctions en temps partagé, comme par exemple l’accompagnement des jeunes profs ou des fonctions d’inspection / direction ?
Je tiens à préciser une chose : nous avons pris plusieurs mesures pour attirer les jeunes vers les métiers de l’enseignement. Au-delà des créations de postes, nous avons remis en place une formation, qui est rémunérée. Et le PPCR s’applique dès le début de carrière : à terme, les enseignants-stagiaires seront augmentés de plus de 1 400 euros bruts sur une année.
Enfin, vous avez raison, la seconde carrière est un sujet important. Et nous nous y sommes attaqués durant ces années. Toutes les carrières des fonctions d’encadrement ont été revalorisées : les IEN peuvent terminer leur carrière en hors échelle B, les IA-IPR en Bbis. Les directeurs d’école, les conseillers pédagogiques, les formateurs ont bénéficié de revalorisations indemnitaires et seront éligibles aux fonctions donnant un accès facilité à la classe exceptionnelle. Et, pour être exhaustive, nous avons revalorisé toutes les carrières d’encadrement supérieur dans les académies, permettant aux personnels d’encadrement (inspecteurs, personnels de direction notamment) d’accéder à des responsabilités supérieures avec un véritable intérêt.
Propos recueillis par François Jarraud