Que pensent les acteurs de l’éducation prioritaire du rapport du Cnesco ? « L’éducation prioritaire dérange car à l’intérieur il y a des pratiques qui bousculent les partisans de l’enseignement traditionnel ». C’est sur le terrain pédagogique que Marc Douaire, président de l’association Observatoire des zones prioritaires (OZP), critique le rapport du Cnesco. Pour lui, le rapport méconnait l’évolution récente de l’éducation prioritaire et est un cadeau à l’opposition de droite.
Quel regard jetez vous sur le rapport publié par le Cnesco ?
Ce rapport a beau s’intituler « rapport scientifique », ce n’en est pas un. Le sous titre du rapport « éducation prioritaire : une discrimination devenue négative » laisse entendre que c’est parce qu’il y a une éducation prioritaire qu’il y a des inégalités sociales et de la discrimination. Même Sarkozy n’a jamais osé écrire cela !
On peut partager le constat des inégalités territoriales. Mais ce n’est pas l’éducation prioritaire qui les a crées. On est tous convaincus qu’il y a des quartiers totalement ségrégués . Mais si les familles moins défavorisées sont parties ce n’est pas à cause de l’éducation prioritaire.
On peut partager le constat des inégalités du système éducatif français. Mais ce n’est pas l’éducation prioritaire qui accroit les inégalités scolaires. C’est bien plutôt le fonctionnement du système éducatif avec le pilotage par l’aval, les examens, l’implantation des filières d’excellence dans les bons lycées. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. Pas à l’éducation prioritaire.
Enfin ce rapport méconnait 3 éléments fondamentaux. D’abord il méconnait l’histoire de l’éducation prioritaire. Il parle de continuité depuis plus de 20 ans. Mais il y a eu une discontinuité complète. La droite en 2002 a oublié l’éducation prioritaire par exemple.
Le rapport méconnait aussi le consensus de 2012. Il y a eu en 2012 une concertation nationale avec tous les acteurs. Un consensus est apparu pour maintenir la labellisation « éducation prioritaire » que Sarkozy avait attaqué. N Mons dans son rapport de conclusion de la concertation , en 2012, a tourné le dos à ces travaux.
Il méconnait aussi la relance de l’éducation prioritaire qui a eu lieu à partir de 2014. Elle n’est traitée que de façon incidente. Le rapport méconnait le travail pédagogique effectué, la formation, le continuum école collège etc. Il accable les équipes sur le terrain. Il prend une responsabilité grave qui déconsidère le Cnesco.
Alors je m’étonne que ce rapport qui méconnait l’éducation prioritaire et les contenus de la refondation sorte juste avant les élections. Les candidats de la droite vont être ravis. La liquidation de l’éducation prioritaire est en marche.
Quand le rapport dit qu’on donne moins à ceux qui ont moins, c’est contestable ?
C’est une formule démagogique. Il faut comparer avec la situation de départ. En Rep+ les enseignants ont obtenu du temps de concertation sur le temps de service par exemple. La scolarisation des enfants de moins de 3 ans est en marche doucement. Le plus de maitres que de classes aussi. On peut aussi parler des stages de formation. Donc on doit être mesuré. On pourrait donner plus. Mais ce qu’on voit surtout c’est une difficulté d’enseigner dans un système éducatif conçu pour l’élite. Si l’on veut donner plus à l’éducation prioritaire il faut prendre des moyens dans les lycées et aux Cpge. Le rapport ne le propose pas…
On a des évaluation des résultats de l’éducation prioritaire ?
Le rapport du Cnesco est fondé sur des données antérieures à la réforme du prioritaire. Depuis la réforme de 2013, non. La réforme est engagée. On évaluera les résultats en 2018.
L’idée de supprimer l’éducation prioritaire pour attribuer les moyens selon les établissements est inopérante. Comme si donner des moyens allait magiquement supprimer les difficultés pédagogiques, régler les problèmes de discontinuité entre école maternelle, élémentaire et collège. C’est de la fiction !
La vérité c’est que l’éducation prioritaire dérange car à l’intérieur il y a des pratiques qui bousculent les partisans de l’enseignement traditionnel.
L’éducation prioritaire c’est une question de pédagogie plus que de moyens ?
C’est les deux. Il faut des moyens supplémentaires en postes, en formation, en reconnaissance des enseignants, en accompagnement. Mais ils doivent être utilisés pour améliorer les pratiques des enseignants. Ce n’est pas une question de moins d’élèves par classe. En soi, diminuer les effectifs élèves par classe n’est pas une panacée. C’est le changement pédagogique qui l’est.
Propos recueillis par François Jarraud