« La question de la place des agrégés dans le continuum bac – 3 / bac + 3 reste posée aux pouvoirs publics ». Alors que le président de la République annonce une réforme du lycée et de l’accès au supérieur, l’Inspection générale publie un rapport sur « la place des agrégés dans l’enseignement supérieur’. En réalité, le rapport va bien au delà, traitant des certifiés à coté des agrégés et posant la question de leur carrière. Une nouvelle étape vers le glissement des agrégés vers le sommet ?
Dirigé par Isabelle Roussel, le rapport dresse pour la première fois un bilan des enseignants du secondaire exerçant dans le secondaire. Alors que le ministère réfléchit à une réforme couvrant tout le « bac -3 à bac +3 », ce rapport met l’accent sur la participation des agrégés à l’enseignement supérieur et appelle à revoir leur carrière en ce sens.
Une implication croissante des agrégés dans le supérieur
Selon le rapport, « le recours aux enseignants du second degré dans le supérieur s’est particulièrement développé à partir des années 1980 ». Il y avait 1425 agrégés dans le supérieur en 1984, ils sont maintenant 7 225. Les certifiés ont de leur coté diminué. Ils étaient 6000 en 1999. Ils ne sont plus que 5695 aujourd’hui.
Mais pour bien prendre la dimension de ces données, il faut avoir une vision globale des deux corps, que le rapport ne donne pas. Sur 56 669 agrégés en 2015, 48 596 travaillent dans le second degré et 7216 dans le supérieur. 32 enseignent au primaire et 659 sont détachés dans le privé. Autrement dit plus d’un agrégé sur dix enseigne dans le supérieur. Du coté des certifiés, 242 019 enseignent dans le secondaire, une centaine au primaire et 5395 dans le supérieur. C’est dire que c’est une situation beaucoup plus exceptionnelle, et même de plus en plus rare, pour les certifiés.
Mais variant selon les disciplines…
Toutes les disciplines ne sont pas également employées dans le supérieur. Si 13% des agrégés enseignent dans le supérieur, c’est 55% des agrégé de gestion, 37% des agrégés d’anglais, 35% de ceux de physique chimie, 54% en STI mais 14% des agrégés de lettres.
Cela tient aux structures où on les emploie dans le supérieur : les STS, les CPGE, les IUT et les ESPE. A noter que dans les Espe, les certifiés sont plus nombreux que les agrégés.
Que représentent-ils dans le supérieur ? Selon le rapport, Les agrégés représentent 12% des enseignants des établissements d’enseignement supérieur et les certifiés 9%. Autrement dit ils pèsent un enseignant sur 5 du supérieur, avec des statuts différents. Ils peuvent être PRAG ou PRCE , mais aussi ATER ou maitre de conférence.
« Juste tolérés » dans le supérieur….
S’ils sont devenus indispensables et occupent souvent des responsabilités pédagogiques, les agrégés semblent juste tolérés dans l’enseignement supérieur. « La première constatation, sans doute la plus frappante, est la distorsion qui existe entre la part considérable prise depuis trente ans par les enseignants du second degré dans le fonctionnement pédagogique et administratif des établissements d’enseignement supérieur et l’absence de réflexion globale, tant au niveau national que dans les établissements, sur l’apport de ces enseignants et la place qu’ils occupent », note le rapport.
« Quasiment aucun des interlocuteurs rencontrés par la mission n’a exprimé une ligne politique claire sur la place qui devrait être faite aux enseignants du second degré – et en particulier aux agrégés – dans le continuum bac – 3 / bac + 3. À l’exception des représentants des IUT, aucun interlocuteur au niveau des établissements n’a abordé ce sujet spontanément, sauf de manière défensive, pour exprimer une crainte et un refus de « secondarisation » de l’enseignement supérieur », ajoute-il.
En fait leur arrivée est due à la croissance de l’enseignement supérieur et s’est faite dans l’urgence. « Les enseignants du second degré ont été affectés, « au fil de l’eau », dans l’enseignement supérieur pour répondre à l’augmentation des effectifs d’étudiants dans les années 1990-2000 mais sans gestion prévisionnelle à long terme ; le ministère a paré au plus pressé, couvert les besoins d’enseignement immédiats, sans réflexion sur ce qu’impliquait le départ d’une partie importante du corps des agrégés vers l’enseignement supérieur. Alors que la carrière des agrégés enseignant dans le post-bac et en particulier les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) fait l’objet d’un suivi particulièrement attentif, il n’y a pas eu de réflexion sur la définition des missions que pouvaient remplir les PRAG et les PRCE, sur leur apport pédagogique spécifique dans le supérieur universitaire », note le rapport.
Des conditions de travail inférieures ?
Le rapport montre que leur charge horaire est à peu près le double de celle des enseignants chercheurs des universités et qu’on leur impose des heures complémentaires. La moyenne semble se situer à 500 h d’exercice annuelles, soit moins que les 15h hebdomadaires du secondaire.
Résultat, selon le rapport leur carrière en souffrirait. Certes le revenu brut annuel d’un agrégé enseignant dans le supérieur se monte à 51 208 € selon le rapport. Mais ce serait moins qu’en CPGE, voire moins que dans le scolaire ordinaire. Cela générerait « un sentiment fort de frustration des personnels », selon le rapport. « Les critères qui président au changement de grade ne sont ni compris, ni véritablement acceptés ». Les perspectives de carrière semblent très étroites.
Alors les agrégés du supérieur semblent partagés entre satisfaction et protestation. « Il ressort de ces entretiens où les enseignants se sont exprimés de manière très libre, un sentiment partagé. Sont évoqués le plus souvent la capacité d’initiative, l’autonomie, le sentiment d’une liberté beaucoup plus grande dans l’enseignement supérieur que dans l’enseignement secondaire, et plus rarement, le profil des étudiants. La mission a ainsi pu constater une quasi-unanimité quant aux aspects positifs du métier de PRAG ou de PRCE. Dans la pratique, quasiment aucun des enseignants rencontrés n’a d’ailleurs exprimé le souhait de retourner dans le second degré. Pourtant, un sentiment d’insatisfaction, voire de frustration s’est également exprimé, essentiellement lié à la gestion de leur carrière, vécue comme « une boîte noire » », note le rapport.
Prendre en compte les besoins du supérieur dans le nombre de postes proposés
Dans les recommandations, le rapport demande une meilleure connaissance du nombre d’enseignants du secondaire affectés dans le supérieur et surtout une prise en compte des besoins du supérieur dans les concours de recrutement. Pourquoi ne pas augmenter de 10% les postes au concours de l’agrégation si un agrégé sur dix enseigne dans le supérieur ?
Mais le rapport s’est surtout penché sur la carrière des agrégés. Pour lui ce qui nuit à la prise en compte des services effectués dans le supérieur dans les promotions c’est la gestion nationale du corps. Il recommande donc une gestion déconcentrée des agrégé affectés dans le supérieur ce qui serait une révolution.
Une « vocation » à aller dans le supérieur ?
Reste la question centrale. Quelle place pour les agrégés dans le bac-3 bac+3 ? « Le sujet débordait très largement le cadre de la mission mais il demeure central et mériterait qu’on redéfinisse clairement la vocation et les missions du corps des agrégés et qu’on affirme sans doute davantage leur vocation prioritaire à enseigner en lycée et dans le post baccalauréat », estime le rapport.
En tout état de cause, les agrégés ne peuvent être gérés uniquement comme un corps du second degré mais la vocation « mixte » d’un corps positionné à la fois sur le second degré et sur le post bac en l’enseignement supérieur doit être prise en compte », assure le rapport. Issue des accidents de l’histoire de l’école, la division du corps professoral du secondaire et sa hiérarchisation vont continuer.
François Jarraud