Pénurie d’enseignants, concentration des difficultés scolaires et des inégalités sociales et de genre, inflation des diplômes, l’enseignement professionnel est bien l’oublié de l’Education nationale si l’on en croit le Conseil national d’évaluation du système scolaire. Le Cnesco publie le 8 juin le bilan alarmant de la conférence de comparaisons internationales qu’il a organisée avec le Ciep, le Céreq et le Lest, les 19 et 20 mai.
De nombreux points de ce bilan étaient connus. Mais la conférence de comparaisons internationales a pu les mettre en perspective et dresser ainsi au tableau d’une filière du système éducatif français devenue importante et pourtant bien délaissée.
Un apparent succès
Car l’enseignement professionnel est un secteur qui ne cesse de s’affirmer. Aujourd’hui, l’enseignement professionnel de l’éducation nationale c’est 700 000 élèves, 1 700 lycées et un bachelier sur trois. Un lycéen sur trois est en lycée professionnel. En quelques années, le bac professionnel a connu une expansion incroyable. Depuis 2010, le nombre de bacheliers professionnels a presque doublé, passant de 110 000 à 190 000. C’est cet essor qui a porté la démocratisation du bac et l’augmentation du taux de bacheliers alors que le nombre de bacheliers généraux a très peu varié.
L’enseignement professionnel ce sont aussi les apprentis. Ils représentent un jeune sur quatre dans l’enseignement professionnel. Ils sont surtout présents au niveau CAP (57%). Alors que leur nombre a peu évolué depuis 1995 dans le secondaire, il explose dans le supérieur.
Des difficultés d’insertion importantes
Alors que dans les pays de l’OCDE l’insertion des sortants de l’enseignement professionnel est meilleure que celle des jeunes de l’enseignement général, la France se singularise avec un taux d’insertion quasiment équivalent.
Derrière cette moyenne, on trouve de fortes disparités que relèvent le Cnesco. Disparité entre les CAP et le bac professionnel pour l’accès à l’emploi. Trois ans après l’obtention du CAP un jeune sur trois reste au chômage quand c’est un sur 5 pour le bac professionnel. L’apprentissage diminue ces taux mais davantage pour le bac pro que pour le CAP.
Disparité aussi entre les filières. Si le chômage augmente rapidement dans les filières industrielles, il est nettement moins fort que dans le tertiaire. Le Cnesco attire l’attention sur les 4 séries tertiaires à gros effectifs qui ont à la fois de forts taux de chômage et des élèves particulièrement défavorisés et avec du retard scolaire. Trois ans après le bac pro, 31% des élèves de secrétariat bureautique sont au chômage, 30% des services à la personne, 27% en compta gestion et 25% en commerce.
Des difficultés concentrées
La concentration des problèmes est la signature de l’enseignement professionnel. 80% des élèves de CAP sont en retard scolaire et un élève sur deux en 2de professionnelle quand c’est 20% dans les 2des générales et technologiques. Le niveau scolaire est nettement inférieur en 2de professionnelle par rapport aux autres secondes selon une estimation de la Depp. L’absentéisme, les problèmes de comportement sont aussi plus importants.
L’enseignement professionnel concentre aussi des populations socialement défavorisées : on compte dans l’enseignement professionnel 60% d’enfants d’ouvriers et seulement 12% d’enfants de cadres.
Le Cnesco relève aussi les inégalités de genre. Certains bacs professionnels comptent moins de 1% de filles (génie climatique par exemple). Les filières industrielles comptent plus de 85% de garçons. A l’inverse d’autres filières comptent 97% de filles (esthétique, coiffure). Les filles connaissent une forte discrimination à l’embauche : trois ans après un CAP industriel leur taux de chomage est presque le double de celui des garçons (41 contre 29%).
A cela on pourrait ajouter la discrimination ethnique. Le Cnesco y fait allusion quand il parle de « lycées professionnels ghettos ». Mais cette réalité aurait peut-être mérité un développement plus important. D’autant que, comme F Dhume l’a mis en évidence, l’enseignement professionnel devient malgré lui, du fait des stages, un acteur de ces discriminations.
Un pilotage insuffisant
Dernier trait au tableau les problèmes de pilotage. L’enseignement professionnel apparait bien comme « l’oublié de l’Education nationale ». Comme si toute ces difficultés ne suffisaient pas, le Cnesco relève les insuffisances propres à l’éducation nationale.
Et d’abord la pénurie de professeurs. Selon la Depp en 2015 28% des postes proposés dans les disciplines professionnelles n’ont pas été pourvus. La masterisation a divisé par deux le nombre des candidats aux concours. C’est donc en enseignement professionnel que l’on trouve le plus de contractuels : 10% quand la moyenne est de 4%.
Insuffisances de l’Education nationale aussi à l’entrée dans le professionnel qui résulte le plus souvent d’une orientation subie et plus précoce que dans de nombreux pays. « A l’entrée en 6ème, comme le dit le Cnesco, seuls 14% des parents envisagent que leur enfant poursuive son parcours dans l’enseignement professionnel. Or au final, ce sont 36% des élèves qui s’engagent dans la formation professionnelle ». Comme l’enseignement professionnel propose près de 300 diplômes différents, les parents s’y engagent en ne connaissant pas la filière et ses débouchés.
L’Education nationale a aussi mis 30 ans à commencer à envisager la poursuite d’étude des bacs professionnels. La montée des bacs professionnels s’est accompagnée d’une explosion des souhaits de poursuite d’étude. Aujourd’hui la moitié de ces jeunes envisage des étude supérieures.
Or ces jeunes ont des profils particuliers. Ils sont moins mobiles que les bacheliers généraux et privilégient les formations courtes près de chez eux. Ils ont aussi moins d’appétence pour l’enseignement général. Leur taux de réussite en licence est extrêmement faible alors que 8% des bacheliers professionnels s’y engagent. 26% vont en BTS avec un taux de réussite de 59%.
Le débouché normal pour eux serait donc les sections de techniciens supérieurs. Mais en 2014, sur 173 671 bacheliers pros, 69 295 ont demandé une STS et seulement 35 534 l’ont obtenu. Cela alors que 21 000 places étaient vacantes en STS… Le taux d’entrée était plus faible qu’en 2013 alors qu’on comptait davantage de bacheliers professionnels…
De tous ces points résultent plusieurs évidences. L’enseignement professionnel n’a pas été suivi par l’Education nationale et par ses partenaires , les entreprises par exemple, comme il l’aurait du. C’est en réponse à ce déficit de pilotage que le Cnesco a émis le 8 juin des préconisations.
François Jarraud