« Parce que demain notre pays ne construira pas sa cohésion nationale en pratiquant du séparatisme éducatif et social, parce que demain notre pays ne redynamisera pas son économie sans des ressources humaines qualifiées à tous les niveaux de responsabilité, notre enseignement professionnel et son petit frère l’apprentissage devront dans les années futures être au coeur des préoccupations de politiques enfin capables de penser une action publique qui embrasse, dans une vision holistique et complexe, l’éducation, la formation, le travail, l’économie et le social ». Nathalie Mons clôt le 8 juin la Conférence de comparaisons internationales sur l’enseignement professionnel, organisée par le Cnesco et le Ciep, par un appel à une prise en compte réelle de l’enseignement professionnel par l’Etat. Le Cnesco demande à la fois des réformes urgentes et des changements sur le fond qui concernent aussi les entreprises.
« Ces résultats quantitatifs révèlent une gouvernance de l’enseignement professionnel qui n’est plus toujours en adéquation avec les mutations, désormais rapides, du marché du travail ». Le bilan de l’enseignement professionnel effectué par le Cnesco montre, à coté de réussites, un système très inégal, avec des spécialités peu porteuses, des difficultés d’insertion sociale importantes aussi bien professionnellement que pour la poursuite d’études, une concentration des difficultés de tous ordres sur certaines filières et un pilotage déficient depuis des années.
Face à cela, le Cnesco propose à la fois de mesures urgentes et des orientations à long terme en ce qui concerne l’orientation des élèves, la formation, l’insertion et les enseignants.
Changer le recrutement des PLP
Les mesures urgentes concernent directement l’éducation nationale. Il est urgent de réduire la pénurie d’enseignants. Pour cela, le Cnesco préconise de revoir les critères de recrutement des professeurs des disciplines professionnelles en recrutant des professionnels expérimentés qui auront un master par la validation des acquis de l’expérience ou la formation continue. La mesure peut permettre de titulariser le contractuels actuels. Elle ne dit rien de la formation pédagogique de ces enseignants. Actuellement près de la moitié des PLP sont « dispensés de formation » et envoyés directement en classe. C’est une des difficultés de l’enseignement professionnel.
Le Cnesco recommande aussi d’associer des professionnels en activité à des interventions ponctuelles en classe et de faire faire un stage en lycée professionnel à tous les enseignants stagiaires. Une mesure qui vise peut-être à une meilleure connaissance de l’enseignement professionnel et à affaiblir les barrières entre les filières.
Suppression des 3èmes prépa pro
D’autres préconisations sont plus larges. D’abord sur l’orientation des élèves. Le Cnesco demande la fin des classes de 3ème préparatoires. La refondation a affirmé le principe du socle commun et de l’école inclusive mais elle n’a pas mis fin aux filières à l’intérieur d’un collège dit unique. Ces classes créées en 2011 scolarisent environ 30 000 jeunes.
« À l’issue de la classe de troisième, les élèves de « prépa-pro » participent à la même procédure d’orientation et d’affectation que les autres élèves. La poursuite d’études se fait, le plus souvent, en seconde professionnelle en lycée ou par la voie de l’apprentissage, mais n’exclut pas des possibilités offertes, la voie générale ou technologique », écrit le ministère dans sa présentation des prépa pro. Il est vrai que la LV2 est maintenue dans cette 3ème . Mais les horaires d’enseignement sont spécifiques. Il s’agit en réalité d’une pré orientation dès la 4ème qui relève de l’orientation subie plus que du choix conscient d’une profession par les familles et l’élève. Ces 3èmes sont majoritairement installées dans des lycées professionnels.
» Le positionnement de ces classes en collège reste quant à lui minoritaire mais interpelle sur les raisons profondes de cette situation : volonté d’externaliser l’aide aux élèves à besoins spécifiques, difficultés à prendre en compte les différences et à proposer des parcours adaptés au collège ? », écrivait le rapport Taraud publié en 2015. Le rapport invitait à « dé sanctuariser » les 3èmes prépa pro.
« Ces classes, institutionnalisées dans le cadre de la réforme du collège, doivent être suspendues au bénéfice de dispositifs offrant un accompagnement pédagogique renforcé aux élèves en difficulté répartis sur plusieurs classes de collège exclusivement », dit le Cnesco. « Les recherches ont montré que ces classes d’orientation précoce, fortement ségrégués et stigmatisantes nuisent aux apprentissages des élèves en difficulté, renforcent les inégalités sociales, à un âge où les projets professionnels ne sont pas encore construits. »
Améliorer l’information des familles sur l’orientation
Toujours pour lutter contre l’orientation subie, le Cnesco demande une meilleure information des familles sur les séries professionnelles. « Les élèves et leurs familles doivent recevoir des informations quantitatives et qualitatives sur le contenu des formations et l’insertion des diplômés de l’enseignement professionnel par domaine de formation au niveau national et régional (professions réellement exercées, conditions d’emploi), ou dans des aires géographiques pertinentes ».
Cela implique une simplification de l’offre qui s’éparpille aujourd’hui entre 200 CAP et 100 bacs professionnels différents. « L’offre de formation doit être simplifiée afin de regrouper des diplômes trop proches les uns des autres et qui correspondent à des formations trop étroites. Les intitulés des diplômes professionnels doivent être compréhensibles par les jeunes et leurs familles. »
Des 2des indifférenciées et des lycées polyvalents
D’où l’idée de classes de seconde professionnelle indifférenciée pour retarder l’orientation. Le Cnesco demande que cette expérimentation soit évaluée. Cette idée pose la question de la professionnalisation de l’enseignement. Alors que le bac pro est passé de 4 à 3 ans, peut on réduire une formation professionnelle à seulement 2 ans ?
Au niveau du lycée, le Cnesco veut déségréguer l’enseignement professionnel en développant des lycées polyvalents « afin de rassembler des élèves issus des voies professionnelle, technologique et générale lors de certains modules d’enseignement (EPS, Langues, …) ou pour des projets communs. » » Les lycées professionnels ghettos, ségrégués socialement, ethniquement et selon le sexe doivent aussi s’intégrer pleinement dans des lycées polyvalents rénovés, comme en Suède, qui offrent des modules communs de formation aux élèves de toutes les voies d’enseignement (professionnelle, technologique mais aussi générale) en langues vivantes étrangères, en éducation à la citoyenneté, en sport… », dit N Mons. Le Cnesco vise aussi le renforcement de l’enseignement général dans l’enseignement professionnel. Une dimension un peu délaissée par les recommandations du Cnesco.
Enseigner le savoir être
Le Cnesco demande également la création d’un enseignement des savoirs-êtres en milieu professionnel. « Trop d’élèves engagés dans la voie professionnelle n’ont pas les compétences nécessaires pour s’adapter au monde de l’entreprise. Des modules d’acquisition de compétences sociales et comportementales doivent être créés, directement connectés aux apprentissages en situation de travail ». Ces « life skills » sont intégrés dans les enseignements dans les pays anglo saxons. Le récent rapport Gauthier – Florin pour Terra Nova demande également leur déploiement dans l’ensemble du système éducatif.
Le Cnesco défend aussi l’idée d’une « pédagogie de mise en situation professionnelle » à l’image d’entreprises virtuelles développées par plusieurs lycées professionnels. Dernière recommandation pédagogique : l’ouverture à l’international en rééquilibrant les fonds Erasmus au profit du professionnel.
Accompagner les élèves dans leur insertion
Pour améliorer l’insertion et la poursuite d’études, le Cnesco vise à la fois les entreprises et l’éducation nationale.
Pour l’Education nationale, le Cnesco recommande « un véritable accompagnement pour la réussite au BTS et en classes préparatoires ». Le Cnesco met en avant l’expérience du lycée Lurçat de Perpignan où dès la fin de l’année de 1ère, les élèves susceptibles de poursuivre en BTS sont identifiés. « Ils auront, en terminale, quatre heures hebdomadaires d’accompagnement (français, anglais) ». Cet accompagnement est aussi psychologique ne serait ce que par le parrainage par des élèves de BTS.
L’insertion professionnelle demande pour le Cnesco un effort supplémentaire des entreprises. » Une place doit être donnée aux entreprises, mais aussi prise par les entreprises, souvent en retrait », estime N Mons. La conférence a mis en évidence la maigreur de l’engagement des entreprises françaises dans la formation y compris dans l’apprentissage. Là où l’apprentissage fonctionne bien, les entreprises mettent en place des formations de qualité pour les jeunes (Allemagne , Suisse par exemple). Le Cnesco demande un label « entreprise formatrice » qui « permettrait de valoriser les entreprises qui s’engagent dans une réelle dynamique de formation des jeunes et de garantir à ces derniers une formation de qualité grâce à des engagements de plusieurs natures : formation des tuteurs et des maîtres de stages à l’accueil, à la formation et au suivi des jeunes, connaissance des programmes d’enseignement de l’éducation nationale, élaboration de programmes de formation pour les stages ».
Enfin le Cnesco demande une actualisation régulière des diplômes tous les 5 ans.
Un enseignement professionnel oublié depuis 2012
Depuis 2012, l’éducation nationale a assisté à la montée des difficultés d’insertion dans l’enseignement professionnel sans réagir même en ce qui concerne l’insertion dans le supérieur et alors que le nombre de bacheliers professionnels explosait. Il a fallu attendre 2016 pour qu’une prise de conscience se fasse.
D’abord pour le post bac. Le gouvernement s’est engagé à ouvrir 2000 places en STS chaque année durant 5 ans à partir de 2017. Les quotas d’accès des bacheliers professionnels en STS devront être respectés et ils seront publiés. Ces mesures ne règlent pas pour autant les difficultés pédagogiques de ces élèves. Un ajustement des référentiels entre bac pro et STS reste à construire.
Pour le lycée professionnel, la ministre a promis 1200 nouveaux emplois à la rentrée 2017. Le ministère devrait aussi changer les règles du mouvement pour pouvoir garder les contractuels qui réussissent le concours. 500 nouvelles filières devraient être crées en LP dans des métiers d’avenir. Ces créations sont en relation avec la mise en place d’une période d’essai en LP pour lutter contre l’orientation subie. Dès la rentrée 2016, les élèves de seconde pro pourront demander une autre orientation à la Toussaint, y compris le retour en général. Mais on voit mal comment la promesse de réorientation pourra être tenue concrètement en octobre 2016 pour les élèves qui la demanderont…
Le Cnesco face à la quadrature du cercle
Le coté sans doute le plus positif de la conférence du Cnesco c’est d’en finir avec les solutions simplistes qu’on peut lire dans les programmes électoraux. La solution n’est pas dans le « tout apprentissage » par exemple. Celui ci supposerait déjà un engagement des entreprises bien supérieur à ce qu’il est actuellement. Il ne résoudrait pas les problèmes de ségrégation et d’échec scolaire.
Le Cnesco a bien porté la lutte contre la ségrégation dont est victime l’enseignement professionnel. On notera que la question des Segpa n’a pas été posée par le Cnesco. Par contre il multiplie les propositions qui réduisent les barrières de la 3ème prépa pro au lycée polyvalent et à l’accompagnement vers le supérieur.
Le Cnesco a du aussi affronter la question de la professionnalisation. Là aussi on est dans du complexe. Il faut à la fois une main d’oeuvre professionnelle mais adaptable. Le Cnesco va en ce sens en demandant une évolution des diplômes et l’acquisition de savoir etres professionnels. Mais la question du niveau de professionnalisation reste ouverte. Est ce le CAP ? Est ce le bac ? Est ce le supérieur ? Cela doit il dépendre des filières ?
La question la plus pendante dans les préconisations reste celle du niveau d’enseignement général. Un récent numéro de la Revue de Sèvres du CIEP a mis en évidence la nécessité d’améliorer le niveau de compétences générales dans l’enseignement professionnel pour assurer l’insertion. Elle est abordée par le Cnesco de biais plus que de front à travers plusieurs mesures.
Alors que le ministère semble prendre conscience de la nécessité de s’emparer du dossier Enseignement professionnel, la Conférence du Cnesco relance le débat sur la formation et le devenir d’un jeune sur trois et des jeunes qui ont le plus besoin de la République. Pour cela, merci.
François Jarraud