La pédagogie doit-elle ignorer les gestes professionnels ? Longtemps la formation professionnelle a méprisé ou ignoré la dimension physique du métier d’enseignant pour se limiter à une didactique disciplinaire ou à une approche sociologique. L’ouvrage de Jean Duvillard veut redonner toute sa place à cette dimension gestuelle du métier. Car on le sait tous sans y avoir réfléchi : il suffit d’une inflexion de la voix, d’un geste, d’une posture trouvés au bon moment pour gérer un conflit ou asseoir son autorité.
Enseigner , un art du détail
« Il est intéressant de faire le lien entre le mot enseigner et son étymologie : « marqué d’un signe », note Jean Duvillard en ouverture du livre. Formateur en Espe il se fixe comme objectif dans ce livre de mettre en lumière « les signes qui vont faire impression sur l’élève dans le sens où ces derniers vont l’imprégner. Ils sont ces marqueurs qui participent activement à la relation éducative, tous ces petits gestes qui donnent vie au discours ».
Pour J Duvillard, « enseigner est un art du détail ». Et ces micro gestes professionnels , porteurs d’une signification ont un effet sur les élèves.
Sa théorie c’est que ces gestes peuvent s’enseigner et qu’il est possible de leur donner une vraie force à partir du moment où ils deviennent déterminés et travaillés. Pour lui », ce sont des fondamentaux à travailler en formation initiale si l’on veut faire acquérir une certaine dextérité dans la maitrise des gestes du métier d’enseignant ».
Ces gestes professionnels, Jean Duvillard en compte 5 : la voix, le regard, l’usage du mot, le positionnement tactique ou stratégique dans son placement et ses déplacements. A chacun il consacre un chapitre.
Penser son positionnement
Ainsi on observe pour chaque geste ce qui fait de l’enseignant un « passeur de signes » et de l’élève un décodeur. C’est très concrètement, photos à l’appui, que Jean Duvillard aborde chaque geste. Ainsi pour la voix, il aborde le timbre, la portée, le débit , l’accentuation pour arriver à la « conscience musicale du discours », celle qui permet d’être conscient du maniement de cet instrument pour obtenir un résultat éducatif.
Le chapitre sur le positionnement explique par exemple qu’il ya des endroits meilleurs que d’autres pour obtenir telle ou telle réponse des élèves. Il en explique les paramètres comme la distance à l’élève ou le champ de vision.
On a là une approche pas courante du métier enseignant. Jean Duvillard souhaiterait voir cet enseignement se répandre dans les Espe. En attendant in nous offre un ouvrage très bien informé sur des questions dans lesquelles on risque de tâtonner toute notre vie professionnelle.
Jean Duvillard, Ces gestes qui parlent, Esf Editeur, ISBN 978-2-7101-3112-0
Jean Duvillard : « On peut améliorer la gestion d’une classe difficile »
Jean Duvillard revient sur son enseignement pour montrer comment il peut être transmis par un livre et en quoi il est efficace.
Comment appeler ce qu’est votre enseignement ?
C’est l’art du détail et c’est aussi une science dans la mesure où on voit dans le micro geste ce qui est opérant. Je renvoie à Peirce et à sa théorie du geste. L’idée importante c’est celle de l’intention mise dans le geste.
Doit-on parler de gestes professionnels ou de gestes de métier ?
Ce sont des gestes professionnels. Les gestes du métier sont plus en rapport avec des mises en scène, des habitudes. Le geste professionnel a une portée symbolique. Il vient d’une interprétation comme les tableaux du livre le montrent. C’est parce que je suis conscient de la portée symbolique du geste que je peux avoir un effet.
On regarde souvent la voix uniquement sous l’angle médical. Pour vous la voix est un outil pédagogique ?
J’en suis persuadé. Et je l’ai enseigné plus de 20 ans en Espe ou Iufm. Deux exemples; Dans le smots : dans la phrase « ce n’est pas mal ce que tu as fait », l’élève entend instinctivement le mot « mal ». Mais l’intonation joue aussi un rôle. On peut prouver que la musique d’une phrase a un effet sur les élèves.
Vous parlez de positionnement tactique et stratégique. Pourquoi ?
Le lieu d’où l’on parle n’est pas neutre. Dans chaque salle de classe il y a un lieu pour la parole instituée. Mon corps, ma posture, ma façon de me déplacer disent des choses que les élèves captent. On peut dire que les 20 premiers pas, les 20 premiers mots, les 20 premiers centimètres du visage sont déterminants pour l’enseignant et bien compris par les élèves. C’est quelque chose que les chasseurs de têtes avent aussi très bien. Donc il faut le travailler.
Avec cette théorie ne risque t-on pas de réduire la pédagogie à des astuces ?
Non car déjà cela demande du travail. C’est en fait un vrai travail d’apprivoisement de soi. Dans le livre je ne donne pas de recette. J’invite à penser la cohérence entre son regard, sa voix, son positionnement et ses intentions pédagogiques.
Peut-on enseigner ces micro gestes dans un livre ?
On peut décrire dans le livre des situations. On peut expliquer e qu’est un micro geste professionnel. Mais on peut aussi compléter le livre avec le Mooc lancé par l’université Lyon 1 ou la chaine Youtube. Ils complètent l’ouvrage. Et je suis sur que cs outils peuvent permettre d’améliorer la gestion d’une classe difficile.
Propos recueillis par François Jarraud