De l’intervention ministérielle sur RMC le 12 avril, certains ont pu retenir la promesse réitérée de la revalorisation salariale pour les enseignants du primaire. Mais le fait le plus important c’est que celle-ci soit associée par la ministre à la réforme de l’évaluation des enseignants. Comme pour Luc Chatel, le serpent de mer refait surface en fin de parcours…
Une revalorisation déjà largement annoncée
« Ça ne va pas tarder. J’estime clairement légitime la revendication d’une augmentation des salaires des enseignants du premier degré qui ont un écart avec leurs collègues du secondaire. Ils seront augmentés, évidemment. C’est plus que légitime et ils peuvent compter sur moi », a déclaré la ministre sur RMC le 12 avril. « L’idée c’est que cela entre en vigueur à la rentrée prochaine. Il y aura des annonces prochaines sur ce sujet ».
Cette annonce a frappé les médias. Elle n’est pourtant pas nouvelle. Le 31 août 2015, la ministre nous disait : « Nous n’avons attendu personne pour prendre conscience du retard à rattraper dans la revalorisation des enseignants du 1er degré. Je vous rappelle que V. Peillon a créé l’ISAE pour les professeurs du premier degré et que la carrière a été améliorée avec un accès fortement amélioré à la hors classe. L’ISAE est une prime annuelle de 400 euros. Elle sera complétée : j’ai obtenu un budget qui permettra de l’augmenter encore sur les années 2016 et 2017 ». Depuis elle est revenue sur ce sujet à plusieurs reprises, par exemple le 20 octobre devant l’Assemblée.
Un montant qui reste à fixer
Il y a bien des inégalités entre enseignants du primaire et du secondaire. Elles apparaissent clairement dans les données sociales du ministère et dans celles de l’OCDE. « En France », explique Regards sur l’Education, un ouvrage annuel de l’OCDE, « l’écart de salaire effectif moyen entre les enseignants de l’enseignement préprimaire et ceux du deuxième cycle de l’enseignement secondaire s’établit à près de 30 %, tandis que l’écart de salaire statutaire entre les enseignants (ayant 15 ans d’exercice à leur actif) de ces deux niveaux n’est, par exemple, que de 10 %. Ces différences s’expliquent en partie par la diversité des politiques d’octroi de primes entre le premier et le second degré, mais aussi par l’âge des enseignants du préprimaire, plus jeunes en moyenne que ceux du secondaire ».
Mais si la ministre a répété son intention d’augmenter les enseignants du primaire en 2016-2017, cela a toujours été sans fixer de montant précis. On devine que c’est là où est le problème. Doubler le montant de l’ISAE en le passant de 400 à 800 € par an représente une dépense de 150 millions. C’est moins que le milliard du plan numérique. Moins que celui des rythmes scolaires. Moins que celui qui devrait accompagner le développement du service civique. Moins que les 500 millions pour la jeunesse donnés le 11 avril. Moins que les 650 millions accordés aux policiers le lendemain. Mais ça reste une somme. Pour atteindre la parité avec le secondaire il faudrait passer à 300 millions.
Une revalorisation liée à la réforme de l’évaluation des enseignants
Le fait réellement important c’est que la ministre a lié cette revalorisation à la réforme de l’évaluation des enseignants. « Il y a une discussion sur le PPCR qui va nous amener à revoir leur rémunération mais aussi leur évaluation, quand sont-ils évalués, à quoi sert l’évaluation, comment sont-ils accompagnés. I l y a des choses importantes qui vont évoluer sur lesquelles on va communiquer dans les prochaines semaines », dit-elle.
La ministre réveille un vieux serpent de mer . En 2008, N Sarkozy avait demandé à son ministre de l’éducation la mise en place d’une évaluation des enseignants du primaire par les résultats. Puis en novembre 2011, le Café pédagogique rend public un projet d’arrêté préparé par Luc Chatel et sa DRH, Josette Théophile, confiant au chef d’établissement dans le secondaire et à l’inspecteur au primaire un entretien d’évaluation effectué tous les trois ans. Finalement le texte passe au Journal officiel, le 7 mai 2012, après la défaite de Nicolas Sarkozy. Il est annulé par Vincent Peillon.
L’évaluation par les chefs d’établissement confirmée ?
En 2013, un rapport de l’inspection générale annonce ce que pourrait être la réforme. Les inspecteurs continuent à croire possible l’évaluation individuelle. Ils ont un critère : celui de l’efficacité. « Un enseignant ou une pratique professionnelle sont efficaces lorsque les acquis scolaires des élèves concernés sont supérieurs à ceux d’élèves de classes comparables d’une part, et que cette supériorité est imputable à cet enseignant ou à cette pratique d’autre part… Même si l’« effet classe » n’est pas imputable en totalité à l’enseignant et/ou à ses pratiques, son poids reste prépondérant et probablement supérieur à l’« effet établissement ».
Surtout l’Inspection générale confirme le rôle des chefs d’établissement dans l »évaluation des enseignants. Dans le premier degré, « l’inspecteur de l’éducation nationale, étant à la fois l’expert pédagogique et le supérieur hiérarchique direct, est en mesure d’assurer seul l’appréciation de la valeur professionnelle des enseignants de sa circonscription. Cette appréciation pourrait être enrichie par une consultation du directeur d’école, pratique déjà répandue ». Dans le second degré, « l’inspecteur en charge de la discipline de l’enseignant, dans son rôle d’expertise didactique et pédagogique, porte appréciation sur une base large qui inclut la préparation et l’organisation des enseignements dans le temps et l’ensemble des moyens mobilisés pour les rendre efficaces ; l’observation dans la classe d’une séquence d’enseignement, afin d’apprécier une dimension essentielle du métier : la conduite de la classe, l’interaction avec les élèves, les choix et les ajustements opérés en direct ; l’ensemble des activités de nature pédagogique exercées en dehors de la classe : actions de formation, tutorat, commissions de choix de sujets, etc. » Pour l’inspection, « le chef d’établissement doit être établi dans un vrai rôle d’évaluateur, par la conduite d’entretiens professionnels réguliers et en lui donnant des marges réelles de notation et/ou d’appréciation ». Il conviendrait « de donner une réelle latitude au chef d’établissement en mettant fin au cadrage excessif de l’usage de leurs grilles de notation ».
C’est que l’encadrement souhaite une évaluation administrative renforcée qui lui semble le seul moyen de gouverner l’institution. L’échec du décret Chatel sur l’évaluation des enseignants du secondaire est toujours vécu par de nombreux membres des corps d’encadrement comme une reculade inadmissible.
Suit un grand silence qui va durer jusqu’en 2015. Mai 2015, les syndicats annoncent la reouverture du dossier qui est confirmée par la presse syndicale en juillet. Cependant le sujet reste extrêmement dangereux. La ministre devra trancher entre une conception très partagée par l’encadrement et son rejet par les enseignants. La récente réforme du référentiel des inspecteurs montre que l’inspection individuelle restera de toutes façons la norme de l’évaluation des enseignants.
François Jarraud
Les enseignants ont ils raison de faire grève pour leur salaire
Inégalités primaire secondaire