Rédigé l’été dernier, le rapport sur « les mouvements académiques et départementaux », dirigé par l’inspecteur général Jean-Michel Alfanderi, est publié durant ces vacances de Noël. Alors que la procédure de mutation des enseignants génère chaque année une forte insatisfaction, il propose d’en changer radicalement les règles. Pour redonner des marges de manoeuvre au pilotage académique, Jean-Michel Alfanderi veut caler le mouvement du second degré sur celui du premier. Une perspective qui pourrait faire réagir les syndicats, l’autre puissance invitée à la gestion du mouvement…
Des motifs institutionnels
Le constat dressé par le rapport Alfanderi sur le mouvement est sévère. Pour lui, les raisons de changer le système de mutations sont d’abord pédagogiques. » Il existe une absence de cohérence entre les objectifs pédagogiques du système éducatif, des objectifs de gestion des affectations d’enseignants presque exclusivement centrés sur la réponse à des demandes individuelles et des procédures mise en oeuvre qui peuvent aller à l’encontre des buts poursuivis », dit-il. « S’il est communément admis que le travail en équipe des enseignants est une des clés de la réussite scolaire, les modalités de gestion, non seulement ne prennent pas en compte cet objectif, mais parfois favorisent une rotation des équipes en totale contradiction avec cet objectif… Tout se passe comme si des procédures qui chaque année concernent la nomination de 170 000 enseignants – et qui sont décisives tant pour la vie de ces personnels que pour le bon fonctionnement des écoles et établissements – étaient considérées comme des phases exclusivement techniques sans véritable enjeu pédagogique ou de gestion des ressources humaines ». De plus , pour le rapporteur » les procédures d’affectation des enseignants dans le second degré ne favorisent pas l’égalité en termes de répartition des ressources humaines entre les territoires et les établissements ».
Vu du coté des enseignants…
Mais, vue du coté des enseignants, la procédure actuelle est dure à vivre. Le système en place crée dans le second degré un circuit qui veut que les néotitulaires commencent dans des établissements difficiles où il risquent de rester longtemps. Dans le premier degré, les sorties de département sont parfois très difficiles à obtenir comme le montre un récent mouvement dans le 93.
Ce système génère une géographie particulière à l’éducation nationale où se cotoient des département très recherchés mais quasi inaccessibles et des « pièges » d’où l’enseignant mettra longtemps à sortir. Ainsi pour le second degré, seulement 9% des demandes de sorties ont été reconnues en 2014 en Seine Saint-Denis, 6% dans la Nièvre et au niveau national 23%. Au final, certaines académies ont un pourcentage important de non titulaires (Créteil 12%) alors que d’autres en ont peu (Besançon 4, Toulouse 5%).
Le système génère des inégalités pédagogiques au détriment des académies les moins recherchées et les plus populaires. » Les territoires les plus attractifs vont mécaniquement concentrer les enseignants les plus chevronnés. Inversement, les académies les moins attractives connaîtront la plus forte proportion de jeunes enseignants et la plus forte rotation des équipes », dit le rapport. « Or les territoires présentant les résultats scolaires les moins élevés sont aussi ceux où les difficultés de stabilisation des équipes pédagogiques sont les plus fortes ».
Les deux scénarios d’affectation existants
Aujourd’hui le système du mouvement fonctionne sur des bases différentes entre le premier et le second degré. Dans le premier degré, c’est un système académique. « Le mouvement est un ajustement par rapport à la variable principale d’entrée dans le département qui est le nombre de postes mis au concours, lui-même déterminé par le nombre de départs en retraite. La répartition des néo-titulaires est induite par le nombre de postes mis aux concours dans chaque académie et ne présente pas les mêmes différences territoriales que dans le second degré. Les arbitrages, souvent implicites, rendus entre nouveaux enseignants et mobilité des titulaires sont rendus de fait au profit des premiers. Ainsi des départements des académies de Bordeaux ou de Rennes, très attractifs, pourraient sans difficulté pourvoir la totalité de leurs postes vacants par des entrées de personnels titulaires ayant demandé leur mutation. A contrario, cela conduirait à réserver la quasi-totalité des postes aux concours aux académies les moins attractives », explique le rapport.
Dans le second degré le mouvement est national. « Le recrutement est strictement national et aucune indication n’est donnée aux candidats aux concours sur la répartition entre les académies des postes à pourvoir. Aucun calibrage ne définit a priori le nombre de néo-titulaires qui entrent dans une académie ni le nombre de sortants ou d’entrants. Ces chiffres sont le résultat de l’offre et de la demande arbitré par le calibrage des soldes d’entrées et de sorties défini par le ministère en concertation avec les académies et par le jeu du barème ». C’est ce système qui fait que les néo titulaires sont nommés dans les académies les moins attractives sauf cas particuliers de rapprochement de conjoints.
Généraliser le mouvement académique dans le second degré
Ce que propose le rapport Alfanderi c’est de s’inspirer pour le second degré du système académique du premier degré. « Le modèle serait la transposition au niveau national du mode de recrutement du premier degré », écrit le rapport. Il veut « des recrutements du second degré nationaux mais calibrés par académies ». Concrètement cela passe par la définition du nombre de postes aux concours par académie et par l’affectation des lauréats dans une académie en fonction de leurs voeux et de ce calibrage. « Le stagiaire titularisé reste dans son académie de nomination sans passage par le mouvement national afin de faciliter un continuum de formation pour l’entrée dans le métier entre stagiaire et néo-titulaire et favoriser l’adaptation des formations à la réalité des académies ».
Permettre une politique de RH académique
Le rapport trouve plusieurs avantages à ce système. « Les stagiaires seraient alors affectés en fonction de leurs voeux, de leur rang de classement ou de tout autre critère (situation familiale par exemple) dans une académie où ils auraient vocation à être titularisés. Ce système permettrait de mieux répartir les néo-titulaires entre les académies, de laisser une vraie place à une construction de stratégies RH (relations humaines) partagée avec les académies, notamment celles tenant au recrutement, d’assurer un enjeu qui nous parait majeur celui de la continuité stagiaire / néo-titulaire ».
Ce qu’attend le rapport de cette réforme du mouvement c’est d’abord de permettre aux académies d’assumer des politiques de relations humaines différentes. » Les circulaires « mouvements » sont essentiellement des documents techniques, dénués de lien avec les politiques et les objectifs RH des académies », note le rapport. » L’outil principal de l’affectation des enseignants est le barème qui reflète plus un amoncellement de strates successives que des stratégies RH ».
Un barème « clarifié »…
Tout en se défendant de vouloir tordre le cou au barème, le rapport l’estime » indispensable à condition d’en clarifier les modalités, de rendre explicites les stratégies qui le sous tendent et de ne pas s’interdire de « déroger » au barème si la nécessité en est clairement établie ». C’est donc à une révision des barèmes de façon à y faire entrer de façon concrète les objectifs rectoraux qu’il s’agit.
Restent les cas particuliers auxquels s’attache le rapport. Il préconise d’avancer le calendrier des nominations dans le supérieur qui viennent perturber les affectations.
Les agrégés sur des obligations de service de certifiés…
S’agissant des agrégés, le rapport estime que ce sont les voeux des agrégés qui explique le taux de nomination en collège (24%) alors qu’ils devraient être en lycée. La parade envisagée par le rapport c’est de mettre les agrégés en collège sur le taux horaire des certifiés..
Le rapport veux aussi limiter les demandes de rapprochement pour conjoints. » Dans le second degré, réduire le nombre de bonifications accordées pour les rapprochements de conjoints et cibler les situations de réelle séparation. Limiter le périmètre du rapprochement de conjoints au département ».
Malgré cette réforme, le rapport estime que l’objectif de nommer des enseignants expérimentés en éducation prioritaire est « inatteignable. » Il envisage de » développer un plan ambitieux d’accompagnement social et pédagogique de ces jeunes enseignants, en particulier relatif au logement, qui doit être considéré comme une priorité nationale et académique ». Il recommande d’encourager le maintien des contractuels dans ces établissements pour solidifier les équipes.
Dans le premier degré, le rapport préconise la « régulation » de la procédure réglementaire. Il souhaite obliger à formuler voeu géographique large et nommer le plus tôt possible le plus grand nombre d’enseignants à titre définitif. Il recommande aussi de s’affranchir du barème pour la nomination des écoles de l’éducation prioritaire et des école simportantes.
Les objectifs de RH au premier plan
En conclusion, le rapport veut mettre dorénavant les objectifs académiques au premier plan dans la gestion des postes mis au mouvement. Il recommande d’élaborer » des objectifs RH académiques et départementaux explicites, parties constituantes des projets académiques et départementaux, traduits dans les procédures d’affectation des personnels et évalués et laisser des marges de manoeuvre aux départements pour définir une politique RH adaptée à leur territoire. Le barème aurait « toute sa place » d’arbitrage mais en faisant en sorte que » le choix des éléments de barème et leur importance respective reflètent les orientations pédagogiques et de RH que l’on entend conduire ». Les inspecteurs et les chefs d’établissement seraient associés à ce travail sur les postes.
En remettant les rectorat set leurs objectifs au centre du mouvement, en faisant évoluer le barème et les affectation sua niveau académique pour le second degré, le rapport attaque directement une mission essentielle des syndicats nationaux qui est le contrôle et l’influence sur les affectations. Le barème est l’instrument type du contrôle syndical sur l’administration. Il y a peu de chances que la proposition ait un grand succès de ce coté…
François Jarraud