Le 11 décembre à Paris, l’eTwinning a fêté ses 10 ans et remis ses prix nationaux 2015. La cérémonie a salué la dynamique d’un dispositif qui permet à des établissements scolaires européens de se lancer dans des projets collaboratifs par-delà les frontières. On y a entendu bien des mots qui font écho à l’actualité éducative : interdisciplinarité, éducation aux médias et à l’information, pédagogie de projet… Des mots qui font aussi écho à l’actualité tout court, tant, face aux replis identitaires, l’eTwinning apparait comme un chemin possible, numérique et authentique, pour aider les élèves de tout âge à construire leur parcours vers la citoyenneté.
10 ans d’eTwinning : un bilan et des perspectives
L’eTwinning est une action européenne qui offre aux enseignants des 35 pays participant la possibilité d’entrer en contact pour mener des projets pédagogiques d’échanges à distance à l’aide du numérique. Lancé en 2005, le dispositif fait désormais partie du programme européen Erasmus+. Il est opéré au niveau européen par European Schoolnet et au niveau national par 33 Bureaux d’assistance nationaux.
Le succès d’eTwinning est incontestable. Au bout de dix ans, l’eTwinning s’est développé régulièrement pour devenir la plus importante communauté pour les établissements scolaires en Europe. En décembre 2015, on dénombre ainsi plus de 45 000 projets lancés et plus de 340 000 enseignants inscrits. Le dispositif a été développé dans plus de 150 000 établissements scolaires, dont 11 % sont françaises. 44 % des projets sont mis en œuvre dans l’enseignement secondaire, 30 % en primaire et 26 % dans l’enseignement professionnel. Dans l’enseignement primaire et secondaire, les sujets eTwinning les plus populaires sont les langues étrangères (18 %), les TIC (8 %), l’art (7 %), les sujets transdisciplinaires (6 %), la géographie (5 %) et l’histoire (5 %). Dans l’enseignement professionnel, les projets portant sur la restauration et le tourisme (8,7 %) sont les plus prisés, suivis des TIC (8,06 %), du monde de l’entreprise et du marketing (5,6 %), l’audiovisuel (5,4 %), l’industrie alimentaire (4,4 %) et la nutrition (4,3 %). Les langues utilisées sont l’anglais (52 %), le français (11 %), l’allemand (8 %), l’espagnol (6 %), l’italien (4 %), le polonais (3 %), le slovaque (2 %) et le grec (1 %).
L’eTwinning ne cesse de prendre de l’ampleur, souligne Marie-Christine Clément-Bonhomme, coordinatrice eTwinning France : nombre de projets lancés, diversité et créativité accrues, ouverture à de nouveaux pays, renforcement de l’accompagnement technique des enseignants par les structures nationales … Directeur exécutif d’European Schoolnet, Marc Durando trace quelques pistes de travail et d’évolution : aider à passer d’une dynamique enseignante à une dynamique d’établissement (de « l’eTwinning Teacher » à « l’eTwinning School »), favoriser une reconnaissance officielle dans les systèmes éducatifs (en terme de formation ou de carrière), oser le déploiement à grande échelle tout en gardant le côté laboratoire d’innovation.
Les beaux lauréats 2015
Il n’y a pas d’âge pour les plaisirs de l’eTwinning : c’est aussi la leçon des projets primés au concours national 2015.
Le projet « Read the world » a animé l’école maternelle Capsus à Andernos-les-Bains, en partenariat avec les élèves de maternelle de 5 pays, autour des aventures d’un animal imaginaire, « le Gruffalo ». L’animal a été conçu en rassemblant les pièces créées dans chaque pays et envoyées par courrier. Les enfants imaginent ensuite les aventures de cet animal, développant ainsi de nombreuses compétences langagières, en arts visuels, ou même en mathématiques par la réalisation d’un jeu collaboratif. Au final, 87 % des parents estiment que ce projet a donné une ouverture culturelle à leur enfant, éveillé leur curiosité vers d’autres cultures, donné du sens à l’apprentissage de l’anglais. Toujours dans l’académie de Bordeaux, à Foulayronnes, le projet « Walking through the school year » a permis à des élèves grecs, polonais, roumains et tchèques de cheminer ensemble tout au long de l’année scolaire. Ils ont partagé en ligne leurs activités quotidiennes, leurs passions, les moments importants, les moments difficiles comme les attentats de janvier 2015, les sorties scolaires, les traditions locales. « En informatique, on a tous progressé, même la maîtresse ! » souligne un écolier venu à Paris présenter le projet.
L’eTwinning se décline aussi remarquablement au collège. Par exemple, au collège Jean Giono (Le Beausset), le projet Comenius « VIOLA (Values In Our Lives Always) » est mené par des élèves de 7 pays différents. Le but : réaliser un manifeste commun sur les valeurs partagées. Des mobilités dans les pays partenaires permettent de faire vivre encore plus ces valeurs par des productions collectives : détournements d’œuvres, présentation de personnages emblématiques, textes partagés à la suite des attentats contre Charlie, calligrammes sur la liberté, chanson en espagnol … Au collège Antonin Perbosc à Lafrançaise, le projet interdisciplinaire « Aqua Nostra », veut sensibiliser les élèves à la protection de l’environnement. Site web, chaîne YouTube, groupe Facebook … : la dynamique est telle qu’Aqua Nostra est même devenue une marque déposée !
Au collège Robespierre à St Etienne du Rouvray, une classe française a mené une fructueuse collaboration avec une classe espagnole, par l’intermédiaire des forums et des pages du Twinspace ainsi qu’en visioconférence. Quelques activités partagées : vidéos de présentation de la ville, bandes dessinées sur le quotidien de l’élève partenaire, échange de recettes… Au collège Des Racines & des Ailes (Drulingen), le projet «(h)eurêka » a porté sur la thématique de l’invention. Mené dans deux langues (anglais et allemand), il invite les élèves à constituer des équipes transnationales pour créer leurs propres inventions, la promouvoir par une publicité, la présenter, élire la meilleure idée… Un seul regret du côté des élèves, significatif des liens noués : « Nous avons hélas perdu le contact avec nos partenaires.»
Plusieurs projets sont aussi présentés par des lycéens fiers de leurs parcours en eTwinning. Au lycée Michelet de Vanves, le projet » Learnenglish+ », mené en partenariat avec la Grèce et la Pologne, a conduit les élèves à concevoir et réaliser eux-mêmes un MOOC, un cours en ligne ouvert à tous : 9 équipes internationales ont été constituées ; 6 domaines d’expertise (littérature, histoire, arts …) ont été définis ; chaque équipe a choisi un sujet, créé une production numérique, reçu les conseils des autres équipes ; les cours ont été réunis pour former le MOOC final ! Dans le même établissement, le projet Interesteen Team a abouti à la création d’un magazine alternatif européen « Interesteen » dont le but est de montrer les différences et ressemblances culturelles en croisant les regards sur l’actualité géopolitique. Au lycée André Maurois à Bischwiller, le projet “Deadly Diseases » a permis aux élèves de faire des recherches documentaires sur les maladies mortelles et leurs possibles thérapies possibles : la collaboration avec les partenaires crétois de Ierapetra aboutit à la création d’un ebook.
Les eTwinners témoignent
Quels regards portent sur de tels projets ceux qui ont la chance de les porter ?
Lors de ses années lycée, Morgane Avellaneda a participé à un projet eTwinning dont la longévité dit le dynamisme et l’impact : le « Programme Europe Éducation École », un projet philosophique, élargi aux sciences humaines, qui chaque année organise une journée européenne d’échanges en visioconférence sur des thèmes de réflexion variés comme la guerre et la paix, les rythmes scolaires, l’identité nationale … Quelques années plus tard, devenue étudiante, elle souligne tout ce que cette expérience eTwinning lui a apporté : apprentissage théorique de la philosophie sur le mode de l’échange, découverte de nouveaux modes de pensée, développement de la capacité à prendre la parole, ouverture au monde, prise de conscience de la différence et de l’unité à la fois, compréhension de la diversité des manières d’interroger une notion ou une manière de vivre, curiosité, tolérance… « L’eTwinning apprend à mieux se connaître soi-même, comme culture et comme individu. »
Les enseignants aussi témoignent, souvent émus par le travail de leurs élèves, comme si la pédagogie de projet donnait du sens non seulement aux apprentissages, mais au métier d’enseigner. Pour Béatrix Vincent, aujourd’hui conseillère pédagogique à Montpellier, l’eTwinning motive les élèves pour apprendre la langue en action : « la langue vivante devient la langue vécue ». Mais l’intérêt est autant culturel que linguistique : se développe la sensibilité des élèves à la différence, désormais abordée non plus avec peur mais avec respect ; l’entrée dans la langue devient apprentissage de l’empathie. Isabelle Bonnassies enseigne l’anglais dans un collège semi-rural : l’eTwinning ouvre des horizons, crée de fructueuses dynamiques collaboratives, constitue une prise de risque intéressante pour l’enseignant, valorise et donc stimule le travail des élèves. Murielle Dejaune, professeure d’anglais en lycée professionnel, explique qu’elle n’y travaille plus qu’avec eTwinning pour mener des activités de communication réelle à l’intérieur de la classe. Tout au long de l’année, la progression dans les échanges est sensible. Une anecdote sur un voyage montre que les élèves sont invités à surmonter leurs doutes sur eux-mêmes tout autant que la peur de l’autre.
L’eTwinning, un parcours citoyen
D’une intervention à l’autre, il est souligné combien les enjeux de l’eTwinning dépassent le cadre disciplinaire. Pour Florence Robine, directrice de l’enseignement scolaire, ce qui se joue avec de tels projets, c’est une vision du monde. Pour Jean-Marc Merriaux, directeur général de CANOPE, l’eTwinning porte les compétences clefs de demain : linguistiques, numériques et interculturelles. Pour Christine Minetto, IA-IPR de langues, « l’eTwinning devrait être le passage obligé du parcours citoyen ». Pour Franck Le Cars, DAREIC à Montpellier, l’expérience forge un sentiment européen qui conduit bien des élèves ensuite à un parcours de mobilité. Pour Judith Klein, de la DGESCO, l’eTwinning participe d’une culture de l’engagement qui est précisément le but de l’Education Morale et Citoyenne. Pour Dominique Rojat, inspecteur général de SVT, de tels projets aident à identifier les différences, ce qui ouvre la possibilité de vivre ensemble : « il faut faire en sorte qu’il y ait assez de choses semblables pour que les hommes puissent se comprendre et assez de choses différentes pour qu’ils aient des choses à se dire ». Pour Pascale Montrol-Amouroux, de la Direction du Numérique Educatif, l’eTwinning montre combien la question de la citoyenneté est désormais fortement liée à celle du numérique.
En guise de conclusion, on se permettra d’abonder en ce sens. Faut-il encore le rappeler ? La question de la « res publica » a toujours été liée à celle de la publication, du rendu public. Or aujourd’hui, incontestablement, internet est cet espace où le monde nous traverse et où nous le traversons, le lieu aussi du débat démocratique, de la diffusion des expériences et des idées. Il ne peut pas y avoir d’éducation citoyenne sans éducation à la publication en ligne. L’eTwinning est dès lors une chance à saisir : parce qu’il offre à chacun des espaces numériques d’écriture, parce que ces espaces sont d’emblée destinés à l’échange, parce que ces échanges fortifient la conscience d’une culture et de valeurs partagées. La pédagogie qui y est mise en œuvre est d’ailleurs fondée sur la responsabilité du sujet dans un projet commun, donc sur l’expérience d’un devenir citoyen. Elle est aussi souvent centrée sur la créativité : ce que l’eTwinning contribue alors à diffuser, c’est bien l’idée que l’Europe est encore un avenir commun, plus que jamais à inventer.
Jean-Michel Le Baut
Projet « Walking through the school year »
Projet « Apprendre une langue, c’est aussi connaître sa culture »