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Présenté au 8ème Forum des enseignants innovants, le projet de la 6ème 2C travaille les fondamentaux : le métier d’élève. Au collège Elsa Triolet de Saint-Denis, un établissement Rep, Julien Degalle propose une nouvelle façon d’enseigner et de nouveaux rapports avec et entre élèves. L’approche par compétences est au centre du projet. Mais il va bien plus loin. Professeur d’EPS et professeur principal, Julien Degalle décrit un projet qui mobilise toute une équipe.

Comment est né ce projet ?

Le collège Elsa Triolet de Saint Denis compte 600 élèves. C’est un établissement appartenant au REP du quartier centre-ville. Une récente intervention d’Eric Debarbieux dans notre établissement concernant une enquête menée en son sein a fait apparaitre que notre établissement était un collège lambda, semblable en beaucoup de points à des collèges ayant les mêmes caractéristiques, ni pire, ni mieux…Pourtant, une partie de la communauté éducative semble vivre plus difficilement ces dernières années et pointe que les problèmes de socialisation et d’apprentissage apparaissent « plus vite, plus fort, plus nombreux ». Le constat global qui a précédé ce projet s’appuie sur le manque de sens accordé aux apprentissages par nos élèves et leur difficulté à identifier réellement ce qu’ils apprennent.

Comment est composée cette classe ? C’est une classe camif ?

Les élèves de la classe de 6ème 2C viennent des écoles primaires qui composent le REP. Nous n’avons pas « choisi » nos élèves et ne les connaissions pas avant la rentrée 2015 si ce n’est au travers des différents échanges avec nos collègues du premier degré. C’était une volonté de l’équipe pédagogique de ne pas « sélectionner » nos élèves afin de pouvoir réellement évaluer de manière objective l’impact de notre projet.

Le dispositif est global comme les objectifs. Comment peut-on installer du vivre ensemble dans une classe de collège ?

La question du vivre ensemble, nouveau credo des politiques éducatives, peut apparaitre parfois comme relevant de la pensée magique ou du vœu pieu voire de l’incantation. « Il faut que vous sachiez vivre ensemble ! ». Mais cela s’apprend et il faut développer des méthodes pour y parvenir. Si les élèves, dans leur grande majorité, souhaitent se retrouver entre pairs et que la sociabilité est leur premier motif d’agir (M.Travert « culture sportives, pratiques sportives », 2012), force est de constater que cela se fait rarement à des fins d’apprentissage.

Le postulat de l’équipe pédagogique est donc qu’il faut « apprendre à coopérer et coopérer pour apprendre ». Nous pouvons estimer que pour qu’une réelle coopération s’installe, il faut qu’il existe une interdépendance des activités individuelles, le partage d’une situation de travail, l’articulation collective in situ et en temps réel d’activités individuelles autonomes (B.Huet, J.Saury « interactions et apprentissage », 2010).

Pour être concret, je m’appuierai sur un exemple : en Français, comme dans les autres matières, les élèves travaillent en « îlots bonifiés » (M.Rivoire 2012). Par groupe de 4, ils sont en charge de produire un conte selon un canevas fixé par leur enseignante. Après une première phase de travail individuel indispensable à la réussite de chacun, les élèves du même îlot se consultent quasi systématiquement dans le but de s’apporter mutuellement aide, correction, idées, conseils afin de progresser et réussir. L´implication de tous dans la tâche donnée donne lieu à l’acquisition de « Fils Bleus » (les compétences méthodologiques et sociales) tandis que la production finale et les compétences disciplinaires (compréhension de l´oral, expression orale, interaction orale, compréhension de l´écrit et expression écrite) se traduisent en « Fils Rouges » sous forme de points rouges/verts via le logiciel SACoche. Un autre exemple peut être pris avec la mise en place des conseils d’élèves. En aidant les élèves à communiquer les uns avec les autres lors de temps routinisés de débat, à formuler leurs opinions personnelles, à prendre des décisions argumentées, cette instance apprend aux élèves à se responsabiliser au sein du collectif et à donner du sens à la vie de la classe renforçant ainsi le sentiment d’appartenance au groupe.

Le nombre d’élèves est-il un problème ?

Nous avons une classe de 19 élèves, ce qui constitue pour nous un levier favorable à la mise en œuvre de notre projet. Sans nul doute, une classe plus nombreuse à 24 élèves aurait été une difficulté, non insurmontable mais réelle. Les formes de groupement adoptées en classe, les régulations sur les travaux de groupe sont, bien entendu, facilitées par cet effectif de classe.

Cinq enseignants sont impliqués. Comment vous organisez entre vous ?

C’est en fait l’ensemble de l’équipe pédagogique qui est impliquée dans ce projet. C’est un « noyau dur » de quelques collègues (EPS, HG, Maths, Techno) qui a réfléchi au dispositif de manière volontaire et engagée au mois de juin dernier auquel est venu se greffer l’ensemble de l’équipe. En tant que professeur principal il m’a semblé nécessaire de proposer et de présenter le dispositif pour intégrer les collègues motivés et non pas l’imposer à certains. Il paraissait incontournable de fonctionner avec la totalité des enseignants de la classe mais également avec la CPE et les assistants pédagogiques pour asseoir la cohérence du projet.

L’organisation sur les grands axes du projet (travail coopératif, approche par compétence au travers des fils rouges et bleus, utilisation du logiciel SACoche) était bien établie au mois de juin et toute l’équipe connaissait les tenants et aboutissants de celui-ci. Au quotidien, c’est bien entendu, beaucoup d’échanges sur des temps informels mais également des temps de concertation (bien qu’insuffisamment institutionnalisés…) pour réguler, adapter le dispositif. Des idées naissent au fil de l’année pour le réajuster. Si les fils rouges relèvent de l’acquisition de compétences disciplinaires, les fils bleus sont eux communs à toutes les matières et déclinées en compétences méthodologiques et sociales. Les bulletins de compétences reprennent donc cette terminologie dans toutes les matières et pointent des acquisitions ciblées et limitées en nombre (les travaux du CEDREPS sont d’ailleurs une source d’inspiration sur cette notion de ciblage).

Qu’est ce qui change dans le travail quotidien de la classe ?

Du côté de l’enseignant, un des changements essentiels qu’induit ce dispositif concerne sa posture. Nous ne sommes plus dans une pédagogie frontale où l’enseignant distille ses savoirs mais bel et bien dans un rapport différent où il devient un médiateur, une ressource entre ces savoirs et l’élève. Il devient plus disponible : un conseil individuel, pour un îlot complet ou finalement pour la classe entière, selon les besoins du moment.

Du côté des élèves, le temps de parole est démultiplié, ils prennent confiance dans cette prise de parole au sein de groupe restreint. Il existe, de plus, un aller-retour constant entre sa production et la connaissance du résultat. Lorsque l’enseignant renseigne en direct les points rouges/verts, l’élève est capable de se situer et donc d’adapter ses réponses pour tenter de progresser de manière lisible pour lui.

Les efforts faits pour le vivre ensemble (conseils, sorties etc.) ne se font-ils pas au détriment des apprentissages particulièrement des fondamentaux ?

J’ai souvent une phrase de M.Kherroubi et JY. Rochex (« La recherche en éducation et les ZEP en France », 2004) qui me revient à l’esprit : « la prévalence de la socialisation au détriment des apprentissages conduit à une impasse professionnelle. » Socialiser et apprendre dans le même acte, c’est aborder d’une façon systémique ces deux notions et faire le pari que l’une se nourrit de l’autre et inversement. Lorsqu’un élève construit des méthodes pour échanger, partager d’une manière argumentée, c’est au service de l’apprentissage des compétences disciplinaires. En retour, on peut penser qu’un élève qui construit une compétence disciplinaire telle que savoir lire une carte pour se fixer un projet de course en course d’orientation ou savoir prendre des informations dans un texte par exemple, sera plus à même d’aider un camarade et de mettre ses acquis au service d’un groupe restreint et ainsi œuvrer à un meilleur vivre ensemble. Fils Rouges et Fils Bleus sont ainsi entremêlés et interdépendants.

Finalement qu’avez-vous appris comme prof dans ce projet ?

Beaucoup de choses…Longtemps centré sur ma discipline, j’ai certainement appris à prendre de la hauteur avec celle-ci pour tendre des ponts entre les matières et ainsi gagner en cohérence dans mon propre enseignement. J’ai certainement appris, et je continue de le faire, la nécessité du travail en équipe, qui n’est pas toujours évident mais nécessaire et enrichissant.

Sans nul doute, j’ai appris à être moins directif avec mes élèves. Leur laisser le temps de trouver les réponses, reconsidérer le rôle de l’erreur et mettre en œuvre concrètement une évaluation formative sont les bénéfices principaux.

Pour conclure, je voudrais citer Francoise Clerc pour qui « « Innover, c’est aller vers quelque chose qu’on ne connait pas, mais dont on subodore meilleur que ce que l’on connait. L’innovation, c’est le changement de règles dont on n’a pas la maitrise ». On ignore le résultat de cette expérimentation, mais on essaye…avec force et volonté. Merci à l’ensemble de l’équipe éducative de la classe

Propos recueillis par François Jarraud