» La lutte contre l’exclusion scolaire est étroitement corrélée à la lutte contre l’exclusion culturelle ». Enseignant en REP par vocation, Ahmed Boufenghour est professeur des écoles à Limoges à l’école Marcel Madoumier. C’est une des 8 écoles du Val de l’Aurence, un quartier populaire de Limoges qui regroupe plus d’un millier d’écoliers et 50 enseignants. Depuis 2010, il anime un prix littéraire qui, parti de son école, a pris peu à peu la dimension du quartier. Avec conviction Ahmed Boufenghour a su entraîner les collègues et la mairie. Grâce à lui, un millier d’enfants de ce quartier populaire investissent l’univers de la littérature jeunesse.
Comment est né ce projet ?
Tout a commencé en 2010-2011, lorsque j’ai proposé à mes élèves de CM1 de voter pour un livre jeunesse parmi une liste d’ouvrages choisie par mes soins. L’année suivante, j’ai proposé à mes collègues de créer un prix littéraire au sein de l’école pour stimuler les élèves. Il s’agissait encore d’un événement circonscrit à l’école M.Madoumier et que nous avons choisi d’organiser en même temps que le salon du livre de Limoges (Lire à Limoges) pour lui donner plus de sens. En 2012-2013, avec mes collègues de M.Madoumier, nous avons convaincu les enseignants de cycle 2 et 3 des autres écoles du quartier de nous rejoindre et avons rencontré à plusieurs reprises l’équipe de la Division de l’Action Culturelle de la Mairie de Limoges, afin d’intégrer plus officiellement Lire à Limoges en créant le « Prix Littéraire du Val de l’Aurence ». A partir de 2013-2014, Le Prix a intégré le cycle 1 de ces mêmes écoles. Il touche désormais l’ensemble des élèves du secteur du Val de l’Aurence. Cette année, nous espérons que les classes de 6e des deux collèges du secteur s’embarqueront dans l’aventure, sachant que la 6e est appelée à intégrer le « cycle 3 »qui entrera en vigueur à la rentrée 2016.
Dans les objectifs du prix il y a en premier « fédérer les enseignants » : pourquoi cette importance ?
En tant qu’enseignants, nous tendons à être « enfermés » dans nos classes. Les temps de rencontre que suppose le Prix (réunion pour le choix des œuvres, organisation matérielle, rendez-vous avec les élus, discussions diverses) sont l’occasion de riches interactions entre les collègues. Au-delà du caractère fédérateur de ce Prix, nous y voyons l’occasion de créer des liens qui se concrétiseront peut-être dans des projets autres. Bref, il s’agit pour nous nous de créer une véritable dynamique au sein du secteur, pour la réussite de nos élèves.
Comment est organisé le prix ? que doivent faire les élèves ? S’agit-il de tous les élèves d’une classe ?
Les enseignants qui sont partie-prenante du projet se réunissent à l’automne pour sélectionner les livres jeunesse parmi les auteurs jeunesse retenus dans le cadre du salon Lire à Limoges. Puis les livres sont librement investis par les élèves et leurs enseignants jusqu’au printemps (lecture offerte, lecture suivie, débats argumentatifs, etc.). Le moment fort est celui du vote, qui se tient dans chaque école. Il se déroule comme une élection classique : votes à bulletin secret dans l’isoloir, dépôt dans l’urne et dépouillement public. A l’issue des résultats, les délégués (deux élèves par classe) se rendent au salon du Livre pour remettre officiellement le Prix aux lauréats et leur poser les questions préparées au sein de leur classe.
Quel lien entre ce prix littéraire et les acquisitions scolaires ? En quoi ça aide a acquérir le lire écrire ?
Concrètement, cet événement est l’occasion de mettre en œuvre un certain nombre de compétences fondamentales : il favorise l’expression orale dans la mesure où les élèves exposent leur avis, l’argumentent et débattent de leurs choix. Ils enrichissent ainsi leur lexique, et la construction du langage s’en trouve améliorée. La découverte de la littérature jeunesse est également essentielle.
En termes d’apprentissage de la citoyenneté, les élections les initient à leur futur rôle de citoyens et aux règles de la vie démocratique. Enfin, et c’est là, me semble-t-il, le plus important, leur participation à un projet fédérateur et coopératif a un impact positif sur le vivre ensemble.
Le prix aide-t-il à faire entrer le livre dans les familles ?
Toutes les écoles sont en éducation prioritaire. Et c’est ce qui fait tout l’enjeu de ce Prix à nos yeux. La lutte contre l’exclusion scolaire est étroitement corrélée à la lutte contre l’exclusion culturelle, et ce Prix est pour nous une occasion unique de faire pénétrer le livre dans le quotidien de l’élève et au sein de sa famille.
Les enfants gardent-ils un livre ?
Pas individuellement, faute de moyens, puisque les premières années les livres étaient financés par la seule coopérative scolaire ou par les maisons d’édition qui acceptaient d’envoyer un exemplaire par classe à titre gracieux. Mais bien sûr, les livres lus ont intégré la BCD des écoles et peuvent être empruntés et consultés par les élèves.
Qu’avez-vous appris en développant ce beau projet ?
Qu’avec peu de moyens, du temps et beaucoup de bonne volonté, et grâce à l’enthousiasme et l’engagement des collègues, il était possible de transformer une initiative très modeste en un temps fort pour nous et nos élèves.
Propos recueillis par François Jarraud