« Le cycle 3 est un moment très particulier pour nos élèves. Ils sont en pleine métamorphose. » C’est le constat d’Amélie Mariottat, professeure de français en collège à Pluviers. C’est aussi l’origine d’un projet mené en collaboration avec Isabelle Rambeaud et Marion Arnault, professeures des écoles dans la même commune. Sur le thème de la métamorphose, elles ont construit ensemble une progression dans le but de mener des activités parallèles, de faire se rencontrer les élèves, de partager autour de leurs pratiques. Cette « ludification » du parcours pédagogique a aidé les élèves à donner du sens aux apprentissages et à mieux comprendre les attentes et les enjeux du collège. Au final aussi : « les multiples pédagogies associées ont permis à chaque enfant de trouver sa place et de mener une métamorphose plus douce. »
Votre projet cherche à favoriser la liaison CM2 – 6ème : pourquoi un tel souci de collaboration entre les niveaux et les établissements ?
Nous avions envie toutes les trois de travailler sur des projets communs et de mener des actions avec d’autres classes de manière plus générale. Après plusieurs discussions, nous avons vite remarqué que nous avions des affinités pédagogiques très fortes. Comme nous nous entendions, l’idée du programme commun, des rencontres et du voyage s’est très vite imposée.
Le souci était de préparer les élèves de CM à leur entrée en 6e et de valoriser les plus grands en leur permettant d’être tuteurs, accompagnateurs. Nous avons pu constater l’effet positif de cet échange sur les élèves qui se sont sentis responsables et investis. Nous avions également le besoin d’échanger sur nos pratiques.
Selon quelles modalités concrètes cette collaboration a-t-elle pu avoir lieu ? Avec quels bénéfices selon vous ?
D’un point de vue pragmatique, les modalités étaient simples : du thé et des mails ! Nous avons bien sûr échangé par courriel mais aussi nous avons dû nous rencontrer pour planifier nos actions. Concrètement, la création de progression commune ne nous a pris que quelques heures. Nous avions les œuvres, les périodes et nous sommes partis de cela pour créer toutes nos progressions. J’ai proposé le projet aux collègues à la fin juin pour la rentrée suivante avec périodes, œuvres et projets ; certains ont adhéré comme en Arts Plastiques par exemple. Nous étions donc prêts pour la rentrée.
Quels ont été les bénéfices de cette collaboration ?
Le bénéfice a été double : pour les élèves car l’année a vraiment pris un sens particulier pour eux mais également pour nous, les enseignantes car nous avons pu échanger et collaborer autour d’objets pédagogiques communs. Je pense à l’exemple du travail autour d’Alice au pays des merveilles, j’ai préparé ma séquence seule pour mes 6e et mes collègues ont travaillé sur leur séquence en CM. J’ai réussi à mieux percevoir le travail de différenciation, la nature de l’étude de la langue, l’approche des lectures analytiques, le travail de mémorisation et les productions d’écrits… L’expérience a été édifiante !
Le projet tourne autour de la question de la métamorphose : qu’avez-vous abordé comme œuvres et thèmes d’étude pour explorer la question ?
Ce thème était l’idée d’Isabelle Rambeaud qui avait en tête cela depuis longtemps. Elle espérait pouvoir le partager avec nous. Les collègues professeurs des écoles ont travaillé dans toutes les matières autour de ce thème, des sciences, en passant par les mathématiques. Nous avons été plus modestes au collège. Seule la classe de Français présentait une progression commune. Nous avons commencé par travailler sur la Bande Dessinée avec le texte originel de Spider Man. Puis, nous avons étudié en œuvre intégrale Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll. Par la suite deux autres œuvres littéraires communes : les Fables de La Fontaine et les Métamorphoses d’Ovide (on ne pouvait pas ne pas les étudier !).
Le numérique a favorisé la mise en œuvre de cette pédagogie de projet : pouvez-vous donner quelques exemples de productions ainsi réalisées ? Selon quels dispositifs de travail ? Avec quels profits pour les élèves ?
Étant donné la distance de nos établissements, l’outil numérique nous a semblé essentiel même si nous avons organisé deux rencontres et un voyage commun. En effet, le numérique a été un moyen pour créer du lien et communiquer. De plus, il a été essentiel pour la création de l’émulation positive lors des projets car l’espoir d’être publié et la volonté de montrer ses compétences aux petits comme aux grands ont été très marqués.
Nous avons donc réalisé des capsules à destination des Cours Moyens sous forme de tutoriels, nous avons créé des livrets de contes pour voter en ligne, nous avons également créé tout un univers pour partager sur les fables au XVIIème siècle, nous avons prolongé cette expérience avec un musée virtuel commun qui regroupe plusieurs œuvres plastiques et littéraires. Pour finir, les 6èmes ont créé capsules et exercices pour les Cours Moyens sur Les Métamorphoses d’Ovide.
Vous avez ainsi expérimenté, un peu avant l’heure, la piste de l’interdisciplinarité : que diriez-vous aux collègues pour apaiser leurs possibles réticences ? quels conseils donneriez-vous pour la mise en œuvre de cette interdisciplinarité ?
Pour mener à bien cette action, je dirai que l’élément magique a été le thé ! (Rires !) Nous avons su nous rendre disponibles, pas que professionnellement mais aussi humainement. Nos rencontres servaient aussi à nous raconter nos « histoires de classe », à évoquer nos réussites pour trouver les éléments à reconduire mais aussi nos échecs avec nos interrogations. Je pense que ce temps de partage au-delà du temps pédagogique a été un temps d’échanges amicaux dont nous avions tous besoin.
D’un point de vue pratique, le travail peut être réduit par des mails, des outils collaboratifs comme Moxtra (que nous n’utilisions pas, mais que nous utilisons cette année pour mener nos projets avec plusieurs enseignants).
Pour dire vrai, le temps de travail n’est pas très élevé, car ce projet n’a pas été mené en marge du programme mais clairement intégré à celui-ci. C’est ce que nous apprécions dans les nouveaux programmes : mettre l’élève au cœur de nos pratiques communes.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut