L’enseignement professionnel doit-il seulement transmettre des compétences professionnelles ou également des valeurs démocratiques ? La formation professionnelle est-elle toujours compatible avec les valeurs éducatives ? Ces questions se sont retrouvées au centre du colloque organisé par le Snuep-Fsu le 3 décembre. Car la question des valeurs a à voir avec celle de la « revalorisation de l’enseignement professionnel », sujet du colloque. Le colloque accueille jusqu’au 4 décembre syndicalistes et chercheurs.
Quelle revalorisation ?
« L’Enseignement professionnel a été la vache à lait du gouvernement précédent », affirme Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fsu, en ouverture du colloque. Déplorant ce manque de moyens, y compris pour la formation, B Groison estime que « les objectifs actuels du ministère ne sont pas clairs », particulièrement sur le devenir des bacheliers professionnels. Il est vrai que le rapport Stranes, validé par l’Elysée, veut destiner les bacheliers professionnels à une filière supérieure spécifique. Mais l’Education nationale ne s’est pas prononcé sur ce point.
Jérome Dammerey, co secrétaire général du Snuep, revient sur la question de la revalorisation du professionnel. « Si on entend par revalorisation l’augmentation du montant des salaires des enseignant-es, je pense que la question est facile à traiter et que l’on sera toutes et tous assez vite d’accord. Si on parle d’améliorer les conditions de travail et du comment faire pour y arriver ? La question est peut-être plus complexe … Si l’on veut traiter du comment faire pour revaloriser ou valoriser cette voie de formation, lui redonner ou lui donner du prestige, lui donner plus de valeur aux yeux des jeunes, de leur famille, de leurs enseignant-es , de nos décideurs, de la société en générale, la question est infiniment plus complexe ».
Ni bouffon, ni blédard
C’est la question des inégalités que soulève le colloque et à travers elle des valeurs. Séverine Depoilly, université Paris 8, évoque les inégalités de genre dans l’enseignement professionnel. Celui ci est organisé sur cette inégalité avec des filières très ségrégatives. Aussi pour S Depoilly, « le genre n’est pas une variable, c’est une catégorie d’analyse; un outil pour comprendre ce qui participe aux difficultés d’apprentissage des lycéens ». Elle montre comment les relations entre filles et garçons sont travaillées par les rapports de sexe , de classe et de race.
Pour cela elle décrypte des incidents survenus en classe. Elle montre comment l’affirmation virile des garçons , leur provocation langagière compense leur disqualification scolaire. Car les garçons sont dans un rapport complexe à la scolarité. Il s ne veulent être ni « bouffon » ni « blédard ». Pour cela le verdict scolaire a son importance.
Le rapport à l’école est à lire aussi au regard de la déqualification ressentie par les garçons en lycée professionnel alors que les filles peuvent encore avoir un sentiment de promotion. Derrière le genre, c’est toujours la classe que l’on devine.
Les pôles de stages un outil de discrimination
Fabrice Dhume va aller plus loin dans l’interrogation des valeurs de l’enseignement professionnel en analysant les affectations en stage des lycéens professionnels. Il livre un chiffre : on compterait jusqu’à 40% de dérogations à la validation des stages en entreprise selon les académies. C’est pour F Dhume un indice du volume des discriminations dont sont victimes les élèves quand ils demandent un stage.
Pour F Dhume, les lycées professionnels pour garder de bonnes relations avec les entreprises finissent par intégrer leurs exigences discriminatoires. Pour lui la création des pôles de stages, que la ministre vient d’annoncer, participe de ce mouvement. On finit par créer des filières spécifiques pour les élèves des minorités qui ne trouvent pas de stage. Pour lui, « le pôle stage crée un sous marché pour les ethnies qui ne trouvent pas de stages. On confirme ainsi la logique de formation particulière pour certaines catégories. La réponse passe à coté de la question ».
« On nous demande d’être gentil avec l’employeur’, confie une enseignante. « Les profs d’atelier ont besoin d’argent pour acheter du matériel ».
Quelles solutions ? Pour F Dhume la prise de conscience et la mise en débat en est déjà une. Le Snuep devrait aller plus loin avec un Appel qui sera présenté le 4 décembre.
François Jarraud
Fabrice Dhume : Discriminations : il faut dédramatiser ces questions
Séverine Depoilly :Filles et garçons au L.P. : Derrière le genre, la classe…