Elle ne sait plus où donner de la tête, Lucie, professeure des écoles stagiaires… Dans sa classe, on plante, on déguste, on chante, on filme… Elle a obtenu son concours en juin 2015 et depuis la rentrée enseigne à mi-temps dans une classe de Brévonnes à une trentaine de km de Troyes, en alternance avec l’ESPE. Quand certains professeurs des écoles stagiaires sont en déroute face à la quantité de travail demandée et la pression maintenue par les ESPE et les inspections de circonscription pour la titularisation, Lucie, elle, improvise des projets tous plus créatifs les uns que les autres pour ses élèves de CM1-CM2. Des projets porteurs de sens et citoyens. Des projets qui collent à l’actualité. Mais où trouve-t-elle donc toute cette énergie ?
« Auprès de mon arbre… »
Plus d’arbres, plus de vie… C’est le titre de l’opération à laquelle la classe de CM1-CM2 de Lucie participe depuis le début de l’année scolaire. Lancée en 2011, cette opération pédagogique et pluridisciplinaire s’appuie sur la plantation d’arbres pour favoriser l’éducation au développement durable et rassembler tous les acteurs du territoire. En lien avec l’environnement et les problématiques écologiques qui sont débattues dans la COP21, les arbres et la forêt, symboles du développement durable, se situent au cœur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux.
Pour sa cinquième saison, l’opération est parrainée par le journaliste et animateur de télévision Jamy Gourmaud (le Jamy des émissions C’est pas sorcier ! en personne). Plus d’arbres, plus de vie ! a reçu le label COP21. Les élèves participent à l’opération avec beaucoup de joie et de candeur, suite à l’acceptation du dossier par la structure Plus d’arbres, plus de vie et la réception de 66 plants forestiers. Ils ont planté leurs arbres et sont maintenant dans la phase d’observation des arbres et de remplissage des bilans. Tous les élèves ont reçu un certificat de plantation. Autour de ce projet, des lectures de littérature de jeunesse sur le thème de la forêt (et une visite au Salon du Livre Jeunesse), des promenades d’observation en forêt, des dessins d’arbres suite au visionnage du film Il était une forêt… Bref, de quoi mener des séances dans de nombreux domaines scolaires, en littérature, en écriture, en arts visuels, en sciences et en éducation à l’environnement bien sûr ! Et comme Lucie ne fait rien à moitié, une vidéo sur l’expérience a été montée et finalisée…
Petites dégustations en classe
Pour la période 2, Lucie lance un nouveau projet, projet qu’elle a « baptisé « qu’est-ce qu’on mange ? » En lien avec le vocabulaire et les sciences, à nouveau, elle a contacté de nombreuses entreprises de produits à déguster pour recevoir des kits pédagogiques et des échantillons, différents types d’aliments à goûter. Un travail de fourmi pour recenser et contacter toutes ces entreprises… L’entreprise de biscuits Fossier a par exemple offert un bon d’achat conséquent à la classe afin de régaler les papilles des petits élèves et de la maîtresse. Cela amène la classe à découvrir le monde qui l’entoure, à partager sur ses sensations, à cuisiner en classe, autour de séances ludiques, conviviales et agréables qui mobilisent tous les élèves. Une maman de la classe a même généreusement proposé de fabriquer elle-même des tabliers en tissu pour ces séances. En parallèle, la classe s’est lancée dans la création d’un clip vidéo…
« Silence on tourne… Un clip pour la paix ! »
Après la vague d’attentats meurtriers qui a touché la France… le 19 novembre, Lucie retourne en classe après les trois premières journées de la semaine passées à l’ESPE. Comme tous les enseignants, elle est confrontée aux questions de ses élèves. Elle n’a rien préparé de particulier, la titulaire de la classe est passée par-là les jours précédents. Elle met simplement en forme la chanson de Demis Roussos, Sur les murs, reprise récemment par les Kids United (groupe de 6 chanteurs de 8 à 15 ans composé à l’initiative de l’Unicef pour reprendre les plus belles chansons de paix). Elle l’explique à ses élèves, la propose pour la séance de chant et c’est parti… Après discussion avec les élèves de la classe, un nouveau projet est bâti en un rien de temps : les élèves apprennent la chanson, se répartissent les refrains et les couplets, s’entraînent. Quand tout le monde est prêt, la maîtresse filme et enregistre. Pour finir, elle s’occupe du montage vidéo : le clip sera prêt et finalisé dans la semaine, jeudi ou vendredi prochain, Lucie pourra le passer à ses élèves. Un beau projet, rapide et cohérent, une fois encore avec les directives institutionnelles qui préconisent des activités permettant aux élèves de grandir, de devenir autonomes, d’apprendre à travailler en équipe et de développer des compétences citoyennes.
Portrait de Lucie Lorne, professeurs des écoles stagiaire et enthousiaste…
Lucie Lorne habite Troyes, dans l’Aube. Agée de 24 ans, en couple et sans enfant, elle s’est jetée à corps perdu dans le travail dès la rentrée 2015. Une page FB à son actif, qu’elle alimente très régulièrement, la voilà, pleine d’idées, en classe de CM1-CM2, en alternance avec ses cours à l’ESPE.
Quelles sont tes loisirs et tes passions ?
Je chante depuis plusieurs années dans différentes troupes de chanteurs / comédies musicales, un peu « geek », j’adore trouver des bons plans sur le net et encore plus en faire profiter les élèves ! Il suffit de visiter ma page Facebook pour s’en rendre compte. Je suis aussi une grosse joueuse de concours…
Quel a été ton parcours universitaire ?
Lorsque j’étais au lycée, on ne peut pas dire que je savais vraiment quoi faire ! Je ne voulais pas aller à la fac parce que j’avais besoin d’être encore très encadrée ! J’ai choisi d’aller à l’IUT et de faire un DUT SRC (Services et Réseaux de Communication). Pendant deux ans, j’ai appris la communication, l’infographie, le montage audio, vidéo ; j’ai animé une web-TV avec d’autres étudiants de ma promo et nous avons même présenté plusieurs festivals de cinéma en compagnie d’acteurs célèbres ! Ca a été deux belles années. Mais les débouchés sont rares dans ce domaine et très proche de ma famille, il fallait que je trouve un domaine qui me permettrait de rester dans ma région. C’est à ce moment là que j’ai décidé de me diriger vers les métiers de l’enseignement.
Mais pour passer le concours, il fallait un niveau master. Du coup, j’ai continué un an de plus dans le domaine de la communication et j’ai passé une Licence en conception design à Reims. Là encore, j’ai réalisé de très beaux projets dans la création de packaging. Mais mon idée de devenir enseignante devenait de plus en plus présente.
Mais un coup dur est arrivé : une licence professionnelle n’est pas acceptée pour le master ! Il a fallu que je fasse une validation des acquis pour être acceptée ! Il s’agissait de rédiger un long dossier et une sacrée lettre de motivation, quelques temps plus tard, me voilà admise.
Mon année de M1 ne se passe pas trop mal, même si la « préparation au CRPE » qui nous était promise n’était pas vraiment au rendez-vous ! J’ai passé le concours en arrivant jusqu’aux oraux. Il ne me manquait pas grand chose comme points mais ce n’était pas assez pour l’obtention du concours, dès cette année-là.
Par la suite, mon année de M2 a été une catastrophe : c’est l’année où les modalités du concours ont changé… Les non-lauréats étaient un peu malmenés, il y avait très (trop) peu de cours et aucune préparation au concours ! Pourtant l’année était favorable : il y a eu une augmentation du nombre de postes, peu de candidats ! Cette année, c’est pour moi ! Et bingo, je décroche enfin le concours ! Je suis enfin récompensée de tous mes efforts !
Dès le début, je me disais : « si je suis enseignante, je vais faire des tas de projets avec les élèves ! » Je me le suis promis ! » Et depuis, j’essaie de tenir parole…
Quels a été ton parcours de carrière jusqu’à aujourd’hui ? Que faisais-tu avant d’être maîtresse ?
L’année de M2 m’a permis de me libérer beaucoup de temps libre ! Vivant en couple, il me fallait quand même une rentrée d’argent. J’ai postulé dans plusieurs communes et la réforme des rythmes scolaires aidant, j’ai facilement trouvé un emploi d’animatrice périscolaire ! Ca a été une superbe expérience ! Proche des enfants et des acteurs de l’Education Nationale, j’ai pu en profiter pour développer et entretenir un réseau professionnel intéressant !
Pourquoi es-tu devenue professeure des écoles ?
Même si au départ, je ne savais pas vraiment quoi faire, je pense finalement que c’est une réelle vocation pour moi ! J’adore mon métier !! Etre enseignant rappelle de nombreux souvenirs d’école et fait remonter certaines choses ! Les situations rencontrées dans ma classe me font penser à des situations personnelles. Je me dois d’aider ces élèves qui ont besoin de moi !
Comment se passe cette première année au sein de l’Education Nationale, en tant que stagiaire ?
Très bien ! Je ne rencontre pas de soucis particuliers ! Je suis dans une petite école de campagne cela se passe très bien ! Je m’épanouis dans mon travail !
Comment gères-tu la pression et la quantité de travail à fournir pour cette année de probation ?
Le plus dur pour moi : faire des fiches de « prép » pour tout ! Je suis à mi-temps et la formation de l’ESPE me laisse beaucoup de temps libre ! J’ai le temps de préparer comme je veux et de faire des superbes fiches à l’image de ce que l’on peut voir sur certains blogs qui m’inspirent beaucoup !
Pourquoi as-tu créé cette page FB ? La réception chez tes pairs en est-elle bonne et valorisante pour toi ? Envisages-tu de créer un site de partage ou un blog dans l’avenir ?
Je suis une maîtresse connectée ! Facebook est un réseau social jeune et dynamique, un peu comme moi finalement ! Et puis j’avais déjà vu des pages FB de plusieurs « collègues » alors j’avais envie moi aussi de partager mon expérience, mes bons plans, mes fiches, etc… Ma page compte plus de 180 membres ! Je n’en espérais pas autant en si peu de temps ! Je pense que ma page est appréciée par les collègues car certains commentaires le montrent.
Mon conjoint est dans le domaine web alors à long terme j’envisage un site internet mais pour le moment, la page Facebook me permet de rester en contact direct avec les membres qui me suivent.
Combien de temps passes-tu chaque semaine à préparer ta classe ? Et à partager ton travail sur le net ou à échanger avec d’autres enseignants sur les blogs ou réseaux sociaux ?
Je n’estime pas que je passe trop de temps à préparer ma classe ! Quand on aime, on ne compte pas ! Mais j’aime chercher, fouiller un peu partout le moindre bon plan à partager et à faire profiter à mes élèves ! Parce que je suis toujours connectée, je suis toujours à l’affût de la petite chose à partager ! Je poste au minimum 2 ou 3 choses par jour.
Comment as-tu abordé le thème des attentats avec ta classe ? Comment t’es-tu préparée pour en parler avec tes élèves ? Comment t’es venue / vous est venue l’idée du clip ?
Au départ, je ne savais pas vraiment quelle action mener… Un coloriage, un poème, une chanson ? Et puis le métier d’enseignant, c’est aussi un peu d’improvisation ! Le matin même, j’ai imprimé les paroles d’une chanson après en avoir fait une petite mise en page sympa. Jeudi 19, la journée commence avec le cahier d’écrivain : « Imagine un monde … » et rapidement les élèves « imaginent un monde sans terroriste, en paix », etc. alors avant la récréation, je leur chante le refrain de On écrit sur les murs. Ils connaissent déjà la chanson ! « Et si on faisait un clip, maîtresse ? » C’est venu des élèves directement, ils commencent à me connaître ! L’idée est validée par l’ensemble des élèves. Rapidement, on découpe la chanson pour les parties « solo » et on commence à filmer ! Toute la journée les mots de cette chanson résonnent dans les couloirs et la cour de récré… Même les parents se mettent à la chanter en arrivant devant l’école ! Une belle manière de rendre hommage aux victimes des attentats à notre manière, depuis notre petite école rurale !
Parle-nous des projets que tu réalises avec ta classe… Pourquoi autant de projets ?
Après un superbe projet sur la forêt en lien avec l’opération « Plus d’arbre, plus de vie » (plantation d’arbres dans le jardin de l’école en collaboration avec la commune), les élèves sont invités à vivre une toute autre expérience : « qu’est-ce qu’on mange ? », c’est le nom que j’ai choisi pour le projet de la seconde période ! J’ai contacté plusieurs entreprises dont les biscuits Fossier de Reims pour recevoir plusieurs types d’aliments à faire déguster aux élèves ! Grâce à tous ces « partenariats », je mène des séances gourmandes, ludiques mais très enrichissantes. Travailler sous forme de projet motive la maîtresse et surtout les élèves !
Le matin, nous travaillons les maths et le français ! Je m’attache beaucoup à ce que l’après midi, on travaille les projets (en sciences ou en histoire ou en musique ou…). Le profil de la classe étant difficile, il me semble nécessaire de travailler de cette manière ! Je suis gourmande des kits pédagogiques et il n’y a pas une semaine sans que la directrice ne m’apporte un colis ou une grosse enveloppe ! Dedans, des choses à distribuer aux élèves, des jeux, des affiches bref, un ensemble ludique nous permettant de travailler dans des superbes conditions !
N’as-tu pas peur que le temps pris pour réaliser ces projets soit un frein aux autres apprentissages dits « essentiels » ou à la réalisation de la totalité du programme ?
La question est légitime c’est vrai ! Mais qui ose me dire qu’il réalise la TOTALITE du programme ? Je pense qu’il est nécessaire de se faire plaisir et même sous forme de projet, les élèves apprennent ! Dans la dynamique actuelle où l’estime de soi est à valoriser, je pense que l’épanouissement passe aussi par ce type de travail. Je n’ai jamais été très conventionnelle dans mes façons de travailler. Au départ, cela peut faire peur mais finalement les parents me font confiance et ensemble, nous avons un rythme adapté aux apprentissages.
Quels sont les futurs projets que tu aimerais mettre en place dans ta classe ?
Là encore, en fonction de ce que je reçois et en fonction du programme, je monte des projets !
On peut dire que j’ai une capacité à très vite imaginer des séquences de projet. Si je le peux, je voudrai rester dans des écoles rurales en début de carrière. Après en termes de projet personnel, je souhaite acheter une maison et construire une famille à moyen terme, maintenant que ma situation professionnelle est assurée dans l’Aube !
Propos recueillis par Alexandra Mazzilli