« Les maths c’est une affaire de langage et d’imagination ». Pour Michel Bourguet, fondateur avec sa collègue de lettres Catherine Jorgensen, du concours « La racine des mots est-elle carrée », l’opposition entre littéraires et scientifiques est artificielle et nuisible, un peu le fruit pourri d’un système éducatif qui trie en filières. Lancé depuis le lycée Monnet de Montpellier, le concours se développe rapidement dans l’académie et en dehors. Comme un pont jeté entre les filières il veut au moins faire prendre conscience qu’un littéraire sommeille chez chaque mathématicien.
L’Oulipo au secours des maths
« On rapproche souvent les maths de l’architecture et de la peinture. Mais on interroge rarement le lien entre maths et littérature. Pourtant le 20ème siècle a vu se développer des courants littéraires se réclamant ouvertement de structures mathématiques comme l’Oulipo. Et les maths inspirent les romanciers, comme Denis Guedj et son Théorème du perroquet ». Michel Guibert enseigne les maths au lycée Monnet de Montpellier, un lycée où les arts et la littérature comptent. Depuis 2013, avec Catherine Jorgensen, professeure de lettres, et l’appui de Corinne Ametler et Sandrine Pernin, professeures documentalistes, il a créé le prix « La racine des mots est-elle carrée » qui connait une croissance régulière.
« La coupure entre maths et littérature est artificielle », nous dit-il. « Elle est entérinée par le système éducatif avec un découpage en filière. Mais les professeurs constatent que les meilleurs littéraires sont souvent en S. Et ils savent bien le rôle que joue le langage et l’imagination en maths. Pour bien faire des maths il faut être capable d’imaginer les objets idéaux sur lesquels on travaille », nous dit-il.
Les maths c’est un langage
« Un des soucis que l’on a en maths c’est d’amener les élèves à développer leur raisonnement pour ne faire apparaitre les étapes. C’est bien une compétence en langage. Or c’est par l’utilisation du langage que les compétences en langage se développent. D’où l’idée de travailler ces compétences de façon détournée ».
Le concours s’adresse aux lycéens qui doivent choisir entre 5 oeuvres littéraires qui font appel aux maths. Cette année, les jurys lycéens devront départager « 121 jours » de Michèle Audin, » Evariste » de François Henri Désérable, la BD « Les rêveurs lunaires » du mathématicien Cédric Villani, « Aleph zéro » de Jérôme Ferrari et » Le palimpseste d’Archimède » d’Eliette Abecassis. Une dizaine de lycées participe au concours. Dans chaque établissement se constituent des « carrés littéraires » avec des élèves de S et de L qui travaillent sur les ouvrages.
Le concours a aussi des retombées en cours. En lettres, C Jorgensen travaille sur la façon dont les textes littéraires parlent des maths et sur le personnage du scientifique dans les romans. En maths, M Guibert donne des devoirs avec des sujets tirés de romans.
Changer le regard sur les maths
« Je vise surtout à créer dans le lycée un événement qui change le regard des élèves sur les maths », nous dit M Guibert. « C’est important pour les élèves qui pensent que les maths ce n’est pas pour eux. On installe de cette façon les maths dans une culture humaniste beaucoup plus large. Ca joue aussi pour les élèves de S qui ne veulent pas lire de livre ». Si cette année ce sont des élèves de 1ère S qui participent au concours, l’année dernière il a été suivi par des élèves de seconde dans un enseignement d’exploration littérature et société. « Une élève tétanisée par les maths s’est réconciliée avec elles. Elle n’est pas allée en S mais cette année , en L, son TPE porte sur les maths dans Alice au pays des merveille, un roman écrit par un mathématicien où tout est affaire de logique ».
François Jarraud