Fanny Couturier enseigne le français en salle 103 au collège Leonard de Vinci à Belfort : un espace trop étroit à l’heure du numérique ? Un espace assurément augmenté par le site web du même nom que l’enseignante anime à destination de ses élèves pour y publier ressources, créations, capsules de classe inversée … Un espace aussi ouvert aux possibilités nouvelles de réflexion, d’expression et de partage qu’offrent par exemple les cartes heuristiques, les pads, les diaporamas dynamiques, la webradio, les réseaux sociaux … Un espace en résonance enfin avec le monde extérieur : en témoigne un beau projet interdisciplinaire, autour du conte régional, qui a permis aux élèves d’explorer jusque par l’imaginaire la ville de Belfort et la Franche-Comté. Fanny Couturier nous invite, par des escapades pédagogiques, à agrandir l’Ecole.
La salle 103 est, j’imagine, votre salle de cours, et c’est aussi le nom du site que vous animez à destination de vos différentes classes : quels usages faites-vous de cet espace pédagogique en ligne ? comment les élèves se l’approprient-ils ?
J’utilise mon site salle 103.fr, qui correspond effectivement à ma salle de classe, pour plusieurs usages, et ceux-ci répondent aux intitulés des rubriques du site. Une rubrique « méthode » est dédiée aux leçons et exercices en ligne, dans lesquels tous les élèves peuvent piocher à leur guise et selon leurs besoins à un moment déterminé. La rubrique « travaux » permet de mettre en valeur les activités des élèves par année scolaire et par classe, en leur offrant la possibilité de partager ou de garder une trace de ce qu’ils ont réalisé en classe. Une toute nouvelle rubrique « au fil de la séquence » me permet de délivrer aux élèves de ma classe des consignes de travail ponctuelles ou de déposer des documents étudiés dans la séquence. « Livres et films » permet aux élèves d’afficher leurs créations et coups de cœur littéraires, ainsi que leurs avis sur les séances de cinéma auxquelles je les fais participer. La rubrique « Histoire des arts » me permet de déposer des ressources générales ou ponctuelles aux élèves de 3ème préparant l’épreuve ; c’est pour moi un outil important pour approfondir des éléments qui n’ont pas le temps d’être traités en classe, et laisser la possibilité aux élèves ayant « soif de culture » d’approfondir leur regard sur certaines choses.
Les élèves utilisent les différentes ressources du site à la maison, de façon autonome (réviser une notion, s’exercer selon ses besoins) ou en répondant à une consigne ponctuelle donnée.
Que répondriez-vous à des collègues qui considéreraient une telle activité comme dévoreuse de temps ?
L’ouverture et la gestion d’un site pédagogique demandent bien évidemment du temps, mais une fois que les ressources sont créées, elles le sont de façon durable, et sont donc un gain de temps pour les années à venir. Les ressources sont à disposition des élèves de façon illimitée et permanente, permettant ainsi aux plus faibles et aux plus timides de reprendre la leçon à la maison, de s’entraîner sans complexe, afin de progresser. Et cela fait gagner un temps précieux en classe. Je dirais donc que le temps que je consacre à travailler sur mon site est du temps que je gagne ensuite en classe.
Vous utilisez en particulier les cartes heuristiques avec vos élèves en cours de français : pour quels usages ?
La carte heuristique (que j’utilise avec les logiciels Xmind, FreeMind ou Framindmap) est un outil précieux pour les élèves qui, comme moi, ont une mémoire visuelle. Elle permet de comprendre une notion ou d’en hiérarchiser les items de façon claire et surtout personnelle. L’idéal est de faire construire aux élèves leurs propres cartes, en classe pour commencer, pour que cela devienne une méthode de travail par la suite, et que les élèves aient le réflexe d’utiliser cet outil de façon autonome et dans toutes leurs révisions, s’il leur est utile bien évidemment.
Je l’utilise aussi en classe, où je vidéoprojette une carte que l’on construit ensemble, sur une notion ou une étude de texte, en ajoutant au fur et à mesure les remarques des élèves, que l’on classe et organise ensuite.
Les élèves s’en servent également pour garder une trace de leurs lectures, prendre des notes durant un cours qui se déroulerait en salle informatique, préparer un travail d’écriture argumentatif (rechercher, hiérarchiser leurs arguments et exemples) ou remettre en forme une leçon qu’ils ont du mal à comprendre de façon linéaire.
Vous utilisez aussi régulièrement le pad pour faire écrire vos élèves en classe : quels usages précis en faites-vous ? quels sont, d’après votre expérience, les intérêts et/ou les difficultés de cette façon d’écrire nouvelle (numérique, collaborative et interactive), qui vient quelque peu bousculer nos habitudes ?
Le pad est un outil très simple de traitement de texte collaboratif, que j’utilise de plusieurs façons : création de leçons en collaboration, écriture à plusieurs mains (cela fonctionne bien pour les écritures de scènes théâtrales, où chaque élève invente les répliques de son personnage et où les autres lui répondent), écriture longue en collaboration (écriture d’un long conte en 6ème par exemple, où chaque groupe d’élève écrit son étape, en prenant en compte celles écrites par les camarades des autres groupes), traduction collaborative en latin (certains cherchent du vocabulaire, d’autres se chargent de l’analyse grammaticale, d’autres traduisent). Le principal avantage est que les élèves se corrigent et s’entraident « en direct », sans être enfermés dans une copie où ils seraient seuls à réfléchir. Le plus gros obstacle à ce genre d’activité est une connexion internet parfois mauvaise, qui empêche d’avancer et nous déconnecte de façon intempestive.
Lors d’une séquence en 6ème autour du conte régional, vous avez invité vos élèves à s’approprier par l’imaginaire la ville de Belfort et la Franche-Comté : selon quels dispositifs ? et avec quels bénéfices ?
Le projet est né d’un désir de fusionner ma progression de français avec celle de mon collègue d’Histoire-géographie. En 6ème, les programmes de français préconisent d’étudier la forme du conte, et ceux de géographie de partir à la découverte de notre « espace proche », à savoir notre ville et notre région. C’est donc tout naturellement que je me suis greffée aux sorties de découverte de Belfort avec les élèves pour leur proposer un travail d’écriture de contes merveilleux qui prendraient place dans les lieux visités. Notre conteur régional, Hervé Thiry Duval, a gentiment accepté de venir rencontrer les élèves, ce qui a bien entendu motivé l’imagination et l’écriture des élèves, qui s’étaient au préalable nourris de tous ses contes féériques.
La séquence a débuté par une sortie organisée dans le cadre du programme de géographie, qui s’est déroulée sur une journée complète, banalisée pour les élèves. Le matin nous sommes allés découvrir à pied la ville de Belfort. Les élèves, équipés de livrets, dans lesquels figuraient des questions, cartes, schémas, et cartes postales anciennes de la ville, ont dû accomplir plusieurs tâches : enregistrer divers sons de la ville pour les comparer et en faire une synthèse ; regarder attentivement les photographies anciennes, les localiser sur le trajet et prendre une photo exactement au même endroit avec le même cadrage, pour comparer les évolutions et héritages du patrimoine. L’après-midi, en salle informatique, nous avons collecté les différentes informations du matin, de plusieurs façons : les élèves ont complété un diaporama Prezi pour leur professeur de géographie, ils ont ensuite créé une carte heuristique recensant les différentes sensations par lesquelles ils avaient pu découvrir la ville. Nous avons regardé et commenté leurs photos, en les comparant avec les cartes postales anciennes.
Ultérieurement, les élèves ont lu des contes d’Hervé Thiry Duval, découpés dans le journal local, puis, en groupes, ont effectué des recherches sur leur localisation, les personnages qu’ils faisaient intervenir, le lexique qu’ils ne comprenaient pas, en utilisant un pad par groupe. J’avais préparé les pads à l’avance en y déposant quelques pistes, quelques questions, quelques amorces. Pour aider chaque groupe, j’étais connectée sur tous les pads et répondais aux questions des élèves par l’intermédiaire de la partie chat, leur conseillant des liens, des façons d’améliorer leur travail, etc. Les élèves ont ensuite lu leur conte et se sont enregistrés. Le travail a ensuite été mis en page sur un prezi.
Les élèves ont repris les photographies comparées de la séance d’introduction, et ont écrit, à la manière d’Hervé Thiry-Duval, un petit conte sur le lieu de Belfort de leur choix, pour à leur tour raconter leur ville en contes et y faire intervenir des êtres féériques. J’ai essayé de constituer des groupes homogènes en m’appuyant sur les difficultés et capacités de chaque élève, pour ensuite les laisser décider entre eux d’un schéma narratif au brouillon. Une fois ce dernier élaboré, les élèves de chaque groupe se sont réparti le travail. L’écriture s’est faite en collaboration sur un pad, si bien que chaque élève écrivant une partie de l’histoire voyait ce que les autres de son groupe avaient écrit. Comme pour l’activité précédente, nous avons utilisé la partie chat du pad : entre eux pour débattre de l’intrigue ou de l’écriture, et avec moi pour remédier, remettre sur les rails, corriger quand il le fallait. Une fois le travail relu, corrigé, et illustré, nous avons exporté nos pads en traitements de texte, auxquels nous avons ajouté les illustrations des élèves. Le tout a été converti au moyen du site gratuit Calaméo.
Le bénéfice d’un tel travail est de faire comprendre aux élèves le lien étroit entre les disciplines, notamment le français et l’histoire-géographie, et de leur proposer des contes qui sortent un peu de ce qu’ils ont l’habitude de lire et qui prennent place dans des lieux qu’ils connaissent et qu’ils habitent. Leur intérêt en est bien évidemment renforcé, et ils ne voient désormais plus leur ville de la même façon !
Une production collective, en l’occurrence un diaporama Prezi, a permis aux élèves de retracer les étapes de l’odyssée d’Ulysse : à travers quel parcours pédagogique les avez-vous conduits à réaliser ce remarquable travail à dimension interdisciplinaire ?
Encore une fois, il s’agissait de travailler en interdisciplinarité avec mon collègue d’Histoire-géographie, qui abordait le monde grec pendant que j’étudiais l’Odyssée. L’objectif pour moi était d’inciter les élèves à s’approprier leur lecture et à rendre compte, de façon collaborative et interactive. Chaque groupe d’élève a ainsi travaillé sur une étape du voyage d’Ulysse, en la plaçant sur la carte de son itinéraire, en la résumant et en l’illustrant par une œuvre artistique.
La carte a ensuite été enrichie par des capsules vidéos réalisées par les élèves en cours d’histoire, dans lesquelles ils expliquent une notion culturelle (la guerre de Troie, qu’est-ce qu’un aède…).
Parmi les nombreuses créations de vos élèves, il y a ce compte Guy de Maupassant ouvert sur Facebook : comment avez-vous mené une telle réalisation ? en quoi vous semble-t-elle susceptible tout à la fois de développer des compétences disciplinaires et de participer à l’EMI ?
Cette activité est née un peu par hasard. C’était la dernière séance avant les vacances, et je voulais entamer une séquence sur les nouvelles réalistes de Maupassant, mais sans me lancer dans une lecture ou une étude de texte qui serait entrecoupée par les deux semaines de congés. Nous avons donc utilisé cette séance pour « faire connaissance » avec l’auteur. L’idée était de réconcilier les élèves avec les recherches biographiques et littéraires (qu’ils n’aiment pas beaucoup en général) en leur proposant de créer le profil facebook qu’aurait pu avoir Maupassant s’il avait disposé de ce réseau social.
J’avais déjà tenté une activité de ce genre avec mes latinistes, en leur faisant créer le profil d’un dieu ou d’une déesse de l’antiquité, en utilisant un diaporama de type power point que j’avais mis en page en imitant une page facebook, et dans lequel les élèves n’avaient qu’à insérer photos et textes au bon endroit. Le résultat n’était pas très joli. Pour le compte de Maupassant, j’ai utilisé le logiciel photofiltre : après avoir monté une image d’une page facebook vierge, je l’ai donnée aux élèves, qui l’ont ensuite complétée sur le logiciel de retouche d’images « photofiltre », en insérant des images et des zones de textes. Si le résultat était plus joli et réaliste qu’avec les latinistes, la réalisation fut tout aussi compliquée !
Cette activité a eu le mérite d’inciter les élèves à mieux connaître l’auteur avant d’aborder son œuvre, à s’intéresser à ses œuvres, ses relations, les évènements importants de sa vie, tout en réfléchissant à l’usage du réseau social Facebook : que peut-on publier ? quelle image donner de soi ? comment se résumer en quelques photos et quelques statuts ?
De manière générale, en quoi le numérique vous semble-t-il susceptible de renouveler et revitaliser l’apprentissage du français ?
Le numérique fait désormais partie de mon enseignement au quotidien, mais il n’est absolument pas la condition sine qua non pour dispenser un enseignement de qualité. Je pense que le numérique doit être au service des apprentissages et non l’inverse. Le gros avantage du numérique est qu’il enthousiasme toujours les élèves, et leur permet d’être acteurs de leurs apprentissages, de créer et de s’investir plus facilement. Le numérique offre des outils très intéressants pour permettre à l’élève de développer ses compétences de lecture et d’expressions écrite et orale, et surtout lui permettre de maîtriser son évolution dans la discipline : avec toutes les ressources en ligne, l’élève peut travailler ce dont il a besoin quand il veut et presque où il veut. Et puis plus généralement, l’usage du numérique à l’école permet à l’élève de découvrir d’autres outils, d’autres usages que ceux qu’il en fait habituellement de façon personnelle : les élèves, bien que rivés à longueur de temps sur leurs tablettes ou smartphones, ne font finalement qu’un usage très limité et parfois peu pertinent du numérique. C’est une bonne chose de les guider vers des usages qui peuvent les aider au quotidien, dans leur vie scolaire ou personnelle.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Carte heuristique sur les classes grammaticales
Carte heuristique : argumentation sur le port de l’uniforme
Un exemple de travail d’écriture collaborative avec pad
A la découverte de mon espace proche
Les contes d’Hervé Thiry Duval présentés par les élèves de sixième
Les contes des sixièmes autour de la ville de Belfort