Combien d’euros le latin ? Combien pour un cours de maths dans une lycée rural ? Pour la première fois, la Cour des comptes a calculé le coût horaire d’une heure d’enseignement selon les types de lycée, les filières et même les disciplines. Basé sur ces données en euros, là où le ministère compte plutôt en masses d’emplois, le rapport propose une évolution en profondeur du lycée qui remet en question le bac, les rapports entre Etat et régions et bien sur les conditions de travail des enseignants. « Nos concitoyens ne peuvent pas se satisfaire d’un système éducatif couteux – de plus en plus couteux – si les résultats ne sont pas au rendez-vous », écrit la Cour des comptes. Elle pousse loin la logique comptable. Jugez-en…
Un lycée qui coûte cher
Savoir exactement ce que coûte chaque heure d’enseignement, dans chaque type de lycée, cela fait longtemps que la Cour des comptes le demandait en vain au ministère de l’éducation nationale. Finalement la Cour a réalisé elle-même ces calculs en se basant sur près d’un million d’heures d’enseignement. Et cela bouleverse profondément la façon d’appréhender le budget de l’éducation nationale en éclairant des inégalités et des choix pas forcément assumés par l’institution.
Premier constat : le lycée français coûte plus cher que les lycées des autres pays européens sans apporter des résultats supérieurs. A l’intérieur du système éducatif français, on le sait bien, on met plus d’argent sur le lycée et moins sur le primaire que dans les autres pays développés. Le lycée coûte 26 milliards par an. L’heure moyenne d’enseignement revient à 10 102 euros en France contre 9291 en Allemagne, 7798 en Espagne, 5017 au Royaume Uni ou 6584 en Italie.
La série Es est la moins chère
Grâce aux travaux de la Cour, l’analyse peut aller plus loin. Une heure d’enseignement coute 15 509 € en série L, 12 693 en ES et 14 071 en S. En technologique c’est plus cher : 14 421 en STMG, 17 627 en STI; et en professionnel encore plus : 16 126 en bac pro services et 21 056 en bac pro production.
Les options coûtent deux fois plus cher que les enseignements obligatoires
La Cour s’est aussi livrée à un calcul par discipline. Il en ressort surtout une grosse différence entre le coût moyen des matières obligatoires , 504€ , et celui des options : 1030 €. La différence tient au plus faible nombre d’élèves par enseignant dans les options. La Cour montre comment pour des raisons historiques et institutionnelles, on a multiplié les options : 15 enseignements d’exploration en seconde, 15 options en terminale, plus de 90 en lycée professionnel, 58 langues vivantes présentées au bac dont 20 par moins de 50 élèves. La récente réforme du lycée a augmenté encore les coûts. Une étude sur l’académie de Toulouse montre que sur 555 enseignements d’exploration proposés dans 72 lycées, 73 ont moins de 10 élèves et restent pourtant maintenus au nom de la diversité de l’offre éducative.
Trop d’heures d’enseignement
Deuxième enseignement : l’essentiel des coûts résultent des salaires enseignants. Or le lycée français offre nettement plus d’heures d’enseignement que les autres pays européens : 1108 heures annuelles en moyenne contre 933 en Allemagne, 950 au Royaume Uni et 964 dans l’OCDE. Par contre un enseignant français fait 648 heures d’enseignement par an contre 718 pour un professeur allemand ou 692 pour un britannique.
Changer le bac
La Cour montre que cette pléthore d’heures et d’options est liée étroitement au bac. « Le nombre de matières proposées au bac conditionne très largement l’offre disciplinaire au lycée car toute matière enseignée est évaluée lors de l’examen », écrit la Cour. « Ce choix découle de décisions historiques rarement remises e cause. La récente réforme n’a pas apporté de changement sur ce plan. Elle s’est même accompagnée d’un accroissement du nombre d’épreuves ». C’est donc bien le système qu’il faut changer. « Il faut simplifier le bac », estime Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes.
Changer la gestion
Le coût dépend aussi du réseau d’établissements. Or lui aussi tient compte de décisions politiques ou historiques. Ainsi la décision de maintenir de très nombreux petits lycées professionnels en Bretagne. L’étude montre que ma moitié des lycées compte moins de 500 élèves. 11% ont même moins de 100 élèves. Cela génère des coûts élevés.
Dernier critère, la Cour met en avant les rigidités de gestion. » Tout converge pour mettre l’établissement et le chef d’établissement dans une situation très contrainte », estime Sophie Moati, 3ème présidente de la Cour des comptes, en charge de ce rapport. L’établissement doit répondre à deux autorités, Etat et régions, qui ne se coordonnent pas. Quand il s’agit de gérer les enseignants il y a opposition entre inspection et administration. Quand il s’agit du personnel technique ,le chef d’établissement doit faire avec la hiérarchie régionale. André Barbé, conseiller maitre et contre rapporteur du rapport, souligne la rareté des conventions tripartites Etat- région – établissement.
Plus d’autonomie pour le chef d’établissement
Dans ce contexte , la Cour des comptes demande plus d’autonomie pour les établissements et pour le chef d’établissement. Elle s’appuie sur les coûts des établissements privés , nettement inférieurs au public.(5149 € l’heure annuelle d’enseignement en lycée général contre 9715 € dans le public). Certes cela tient au statut des enseignants (des frais de retraite très inférieurs au coût des pensions du public) mais aussi à la gestion. « La plus grande autonomie des lycées privés et l’affirmation plus nette du rôle de leur chef d’établissement concourent sans doute à un prix de revient moindre », écrit la Cour.
La Cour signale aussi des pistes de gestion efficaces au niveau régional : mutualisation des techniciens et des services (le chauffage en Ile de France par exemple), coût des options pris sur les moyens des établissements dans les académies de Rennes et Toulouse, intéressement des établissements à la baisse des coûts, développement du numérique pour réduire le coût de l’offre éducative.
Diminuer les temps et l’offre d’enseignement
Pour la Cour il faut aussi simplifier l’offre d’enseignement en ramenant le temps d’instruction au niveau des autres pays et en diminuant le nombre des options, ce qui implique de simplifier le bac. La Cour demande à définir des tailles optimales d’établissement. Celle ci pourrait se situer vers 800 élèves. Elle souhaite qu’on arrête de donner davantage de moyens aux petits établissements. Cela entrainerait la fermeture de nombreux petits lycées. Pour A Barbé, les enfants favorisés se sont déjà habitués à faire un long trajet pour aller dans les meilleurs lycées. Elle demande aussi la généralisation des contrats tripartites qui sont à l’abandon actuellement.
Le ministère n’est pas d’accord sur tout
Dans un communiqué, et c’est peut-être le plus surprenant, le ministère affirme travailler dans le sens de la réduction des coûts. « Une meilleure organisation des enseignements a permis de réduire régulièrement l’indicateur heures d’enseignement par élève (H/E), passant entre 2008 et 2015 de 1,39 à 1,30, soit une diminution de -6,5% », explique le ministère. « En ce qui concerne le lycée professionnel, un nouveau cycle de référence d’accès au baccalauréat en 3 ans après la classe de troisième a remplacé l’ancien parcours en 4 ans. Si jusqu’à la fin de l’année scolaire 2011-2012 la coexistence des deux parcours a pu générer les surcoûts observés par la Cour, ils ont à ce jour disparu, la réduction d’une année portant son plein effet depuis 2013. Par ailleurs, les académies ont engagé un effort de rationalisation de la carte des formations en s’attachant, ces dernières années, à résorber les surcapacités dans l’enseignement professionnel. Le ministère par contre se garde bien d’aller sur le terrain de la simplification du bac ou de la réduction du nombre d’heures d’enseignement.
Ce nouveau rapport de la Cour des comptes pose pourtant de vraies questions de politique éducative. Le calcul des coûts d’enseignement en euros, et non en postes, amène à une nouvelle lecture du système. Elle a ses limites. En 2011, la « Mission d’information du Sénat sur l’organisation territoriale du système éducatif et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation » les avait mises en évidence.
Une droitisation du débat sur l’Ecole ?
Cette vision comptable se heurte aux choix politiques d’aménagement du territoire. Elle aboutit aussi à une logique de privatisation de l’offre d’enseignement. Le proviseur « autonome » dans un budget en euros devra faire face à des choix d’un genre nouveau : devra-t-il embaucher un agrégé hors classe ou deux certifiés en début de carrière ? S’il ferme le latin et le portugais, pourra-t-il refaire les toilettes de la cour ? D’un coté, le rapport de la Cour des comptes montre la banalisation d’un discours très libéral sur l’Ecole.
De l’autre il pointe aussi des inégalités. Les options des filières privilégiées ne servent qu’à attribuer des mentions aux bacs généraux alors qu’on manque de moyens pour le primaire. La Cour des comptes a le mérite de poser avec obstination la question du changement du système là où depuis 2012 on a répondu avec des moyens en plus.
François Jarraud