Cinq recteurs et rectrices qui changent de postes, deux qui s’en vont et deux – des femmes – qui débarquent : le 16 septembre, jour de leurs prises de fonctions, rien ne sera plus tout à fait comme avant dans le petit monde rectoral. On a tenté de comprendre les règles de cette valse. Et l’on s’est posé trois questions.
Pourquoi ici et pas là ?
Et pourquoi pas ? Quand un mouvement de recteurs est lancé, chacun, théoriquement, a sa chance et peut faire savoir son intérêt pour le poste qui se libère.
Généralement, un recteur ou une rectrice a deux motivations. Sa carrière d’abord. A la tête d’une petite académie ou d’une moyenne, il ou elle se verrait bien à la tête d’une grande. C’est le cas, ici, de Daniel Filâtre. Recteur à Grenoble, il se retrouve propulsé à Versailles, la plus grosse académie qui compte plus d’un million d’élèves (9,1% du total).
A l’inverse, Pierre-Yves Duwoye fait figure d’original. Lui qui régnait à Versailles, il part s’exiler à Limoges, avec 8 fois moins d’élèves. Il s’agit en fait d’un choix tout personnel – il rejoint sa famille.
« Célibataires géographiques »
Et l’on en arrive à la seconde motivation (qui peut être la première chez certains, ou les deux à égalité) : des raisons privées, généralement un rapprochement, voire un regroupement familial. Recteurs et rectrices sont souvent des « célibataires géographiques », explique l’un de ces esseulés condamnés à d’incessants aller-retour le week-end.
Pour le recteur de Limoges nommé à Lille, Luc Johann, ça a pu jouer. Lui est de Metz. De Limoges, ça fait au moins six heures. Avec le TGV Lille-Paris, puis Paris-Metz, il gagne du temps. En plus, l’académie est plus grande. Que des avantages.
Ca surprendra les cupides : l’argent joue peu. Il n’y a guère « que » 500 euros de différence par mois lorsque l’on dirige une grande académie, et une petite ou une moyenne. Pas décisif sur un salaire de 9500-10 000 euros par mois, auquel il faut ajouter le logement gratuit – le recteur paie juste la taxe d’habitation, l’électricité, le chauffage…
Pourquoi lui ou elle, et pas moi ?
Ce n’est pas tout de manifester son intérêt. Encore faut-il être choisi puis nommé en conseil des ministres. Là, on entre dans de subtils équilibres – entre avoir un solide réseau, une bonne image, une couleur politique acceptable, avoir bien travaillé et pouvoir se targuer de résultats…
Un mauvais recteur finit par être viré. Mais il peut tenir un certain temps car sa famille politique hésitera à le lâcher et préfèrera refiler le bébé à l’équipe suivante (dans les cas, fréquents, d’alternance).
Un bon recteur peut aussi sauter lorsqu’il y a alternance parce que le nouveau ministre l’a dans le nez – convaincu que c’est un adversaire politique qui va lui mettre des bâtons dans les roues.
Un bon recteur peut aussi être en difficultés si un élu local de poids veut sa peau.
Enfin, il y a l’erreur de casting. La personne brillante nommée à la tête d’un rectorat qui ne connaît rien en gestion, ne sait pas travailler en équipe, est trop timide pour parler en public…. Dans tous les cas cités, on a des exemples.
Pourquoi maintenant et pas plus tard ?
Les changements de recteurs se font souvent au premier trimestre, la rentrée passée, et avant que l’on prépare la suivante. Pour les ministres, les « rentrées techniquement réussies » sont des moments politiques clés. Et le recteur en est responsable. Les mouvements peuvent aussi intervenir en juillet, en fin d’année scolaire.
Ici, avec Jean-Jacques Pollet à Lille, on avait un recteur ayant atteint la limite d’âge – 66 ans. Son collègue de Caen, l’historien Christophe Prochasson, était lui pressenti pour succéder à l’Elysée comme conseiller Education et Enseignement supérieur à l’universitaire Vincent Berger parti au CEA (Commissariat à l’énergie atomique).
L’opération aurait pu rester limitée. Mais elle a entraîné des réactions en chaîne. Et alors tout va très vite car il faut profiter de « la fenêtre de tirs ». Il y eut la candidature surprise du recteur de Versailles à Limoges. Versailles libéré, le titulaire de Grenoble fut promu. A Grenoble, on mit sa collègue de Rouen – Claudine Schmidt-Lainé. Et Rouen revint à une nouvelle venue, l’universitaire Nicole Ménager.
Restait encore Caen, déserté par Christophe Prochasson. On y installa Philippe-Pierre Cabourdin. Et Reims libéré fut pourvu par l’universitaire Hélène Inser Zajdela – l’occasion de féminiser la profession (on arrive à 11 femmes sur 30).
Question annexe : d’autres changements en vue ?
Avec ces bruits de remaniement ministériel qui vont qui viennent – après les régionales ? -, qui peut jurer que cela s’arrêtera là et n’atteindra pas le sommet de la maison ? N’étant pas dans le secret des dieux, on va laisser la question ouverte, au risque de conclure abruptement : bientôt une autre valse ?
Véronique Soulé