Comment aider des élèves en difficulté à se réconcilier à l’Ecole avec la culture, donc aussi un peu avec l’Ecole ? C’est le défi qu’a tenté de relever Catherine Briat, professeure de français au collège Anatole France à Gerzat dans l’académie de Clermont-Ferrand. Des 3èmes ont mené tout au long de l’année des activités créatives et collaboratives autour d’un projet musical européen, le Trina Orchestra, qui invite des instrumentistes de 3 pays à préparer tous les ans un concert commun. Au menu : ateliers hebdomadaires, recherches, reportages, rencontres, émission de radio, réécritures, création de nuages de mots, de diaporamas ou de jeux numériques, animation d’une page Facebook et d’un compte Twitter… En guise de récompense : le goût du travail, la confiance en ses capacités, le sens des responsabilités, la curiosité … Et des élèves qui se rendent d’eux-mêmes à un concert : « Jamais au début de l’année ils n’auraient hélas osé rentrer dans cette salle de spectacle, alors que désormais ils y venaient, fiers de parler de ce qu’ils avaient fait et parfaitement à l’aise. »
Dans quel contexte avez-vous mis en place cette expérience pédagogique ?
Le projet Trina Orchestra est né d’un concours de circonstances : après avoir perdu le demi-poste que j’occupais à l’ESPE d’Auvergne, je suis revenue à plein temps dans mon collège une fois la DGH établie. Il se trouve que nous avons obtenu notamment trois heures de cours, pour que je puisse rester à temps plein au collège et pour mener un projet de mon choix. J’avais donc l’opportunité de mener n’importe quel projet avec n’importe quel niveau et n’importe quels élèves. Comme dans notre collège nous avons déjà beaucoup d’Accompagnement Personnalisé en sixième et un projet très élaboré d’une dizaine d’ateliers de français, mon choix s’est porté sur le niveau des troisièmes.
De par mon expérience, j’ai toujours été attirée par les élèves à profil et j’ai longtemps travaillé dans des classes de troisième d’insertion : je sais donc combien certains élèves ne trouvent pas leur compte dans les activités menées au collège et ont parfois besoin d’une pédagogie de projet pour reprendre goût au travail, pour retrouver de la confiance en eux et surtout pour retrouver de la confiance en l’école et en leurs capacités. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser ces trois heures pour un groupe d’élèves dit « à profil », c’est-à-dire des élèves qui ont des difficultés scolaires, qui n’aiment pas forcément le collège et qui peut-être ne garderont de ces quatre ans au collège que le souvenir de ce projet, du moins c’est ce que j’espérais. C’est ainsi qu’à la fin de l’année, j’ai demandé aux professeurs principaux des classes de quatrième de sélectionner une douzaine d’élèves qui correspondaient à ce profil.
Qu’est-ce que le projet Trina Orchestra ?
Il restait à trouver un projet qui pourrait intéresser des élèves de troisième. Mon choix s’est porté sur une expérience qui a eu lieu dans une commune proche de celle du collège : Cébazat. C’est une ville dans laquelle se trouve une école de musique très active et depuis quatre ans, un incroyable projet y est mené, celui de réunir trois orchestres de villes européennes qui sont jumelées entre elles, de les faire travailler pendant une semaine afin qu’à l’issue de ces cinq jours de travail, un concert de deux heures soit donné. C’est un projet qui mêle à la fois musique et découverte d’autres cultures, amitié, enrichissement linguistique puisque tous les musiciens ont pour langue commune l’anglais pour s’exprimer.
Comment avez-vous intégré les élèves à ce projet culturel ?
J’ai essayé d’imaginer comment un groupe d’élèves non musiciens, très éloignés de ce monde de la pratique musicale, pourrait s’intéresser à un tel projet et se l’approprier. En tant que professeur de français, bien évidemment, j’ai songé à commencer par l’écriture d’articles puisque les élèves pourraient se prendre pour des reporters et rédiger une sorte de journal de cet événement sur quatre ans. Rapidement, j’ai également songé à utiliser différents outils informatiques qui nous permettraient de publier ces travaux.
Nous avons donc ouvert une page Facebook pour partager nos travaux et pourquoi pas générer des commentaires de la part de nos lecteurs. L’idée était que ces douze élèves puissent communiquer sur leurs travaux avec notamment les musiciens du Trina Orchestra. J’ai donc songé aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. Pour ne pas répéter sur tous les médias les mêmes choses, chaque outil avait sa fonction particulière : la page Facebook visait à recueillir les commentaires des musiciens tandis que le compte Twitter avait pour but d’informer en temps réel sur l’avancée des travaux des élèves. Je n’envisageais pas encore à l’époque que le projet allait aussi nous permettre de travailler d’autres domaines du français ; ce serait pourtant le cas.
Comment avez-vous lancé l’activité ?
Le jour de la rentrée, je me suis rendue dans leur classe et leur ait annoncé qu’à l’heure où leurs camarades quitteraient le collège, ils allaient, eux, rester soit pour une heure, soit pour deux heures, avec moi. Evidemment, je m’attendais à des réactions plutôt négatives de leur part et cela a été le cas. Nous avons donc décidé avec l’équipe administrative de faire de ce projet une sorte d’option au même titre que la découverte professionnelle 3h00 : leur travail serait noté et leur apporterait des points pour le brevet.
Les débuts du projet ont été un petit peu difficiles car les élèves rechignaient à venir trois heures de plus par semaine pour travailler sur un projet qu’ils n’avaient pas choisi, dans lequel ils ne se sentaient absolument pas concernés : il a donc fallu les convaincre que les travaux que nous allions mener allaient leur servir dans différents domaines de leur scolarité, dans différentes matières. Je leur ai aussi expliqué qu’ils allaient travailler en groupes, de manière collaborative, ce que, d’après mon expérience, ils ne faisaient que très rarement.
Comment avez-vous mené le travail avec les élèves ?
J’avais décidé de les responsabiliser, de travailler sur différents contenus qu’ils géreraient de A à Z et de travailler également sur les compétences que je sentais en eux et que les travaux scolaires classiques ne mettent que rarement en valeur. C’est ainsi que certains avaient des capacités pour gérer le travail de groupe, pour répartir les tâches tandis que d’autres étaient déjà très intéressés par le montage photo par exemple. D’autres, enfin, étaient tous prêts à fournir un travail plus scolaire et à rédiger des articles.
Peu à peu, les choses se sont mises en place et une ambiance plutôt sereine a commencé à régner au sein du groupe. Les élèves commençaient à prendre plaisir à se retrouver en petits groupes dans une salle qu’ils ont décorée en affichant tous leurs travaux. Et c’est ainsi qu’au fil des semaines, une belle solidarité a commencé à voir le jour, un vrai travail collaboratif, et un intérêt croissant pour ce projet musical et pour les personnes qui participaient.
Nous avons utilisé plusieurs outils informatiques : la page Facebook et le compte Twitter ont été administrés de A à Z par les élèves eux-mêmes. Il s’agissait de cette façon de leur confier des responsabilités. Le compte Twitter a eu un autre intérêt puisque j’ai exigé des élèves qu’ils écrivent leurs tweets en anglais de façon à ce que dans les trois pays, chaque musicien puisse les comprendre et suivre l’avancée des travaux. Nous avons bien sûr été confrontés à un écueil : de très nombreux musiciens n’ont pas de compte Twitter et n’en ont pas créé pour l’occasion. Un autre écueil a été celui de la participation des musiciens à la page Facebook puisque très peu d’entre eux ont commenté les photos, les articles. Mais cela n’a pas découragé les élèves pour autant.
Nous avons aussi utilisé des outils tels que le site Learning apps, qui nous a permis de créer de façon ludique différents exercices sur le thème de la musique, des mots croisés, des mots mêlés, des pendus, des courses de chevaux. Nous avons créé des nuages de tags, des graffitis avec des outils en ligne. Enfin, les élèves ont utilisé l’outil Prezi pour créer des diaporamas qui résumaient l’aventure Trina.
Les élèves ont aussi pu participer à certains événements : lesquels ? avec quels profits ?
Tout ce travail a duré deux trimestres et c’est alors que j’ai proposé à la radio locale, Radio Arverne, située juste à côté du collège, de recevoir les élèves pour qu’ils visitent tout d’abord la station de radio : après tout, puisqu’ils étaient eux-mêmes des reporters, cette visite pouvait les intéresser. Puis j’ai évoqué l’idée que les élèves viennent à la radio pour parler de cette expérience originale à laquelle ils participaient au collège. C’est ainsi que nous avons un jour enregistré une émission lors de laquelle chaque élève a pu s’exprimer, a pu raconter ce qu’il avait fait durant ses trois heures, les capacités qu’ils avaient pu développer et ce que cela leur avait révélé sur eux-mêmes ainsi que sur leurs camarades. Nous avons donc mené un vrai travail d’oral, avec un entraînement, des répétitions et enfin le jour J, l’enregistrement a eu lieu. L’émission a été diffusée plusieurs fois et les échos ont été très positifs.
Le troisième trimestre, une fois l’enregistrement de l’émission de radio terminé, a été consacré à la rencontre de plusieurs participants du projet Trina Orchestra : nous avons tout d’abord rencontré le chef d’orchestre et directeur de l’école de musique de Cébazat, avec lequel les élèves se sont entretenus pendant deux heures, lui posant toutes les questions qu’ils souhaitaient, observant ce qu’était un conducteur de chef d’orchestre, l’interrogeant sur son parcours personnel, ses envies lors de la création du projet Trina Orchestra puis nous avons rencontré d’autres participants au projet : un designer d’objets, créateurs du site Trina Orchestra, un cameraman, un photographe, tous musiciens également et ayant participé aux trois années du projet Trina. Ce fut l’occasion de belles rencontres, de moments riches où les élèves se sont exprimés volontiers et ont écouté avec une grande attention ce que chacun était venu partager avec eux.
Quel bilan tirez-vous de l’expérience ?
A ma grande surprise, au milieu du troisième trimestre, certains de ces élèves ont accepté avec beaucoup de plaisir de participer à une soirée lors de laquelle la deuxième saison du projet Trina Orchestra a été lancée et ce fut une surprise parce que jamais au début de l’année ils n’auraient osé rentrer dans cette salle de spectacle, hélas, alors que désormais ils y venaient, fiers de parler de ce qu’ils avaient fait et parfaitement à l’aise.
Ce projet restera donc unique, au sens où il est fort probable qu’il ne puisse être réalisé de nouveau au collège du fait que ces trois heures étaient vraiment un cadeau inattendu. Toutefois il a généré de l’intérêt auprès de plusieurs collègues et surtout, il a permis à ces 12 élèves d’être valorisés dans leur collège, auprès de leurs camarades et auprès de leurs professeurs, ce qui leur faisait cruellement défaut depuis fort longtemps.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut